L’industrie du luxe et la stratégie anti-contrefaçon en France

Le prestige des marques françaises explique l’ancrage historique du fléau de la contrefaçon dans les secteurs du luxe. Par conséquent, que cela soit par le biais des pouvoirs publics, au niveau européen, international, ou alors par les titulaires de marques elles-mêmes, la protection de l’industrie stratégique du luxe est une nécessité pour la France.

La contrefaçon est encore trop souvent considérée comme étant un délit mineur: portant atteinte aux entreprises du luxe et bénéficiant par là même d’une certaine tolérance, voire suscitant une certaine attirance dans l’inconscient collectif. Cela revient donc, pour la plupart des personnes, à acheter le produit d’une marque de luxe à un prix dérisoire, tout en sachant qu’il s’agit d’une contrefaçon.

Or, la contrefaçon est un véritable fléau économique et social, mettant en danger la santé et la sécurité des consommateurs, s’attaquant à tous les domaines : des médicaments aux pièces détachées industrielles, en passant par les jouets, les produits culturels et les produits de luxe.

En raison de la notoriété de ses marques et de la créativité de ses entreprises, la France est particulièrement exposée à la contrefaçon. Les maisons de luxe françaises figurent parmi les marques les plus contrefaites au sein de l’Union Européenne en matière de parfums, de cosmétiques, de vêtements et d’accessoires. Même si l’impact de ce fléau sur le secteur reste difficilement quantifiable, la Direction Générale des douanes et droits indirects estime que les produits de luxe contrefaits représenteraient près de 50 % de la valeur des saisies douanières en France. D’après les chiffres du Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, la contrefaçon représente aujourd’hui près de 10% du commerce mondial, soit un coût annuel de 200 à 300 milliards d’euros pour l’économie mondiale, dont 6 milliards pour l’économie française.

La contrefaçon désormais un fléau mondial

Force est de constater que les produits contrefaisants sont distribués via des réseaux de distribution implantés dans tous les pays, des Etats-Unis à l’Asie, en passant par l’Europe, par le biais de marchés, de supermarchés ou de vendeurs ambulants. En ce qui concerne les produits de luxe, l’Asie reste la première région productrice (95%), le bassin méditerranéen, quant à lui, tient toujours une place importante alors que de nouveaux réseaux se développent ailleurs, notamment en Europe centrale, en Europe de l’Est ainsi qu’aux États-Unis. La Chine, berceau de la contrefaçon, est très marquée par son ambivalence : à la fois tournée vers le progrès et l’innovation, elle demeure actuellement le premier producteur mondial de contrefaçon.

Nonobstant certaines idées pré-reçues, la contrefaçon peut aussi provenir des pays d’Europe. Cette situation est d’autant plus problématique qu’elle affecte la crédibilité même du discours européen, visant à lutter contre la contrefaçon auprès des autorités étrangères. Et pour cause, les chiffres de saisies par les douanes italiennes sont très évocateurs à cet égard. Ainsi, de 2006 à 2012, plus de 66 millions de biens contrefaits (en grande partie des marques de luxe) ont été saisis près de Rome.

En plus des pays d’Europe Centrale et de l’Est, la Turquie occupe désormais la cinquième place en tant que producteur de contrefaçon de toutes sortes, selon les statistiques de 2010. Enfin, le continent africain est considéré comme étant à la fois un acteur et une victime de la contrefaçon. A en croire Christophe Zimmermann, chargé de la lutte anti-contrefaçon au sein de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), «il y a plus de faux que de vrais sur les marchés africains. Pas un pays n’y échappe». Cette zone géographique est la deuxième zone d’exportation de contrefaçons en direction de l’Europe après la Chine.

