Aujourd’hui première économie mondiale, la Chine poursuit son ascension fulgurante notamment au travers d’investissements à l’étranger. La France en subit actuellement les retombées médiatiques, avec le rachat par des investisseurs chinois de 300 millions d’euros de participations de l’aéroport de Toulouse Blagnac. L’occasion d’analyser la stratégie des investissements chinois en France et d’en comprendre les enjeux mais aussi les risques.
Les investisseurs
Ces investissements sont opérés par de grandes entreprises d’Etat ou des fonds souverains. Il s’agit principalement de prise de participations. Nous pouvons citer les exemples suivants : deuxième constructeur automobile chinois, Dongfeng, est entré à hauteur de 14% dans le capital de PSA, en février 2014 ou encore Hainan Airlines s’est arrogé 48% du capital du transporteur français Aigle Azur en 2011. Ces entreprises sont toutes des fleurons de l’économie chinoise et contrôlée majoritairement par l’Etat chinois.
Des fonds franco-chinois sont également créés dans la droite ligne de la politique française d’accueillir en masse les investissements chinois. En 2012 a été lancé le fonds d’investissements commun franco-chinois à destination des PME. Géré par Cathay Capital et financé à parité par la China Development Bank et Bpi France, il a pour vocation d’aider les PME chinoises et françaises à se développer à l’international. Cathay Capital est la première société de gestion franco-chinoise. En mars 2013, a vu le jour un autre fonds pour les entrepreneurs, baptisé Sinofrench (Midcap) Fund, géré lui aussi par la Cathay Capital. En plus d’aider les PME en France et en Chine, ce nouveau fonds permet également d’investir en dehors de l’Europe, car la Chine a des objectifs qui s’étendent sur l’ensemble du continent européen. Les investissements chinois en Europe ont augmentés de 16% en 2013 et notamment en Allemagne où l’empire du milieu investit dans l’automobile, l’ingénierie et la construction afin d’acquérir de nouveaux savoir-faire.
Les enjeux pour la Chine
Afin de suivre les recommandations du XIIème plan quinquennal, la Chine cherche avant tout à acquérir les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de plus en plus croissants de la population chinoise et maintenir sa croissance. Ces investissements lui servent également à prendre des positions sur des marchés français. Ils s’effectuent dans des domaines stratégiques pour la consommation et le développement chinois.
En ce qui concerne l’automobile, après de longues négociations PSA a accordé 14% de son capital à Dongfeng. Il s’agit du plus gros investissement chinois en France. Dans un contexte de forte demande automobile en Chine, il s’agit surtout pour PSA d’avoir l’appui d’un groupe chinois afin d’accroitre ses ventes sur le territoire Chinois, ventes qui ont augmenté de 27.7% en 2014. La construction d’une quatrième usine et d’un centre de R&D en Chine bénéficieront aussi à l’emploi chinois et à la synergie des techniques industrielles.
Dans le domaine agroalimentaire, le scandale du lait frelaté en 2008 a provoqué une vague de contestations concernant les normes sanitaires en Chine très peu contrôlées ou respectées voire inexistantes. Pour remédier à ce problème, le 3ème grand groupe de nutrition infantile en Chine, Synutra, a décidé d’investir dans la construction d’une usine de poudre de lait à Carhaix. En partenariat avec le groupe français Sodiaal (propriétaire de Yoplait), la Chine mise avant tout sur la qualité du lait français pour faire remonter la côte de popularité de la marque chinoise, mais elle compte aussi moderniser les installations de l’usine et employer environ 260 personnes.
Autre grand domaine stratégique, celui des ressources énergétiques. Face à une demande de plus en plus croissante, la Chine se doit de fournir ses industries et populations en électricité. C’est pourquoi en 2011, l’Etat chinois a investi 3 milliards d’euros dans le groupe français GDF Suez. Plus précisément, c’est le fonds souverain China Investment Corporation (CIC), dirigé par Lou Jiwei, membre du comité central du parti communiste, qui prend ainsi 30% des parts de la branche exploration du groupe français. Le PDG français Gerard Mestrallet a éprouvé le besoin de préciser qu’il n’y aurait pas de transfert de technologies.
