Alors que la France a réduit ses effectifs militaires, la Chine va d’ici fin 2017 ouvrir une base logistique pour accueillir sa marine à Djibouti. La première puissance économique mondiale a négocié la possession de sa propre base militaire dans la Corne de l’Afrique afin de mieux gérer les risques sécuritaires inhérents à la région, particulièrement ceux liés à la piraterie et au terrorisme.
La piraterie maritime dans le golfe d’Aden : un fléau toujours persistant ?
La décision de créer la base militaire chinoise de Djibouti a été annoncée en marge du sommet Chine-Afrique qui s’est achevé en décembre dernier. Face à la méfiance que pourrait susciter une telle décision, le gouvernement chinois s’est voulu rassurant devant ses partenaires occidentaux en affirmant que l’ouverture de cette base se fera dans une logique de participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, de fourniture d’assistance humanitaire en cas de crise et dans un cadre de lutte contre la piraterie (au large de la Somalie) et le terrorisme.
Ces arguments sont-ils pertinents ? Oui, si l’on considère l’évolution de l’implication chinoise dans la lutte contre la piraterie en Afrique de l’Est (Golfe d’Aden) : depuis 2008, sa marine a conduit plusieurs patrouilles/escortes dans ce sens. Elle y a envoyé 21 convois et un total de 60 vaisseaux. Plus de 2 000 soldats chinois sont par ailleurs actuellement déployés dans des opérations de maintien de la paix de l’ONU.
Toutefois, la piraterie dans le golfe d’Aden a drastiquement baissé depuis quelques temps, comme le constate le rapport « La piraterie et les attaques de navires » du Bureau maritime de la Chambre internationale de Commerce, couvrant la période allant du 1erjanvier au 30 septembre 2015. À ce titre, les opérations Atalante (UE) et Ocean Shield (OTAN) ont joué un rôle déterminant.
Du reste, ce rapport signale la diminution du nombre d’actes de piraterie reportés, tout en précisant que certaines zones restent dangereuses et d’autres de plus en plus touchées. De plus, les types de navires les plus attaqués restent dans les mêmes proportions qu’en 2014 : les vraquiers, les porte-conteneurs et les transporteurs de diverses.
Concernant la répartition géographique des attaques, c’est désormais l’Asie du Sud-Est qui concentre les zones à très haut risque (détroit de Malacca, l’Ouest de la Malaisie, etc.). L’Indonésie est ainsi le pays qui a enregistré le plus d’incidents suivie du Vietnam.
S’agissant du continent africain, le nombre d’actes de piraterie a globalement stagné. Néanmoins, la piraterie somalienne est en net recul, puisqu’aucun incident n’a été signalé sur la période en question. En 2014, les pirates somaliens ont d’ailleurs été responsables seulement de 11 attaques. Toutes ont été contrecarrées grâce à diverses mesures sécuritaires et au déploiement de forces navales. Au regard de ces chiffres la piraterie somalienne semble donc avoir été pratiquement éradiquée. En fait, le centre de gravité de la piraterie maritime en Afrique s’est déplacé et c’est désormais le golfe de Guinée qui en est devenu l’épicentre.
Voici une carte du Bureau Maritime International qui montre visuellement ces tendances :
Des opérations gouvernementales de surveillance ou de répression en mer ne sont pas suffisantes pour éradiquer tout risque lié à la piraterie. Les acteurs économiques peuvent également prendre diverses mesures pour atténuer leur exposition à cette dernière.
En quoi une démarche de management des risques peut aider à lutter contre la piraterie maritime ?
Dans un premier temps, il peut s’agir d’effectuer une veille environnementale et de détecter les grandes tendances (zones les plus touchées, Modus Operandi, moyens à disposition, profilage des pirates et associés…) . Par exemple, connaître leurs modes opératoires peut conduire à une meilleure anticipation des attaques et déterminer les comportements à adopter pour les contrer. De plus, il est utile d’identifier les cibles privilégiés (souvent des petits pétroliers) et les moyens utilisés. La consultation de sites, tels que “France Diplomatie” (rubrique “conseils aux voyageurs”) ou “International Chamber of Commerce” (rubrique “IMB Piracy Reporting Centre”) est recommandée.