De l’usine souterraine à la vente sur internet : la contrefaçon change de nature

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la distribution de produits de contrefaçon est effectuée très fréquemment au grand jour. En effet, la vente de ces produits a lieu là où la demande est la plus forte, que cela soit par le biais des marchés, des supermarchés, des catalogues, des vendeurs ambulants et d’internet. Les sites de ventes physiques, comme les marchés, représentent les filières traditionnelles d’écoulement de la contrefaçon, certains étant devenus de véritables lieux touristiques spécialisés dans le faux. Vintimille, cette petite ville italienne considérée comme la capitale du faux en Europe a même été investie par les chinois.

De nos jours, internet est devenu le canal de distribution privilégié de la contrefaçon dans le monde. Sans frontière, la vente en ligne ne fait qu’amplifier le phénomène de contrefaçon et réduire le délai entre la sortie d’un produit et la mise sur le marché d’une copie. Désormais, internet met en lien direct les consommateurs avec les usines d’où proviennent les produits contrefaisants.

La France dispose d’un des cadres juridiques les plus contraignants d’Europe

Certes, la France dispose d’une réglementation efficace et répressive en matière de lutte contre la contrefaçon, et ce depuis le début des années 1990. Néanmoins, les difficultés liées à ce phénomène ne s’arrêtent pas aux frontières françaises. De ce fait, il incombe aux instances européennes et internationales d’harmoniser leurs législations.

L’industrie du luxe est un secteur stratégique pour la France, au même titre que l’aéronautique. L’État ne peut donc observer, sans réagir, des fleurons de l’industrie française du luxe affaiblis par ce fléau qu’est la contrefaçon.

Une chose est sûre, la nouvelle loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon a permis de mettre fin aux divergences jurisprudentielles quant à la question de la compétence. Elle prévoit expressément la possibilité d’octroyer ce droit en présence de produits «argués de contrefaçon» ou «prétendument» contrefaisants, soit avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon. De même, s’agissant de l’exigence d’une saisie-contrefaçon préalable, la loi du 11 mars 2014 a encore tranché en faveur du demandeur à l’action en contrefaçon, en permettant au juge d’ordonner toute mesure d’instruction «même si une saisie contrefaçon n’a pas préalablement été ordonnée».

Désormais, le lien entre les groupes de crime organisé et les produits de contrefaçons est bien établi. Pire encore, le bénéfice financier dont jouit la contrefaçon est en phase de devenir la méthode de financement préférée des terroristes, qui estiment cette pratique comme étant à la fois très rentable et peu risquée. Le trafic d’armes ou encore l’utilisation de travailleurs clandestins, y compris des enfants, n’y échappe hélas pas.

Mais beaucoup reste à faire pour lutter contre ce phénomène

La Chine est régulièrement pointée du doigt puisqu’elle représente 60 % des produits contrefaits qui entrent dans l’Union Européenne. Ainsi, l’Allemagne, dont le chiffre d’affaires du marché des produits frauduleux est estimé à 25 milliards d’euros par an, a vite compris qu’il fallait agir de façon dissuasive pour contrer ce fléau. Désormais, l’Allemagne fait intervenir les conséquences de la contrefaçon lors des négociations commerciales qu’elle entretient avec la Chine. Cette mesure lui permet donc de compenser les pertes économiques liées à la contrefaçon en provenance de Chine.

La France qui détient les plus grandes marques de luxe, victimes des contrefaçons chinoises devrait s’en inspirer !

A l’instar des instances internationales de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la lutte contre la contrefaçon doit se doter d’un organisme intergouvernemental tel le Groupe d’action financière (GAFI). Ce «GAFI de la contrefaçon» aurait pour objectif de concevoir et de promouvoir, tant sur le plan national qu’international, des stratégies efficaces visant à contrer le phénomène de contrefaçon, tout en développant la veille afin de faciliter l’échange d’informations. De la même manière que les fameuses 40 Recommandations du GAFI, celui-ci offrirait un ensemble complet de contre-mesures en matière de justice pénale et d’application des lois déjà en place.