Paris attire toujours autant mais la région lyonnaise est également très dynamique pour les investisseurs chinois. Ainsi entre 2008 et 2012 Bluestar Silicones a bénéficié de 128 millions d’euros pour moderniser les usines et accroitre les capacités de production. Le methylchlorosilane produit par Bluestar est utilisé dans de nombreux secteurs (construction mécanique, pharmaceutique, chimie transports etc), d’où un intérêt pour la Chine. NFM Technologies, entreprise mécanique de haute technologie, a été rachetée en 2007 par NHI Group, un conglomérat industriel étatique chinois. Cela rentre dans l’objectif d’urbanisation de la Chine, ce rachat lui a permis d’obtenir les outils nécessaires aux constructions de ponts et tunnels.
Ces investissements massifs font partie de la stratégie chinoise de sécuriser ses approvisionnements de marchandises et de ressources énergétiques. De plus, ils lui permettent d’acquérir de nouveaux actifs stratégiques pour monter en gamme tant à l’international que sur son marché domestique. Ces différentes infrastructures sont étudiées en fonction de leur intérêt pour la croissance et la demande chinoise.
Même si la Chine appelle ces investissements des jeux gagnant-gagnant, il semblerait que ce ne soit pas toujours le cas. En ce qui concerne l’automobile, la première voiture française du top 50 des meilleures ventes automobiles en Chine en 2014 n’arrive qu’à la 38ème place. Il s’agit de la Citroën Elysée. Cela est dû à un déficit des points de vente, 442 en tout. Une goutte d’eau face aux 2 400 concessionnaires du leader Volkswagen. En général Peugeot-Citroën reste à la traine face à Volkswagen. Sur les neufs premiers mois de 2014 Dongfeng-PSA a écoulé 518 000 véhicules en Chine contre 2.72 millions pour Wolkswagen : la conquête du territoire chinois par la marque française est difficile.
Quels sont les risques ?
Il apparait évident que les risques concernent principalement la terre d’accueil de ces investissements. Les principaux dangers sont notamment l’espionnage industriel et les transferts de technologies qui pourraient être dommageables aux entreprises françaises. De nombreuses affaires d’espionnage industriel ont été rapportées ces dernières années mais les entreprises françaises accueillent toujours plus de stagiaires chinois sans enquête préalable.
De plus, dans le domaine alimentaire, un incident sanitaire survenant à un endroit de la chaine de distribution, entre la France et la Chine, pourrait nuire à l’image de la marque française et ce à travers le monde entier. Plus on s’éloigne du territoire d’origine plus les contrôles sont difficiles et répondent à des normes différentes.
Concernant les différences culturelles et managériales, des entreprises critiquent le processus de prise de décisions qui a tendance à suivre l’avis chinois, et donc de l’Etat, sans réunion avec les différents pôles décisionnels français. L’Etat chinois contrôle donc ces entreprises en suivant ses objectifs de croissance intérieure et d’influence extérieure.
Les employées ont également des craintes en ce qui concerne de possibles délocalisations en Chine, ou bien que la Chine concurrence leurs produits sur le territoire asiatique avec les techniques acquises en France. Ce n’est pas dénué de fondement : en 2011, le groupe chinois Yto rachète l’entreprise McCormick France (usine de tracteurs). Depuis, l’usine française tourne au ralenti et les salariés attendent les commandes de tracteurs promises, alors que Yto a commercialisé en Chine un tracteur possédant une boite de transmissions McCormick.
Il est clair que la relation de la France avec le dragon chinois est inéquitable, la stratégie de la France n’est pas du type gagnant-gagnant. Le déficit commercial entre les deux pays tend à le confirmer (25.8 milliards d’euros en 2013). La France investit beaucoup (1.6 milliards d’euros en 2013) en Chine mais au final pour quels résultats ? On remarque que l’empire du milieu, contrairement à la France, a une vraie stratégie offensive guidée par l’Etat au travers des entreprises chinoises qui « infiltrent » peu à peu les grandes entreprises françaises.
Aux vues de l’assouplissement de la procédure d’obtention de visas pour la France, que ce soit pour les étudiants ou les investisseurs, la Chine acceptera plus facilement encore d’investir dans nos entreprises et d’importer des produits français. Mais à quel prix pour la France ? Les entreprises françaises resteront-elles toujours françaises ? Jusqu’où la prise de participation chinoise peut-elle aller ? Par ailleurs, la Chine applique des règles très strictes pour les entreprises étrangères souhaitant s’installer en Chine ou bien y investir et notamment dans les secteurs dits stratégiques (7 secteurs stratégiques en 2012). Ne serait-ce pas de notre ressort aussi de protéger nos industries, nos compétences, en pleine période d’incertitude concernant l’Europe ? Ou au moins de prendre des mesures pour que les relations commerciales avec la Chine soient réellement profitables pour la France.
Elodie Le Gal