Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

La politique de visibilité de l’Azerbaïdjan

En conflit gelé avec l’Arménie voisine au sujet du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan lance une offensive de soft-power à destination de qui le voudra et surtout du monde occidental. L’objectif est double : dégager par « des dons » une bonne image du régime de Bakou et rassembler des soutiens diplomatiques pour récupérer l’objet du conflit avec Erevan. Focus sur les hommes et structures qui incarnent ce soft-power azéri.

Les motivations de cette stratégie

L’État post-soviétique d’Azerbaïdjan (AZE) mène une politique d’équilibre pour maximiser ses intérêts stratégiques entre Turquie (TUR), Iran, Russie et États-Unis (É-U). A l’indépendance les défis sont multiples et pas des moindres, tels que basculer vers une économie de marché, développer des projets énergétiques de grande ampleur et surtout gérer le conflit du Haut-Karabakh (H-K).

L’AZE qui a mal vécu cet échec face à l’Arménie (ARM)[i] cherche dès lors autant qu’il le peut à faire entendre sa voix en ce qui concerne la question du H-K. Le pays s’est, pour ce faire lancé, dans une politique de communication et lobbying. C’est depuis cette défaite (avec le statut-quo de 1994 à l’avantage des Arméniens) qui a touché la fierté azérie, que le pays tente de faire parler positivement de son identité en mobilisant ses excédents pétroliers, ses réseaux, sa « diaspora », et en misant sur différentes actions de visibilité.

Bakou mène sa politique étrangère en tandem avec Ankara, mais cherche à élargir les soutiens diplomatiques. Culturellement, les deux États partagent de nombreux points communs comme la turcité mais surtout une adversité envers le peuple arménien[ii]. L’AZE investit massivement en TUR (via son fond souverain SoFAz et la compagnie Socar près de 20 milliards $ depuis l’indépendance azérie), ce qui lui assure le soutien d’Ankara au sujet du H-K. La TUR par mesure de soutien à l’AZE exerce un blocus à l’ARM. La politique de l’AZE, de visibilité est mise en place pour affronter la diaspora arménienne (qu’elle surestime), dans les pays clefs des relations internationales.

C’est d’ailleurs ce que révèle le bureau The European Azerbaijan Society (TEAS), organe de relations publiques azéries en Europe occidentale : « L’ennemi de l’Azerbaïdjan, n’est pas directement l’Arménie qui est sous perfusion de Moscou, mais sa diaspora qui est influente et puissante dans plusieurs pays de la planète ». Voilà pourquoi Bakou, se lance dans une politique de soft-power, de visibilité. Ce jeune État méconnu en FRA, cherche à montrer son existence sur la carte mondiale, dans un registre semblable à celui du Qatar. Il tente, par des événements culturels, caritatifs ou encore des investissements dans le sport, de créer de la sympathie et de se faire des alliés dans son combat d’existence régionale dans le Caucase.

Les hommes clefs de cette politique et le partage entre clans

Le clan présidentiel : Le président Ilham Aliyev dirige le pays depuis 11ans il a hérité du pouvoir des mains de son père Heidar Aliyev, et tient fermement les rennes du pays.

Il fait parti du « clan du Nakhitchevan » qui d’après Eldar Namazov, représente 4% de la population du pays mais dispose d’une très forte influence sur le pays.

Le clan présidentiel faible numériquement, est associé au « clan des Kurdes » auquel Hafiz Mammadov, homme d’affaires (actif dans le football européen), détient un des outils de la visibilité azérie en France. Il est intéressant d’observer le poids des structures claniques ou « groupement régional » ,pour utiliser la formule de B. Sidikov, qui souligne plutôt la solidarité régionale. Il y a visiblement une distribution des rôles. V.Avioutskii, spécialiste de la région, parle d’une alliance et d’un partage des rênes du pays entre les clans du Nakhitchevan, des « Arméniens » (azéris d’Arménie), et des Kurdes. Les personnalités qui mènent le soft-power azéri gravitent autour du clan présidentiel et des clans précités.

Hafiz Mammadov

H. Mammadov est l’actionnaire majoritaire du R.C Lens : la vitrine sportive de l’AZE en FRA. Il dirige le club nordiste et possède des actions au sein de l’Atletico Madrid. Pour l’heure, les deux clubs n’ont rien de comparables à l’outil d’influence du Qatar qu’est le PSG mais peuvent, avec des investissements accroitre, la visibilité de l’AZE en Europe. Le sport véhicule des valeurs, et offre une très forte visibilité. Le régime de Bakou finance avec les conseils de H.Mammadov des campagnes de sponsoring maillots « Azerbaijan Land of Fire » avec des clubs prestigieux comme Lens, l’Atletico Madrid, Sheffield, ou encore Porto.

Tale Heydarov en Europe

TEAS est le pendant européen de l’action azérie. Tale Heydarov, fils d’un ancien ministre des Situations d’urgences, Kamaladdin Heydarov, préside ce « mouvement paneuropéen ». Maints sont les décideurs politiques européens à recevoir des cadeaux qui illustrent bien la réputation de Caviar diplomacy qu’entretient l’AZE. En sus de séduire les élus, les « organisations azéries »[iii] organisent des événements culturels comme à St-Germain des près ou un mois de promotion culturelle du pays à Cannes en Juillet 2014, tout ceci afin de faire parler de la culture de cet État du Caucase et créer des liens entre celle-ci et la culture Judéo-Chrétienne.