Compte tenu la production très organisée des réseaux de contrefaçon, les pouvoirs publics ne peuvent pas se contenter de mettre en place des processus de répression, mais il demeure nécessaire de sensibiliser les consommateurs de l’ampleur de ce fléau. La sensibilisation du consommateur est encore insuffisante. Si son impact sur la santé commence à se faire ressentir, ses conséquences sur l’emploi, l’économie locale et la compétitivité des entreprises demeurent encore très mal intégrées.

Bien que touchant indifféremment tous les secteurs de production, la contrefaçon se fait particulièrement préjudiciable pour l’industrie du luxe. La montée en qualité des articles de luxe contrefaits pose de nouvelles difficultés aux entreprises françaises et rend nécessaire leur implication dans la lutte contre ces pratiques illicites.

Il est évident que la contrefaçon constitue un pillage du savoir-faire et de l’image des marques de luxe. Lutter contre ce fléau reste une tâche ô combien difficile compte tenu les mutations que connait cette pratique. Actuellement, Internet, le canal de diffusion par excellence de la contrefaçon des produits de luxe, constitue un des aspects les plus délicats, de par son absence de frontières et l’anonymat derrière lequel se cachent les trafiquants.

Dans une optique d’intelligence économique, la veille sur Internet peut s’avérer judicieuse, notamment sur les sites de ventes aux enchères, les sites de ventes aux professionnels généralistes ou dédiés à une catégorie de produits. Cependant, le cadre légal doit être davantage approfondi afin de dissuader ou du moins sanctionner les contrefacteurs, mais il doit aussi et surtout être en mesure de dédommager les marques de luxe victimes de contrefaçon.

Force est de constater que les maisons de luxe n’hésitent pas à recourir à des initiatives privées, en atteste la technologie de communications radio à courte portée NFC (Near Field Communication) qui a intéressé ces dernières, soucieuses de développer de nouvelles solutions pour la lutte contre la contrefaçon. Cette technologie dispose d’une sécurité inégalée, ainsi que d’une possibilité d’authentifier un produit avec un simple smartphone NFC. En effet, n’importe quel téléphone NFC peut faire office de lecteur et donc servir à authentifier un produit.

Un autre élément doit être pris en compte dans cette logique de lutte anti-contrefaçon, à savoir l’emploi des codes à barres considérés comme étant les précurseurs des moyens de traçabilité. Ils utilisent divers protocoles de codification, lesquels diffèrent en fonction des contraintes d’utilisation ou de normalisation. Ce sont les premiers codes à avoir été imprimés sur des emballages ou sur des étiquettes de produits. En effet, ces codes contiennent des informations sur le produit (lieu de fabrication, date…). Un code à barres qui ne serait pas répertorié dans la base de données du revendeur est donc la preuve irréfutable qu’on a à faire à une contrefaçon.

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence les coûts financiers considérables que nécessitent le recours à de telles technologies, quelles soient optiques, électroniques ou biotechnologique. Leur mise en application demeure, de ce fait, un frein pour les entreprises françaises et ce, malgré leur volonté de lutter contre la contrefaçon.

Une chose est sûre, depuis les accords sur les ADPIC qui consistent à assurer que des mesures visant à faire appliquer la loi soient prises, on note que le partage de l’information ne pose plus de problèmes ; les marques de luxe partagent désormais l’information avec la police, puisqu’elles n’hésitent plus à déposer plainte en cas de contrefaçon.

En définitive, que cela soit par le biais des pouvoirs publics, au niveau européen, international, ou alors par les titulaires de marques elles-mêmes, la protection de l’industrie stratégique, qu’est l’industrie du luxe, est une nécessité pour la France ; tant du point de vue extérieur où elle permet à l’Etat de maintenir ou d’accroitre sa puissance, que sur le plan intérieur où elle permet une conservation des emplois, enjeu primordial en temps de crise.

A la veille de l’avènement de l’impression 3D, qu’en sera-t-il de l’adaptation des mécanismes de lutte contre la contrefaçon, déjà en difficulté face à l’extrême mutation dont profitent ces réseaux criminels ?

Yassine AFIA

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