Dans un second temps, il peut s’agir de s’occuper de l’aspect sécuritaire stricto sensu. Plusieurs mesures de prévention sont susceptibles d’être adoptées par l’acteur économique concerné, en fonction des tendances lourdes et propres à la région, comme des vérifications administratives (opérations de Background check, de Due Diligence et de Compliance). Un choix réfléchi des partenaires, des salariés et même des ports de mouillage peut avoir une influence significative en limitant l’exposition à ce genre de risques, sachant notamment que les pirates peuvent obtenir des informations sur les bateaux de commerce visés, en corrompant des dockers ou des agents de port. La cargaison serait souvent même déjà vendue avant que le bateau ne quitte le port.
Il est également possible d’embarquer des forces de sécurité privée (des gardes armées). Enfin, il est nécessaire de souscrire une assurance qui couvre ce type de risques. Il est intéressant de noter qu’en 2014 seulement 5 % des navires qui traversent le golfe de Guinée ont souscrit une assurance anti-pirates des mers, alors que près de la moitié de ceux qui transitent par le golfe d’Aden l’ont déjà fait.
L’adoption de telles mesures peut réduire considérablement les risques d’attaques et pourrait même aider les États économiquement parlant : en effet, ces derniers doivent faire face aux coûts des opérations maritimes de sécurité.
Quelques mots sur les ambitions chinoises
Les raisons officiellement évoquées sont-elles les seules explications à la possession d’une base navale logistique dans la Corne de l’Afrique ?
Depuis des décennies, la Chine s’intéresse au continent africain. Elle y voit un réservoir de matières premières énergétiques et minières. Sachant que ses besoins ne cessent de croître, il lui est indispensable de diversifier ses sources d’approvisionnement. À ce sujet, son objectif final est d’assurer son autosuffisance, mais elle doit tout de même faire face à la concurrence occidentale (française, américaine…). Malgré tout, elle jouit de certains avantages : elle n’a pas, par exemple, l’image d’une ancienne puissance coloniale. De plus, pour les gouvernements africains, la Chine est un partenaire précieux, car elle n’impose pas de conditions politiques spécifiques à ses fournisseurs et elle assure plus facilement un soutien diplomatique.
Plus concrètement, sa stratégie consiste notamment à déployer et à téléguider ses grandes entreprises sur le continent, avant d’exercer son influence. Parallèlement, elle investit en masse et intègre la dimension sociale à ses financements. Dorénavant, elle est le premier partenaire commercial de l’Afrique et un million de ses ressortissants y vivent. Plus encore, le continent devient de plus en plus dépendant des aides et investissements provenant de ce pays.
Outre l’inscription dans le cadre d’une vaste réforme de l’armée, cette volonté d’ouvrir une base est également décidée dans l’optique du développement de sa puissance maritime (construction de nouveaux bâtiments et modernisation de sa flotte militaire), indispensable à la sécurisation de ses voies d’approvisionnement qui transitent dans la région. Sans oublier la protection physique de sa flotte marchande. L’engagement militaire de la Chine n’est donc pas désintéressé : elle se doit de protéger ses flux stratégiques, ses investissements et ses expatriés, comme le font déjà les Occidentaux. Bien entendu, la position stratégique de Djibouti est indéniable.
Par ailleurs la création d’un réseau de bases navales est aussi un objectif vital pour les Chinois. Il s’agit de se rapprocher le plus possible des couloirs stratégiques, tels que les détroits d’Ormuz et de Malacca (très surveillés et encadrés par les Américains).
Plus officieusement, en voulant ouvrir des bases hors de son territoire national et en mettant à jour ses forces navales, les Chinois chercheraient à se protéger de la puissance militaire américaine. En cas d’affrontements ou de heurts avec le gouvernement états-unien, ils seraient vraisemblablement incapables de contrer l’US Navy si cette dernière est enjointe de contrôler ou bloquer le passage dans ces détroits. Enfin, ne plus dépendre de bases étrangères pour effectuer des missions extérieures constitue une justification supplémentaire. Tout comme la volonté d’avoir une présence militaire permanente sur place.
Tout ceci reflète les ambitions de la puissance chinoise qui entend peser davantage sur la scène internationale.
Nicolas de Turenne