Annar Mammadov et l’action en Amérique

Le fils du très influent ministre des transports Z.Mammadov, Anar Mammadov a été propulsé à la tête d’une fondation aux contours relativement opaques : The Azerbaijan America Alliance (AAA) basée à Washington. L’AAA a pour objectif de manifester la sympathie et de promouvoir le régime de Bakou aux É-U. Ses actions sont ciblées notamment sur le financement du mémorial de Pennsylvanie pour les victimes du Vol UF-93 crashé le 11/09/2001, les deux-tiers des 60 millions de dollars sont réglés par la fondation.

Toujours via l’AAA, l’AZE se lance dans une concurrence victimaire avec le génocide des Arméniens et tente de porter atteinte à la reconnaissance de ce dernier. L’action azérie se matérialise par la location d’encarts publicitaires à Time Square « Pour la reconnaissance du génocide de Khojaly », via le financement de pétitions pour la pénalisation dudit génocide. Le troisième volet se traduit par une politique de « séduction » envers les congressmen (B. Shuster, J.R.Pitts, Allyson Y.Schwartz), par des diners-conférences pour sensibiliser les policymakers à la cause azérie. Les É-U et leurs majors du pétrole préfèrent largement soutenir les intérêts d’un État pétrolier comme l’AZE plutôt que celui de l’ARM, État économiquement proche de la Russie. Pour influencer la politique américaine, l’AZE collabore avec les prestigieux cabinets de lobbying que sont Podesta et Livingston pour gagner en sympathie.

Mehriban Aliyeva et la HAF

La fondation Heidar Aliev (HAF) est la troisième structure du soft-power azéri. Elle est dirigée par Mehriban Alieva qui n’est autre que l’épouse du président azéri. Son action s’inscrit dans une vingtaine de territoires dans le monde ou elle finance des projets d’égalité des genres, de culture, protection de l’environnement, de développement. En politique internationale, la philanthropie n’existe pas. Il est évident que sous couvert de générosité à des pays peu développés comme à des États tels que l’Allemagne, le Vatican, les É-U, ou la Russie, ladite fondation cherche à faire de ces pays ses alliés. L’objectif est clairement de s’en faire des soutiens pour les futures échéances, pourparlers, réunions.

En FRA, la HAF a financé la restauration de deux églises[iv] dans la circonscription d’un sénateur ami de l’AZE, ardent promoteur de l’adhésion azérie de 2001 au Conseil de l’Europe et membre du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan. Les actions de la HAF sont également dirigées vers des lieux plus prestigieux comme le don d’un million d’euros pour financer une salle consacrée à l’art islamique au Louvre. En 2007, la HAF contribue à une restauration de la cathédrale de Strasbourg et réalise un don auprès du château de Versailles.

Le président Ilham Aliyev et les « outils étatiques »

L’AZE accueillera les premiers jeux européens en 2015 à Bakou. C’est indirectement I.Aliyev qui contrôle les décisions nationales et celles de Socar (la compagnie nationale d’hydrocarbures d’AZE). Socar complète cette stratégie par sa publicité au sein des stades et sera de surcroît le partenaire officiel de l’UEFA. Dans la foulée, l’AZE accueillera la coupe d’Europe 2020 de football qui se déroulera dans treize villes européennes. Cet événement tout comme le grand prix de Formule 1 en 2016 offrira au pays une visibilité sans commune mesure avec les autres évènements organisés jusqu’à présent. Le sport est le premier levier, épaulé par les actions de structures que sont TEAS, l’AAA et enfin HAF.

Pour les investissements de prestige, SoFaz est employé en partie pour l’immobilier de luxe, avec l’acquisition du 8 place Vendôme ou bien encore d’un immeuble londonien.

Ces actions de visibilité, aux apparences désintéressées pour certaines, ne sont autres que des investissements pour l’avenir que cherche à obtenir le régime de Bakou. Ceci pour assurer sa survie et obtenir des soutiens à propos du H-K. L’AZE mène une véritable politique d’influence en tentant de masquer les facettes négatives de son régime pour se présenter comme tolérant, progressiste. Ces manœuvres sont réalisées afin d’être mieux perçu par l’Occident. Dans le même temps il y a l’intention de faire taire les critiques dont Bakou est la cible à propos du traitement aux opposants du régime Aliyev. Via toutes ces actions, l’AZE tente de compenser son déficit démocratique, de diffuser sa vision des évènements au H-K en contrecarrant le lobby arménien et enfin de gagner en légitimité dans les cénacles de décideurs politiques, économiques et culturels des États influents de la planète. Les excédents budgétaires ont une grande utilité pour être visible (particulièrement dans un contexte économique délicat) ou se racheter une réputation ; l’AZE l’a très bien compris.

Arkadi Kara
 

[i] Il faut savoir qu’en 1991, le PIB azéri est équivalent à près de cinq fois le PIB arménien, et que la population et la superficie de l’Azerbaïdjan sont trois fois supérieures à celles de l’Arménie. (Source Banque Mondiale)

[ii] L’Arménie est perçue comme : « un os dans la gorge du monde islamique » (Garik Galystyan, 2007)

[iii] « TEAS en Europe, AAA en Amérique, et la fondation Heidar Aliyev sous l’étiquette de fondation ou ONG. Il existe aussi des structures étatiques qui financent des actions de sponsoring comme Socar (Compagnie nationale d’exploitation des hydrocarbures), ou encore dans une volonté de rentabilité le SoFAz (Fond Souverain Azéri).

[iv] Les églises chrétiennes d’Azerbaïdjan érigées par les arméniens ne bénéficient pas du même traitement et sont systématiquement rasées, notamment dans le Nakhitchevan, fief de la famille Aliyev.