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Palantir Technologies, la start-up qui a révolutionné le monde du renseignement

Dans un contexte sécuritaire particulièrement sensible, le marché des logiciels de renseignement est en plein boom : Palantir Technologies, une start-up implantée à Palo Alto (Californie) qui vient d’être valorisée à 15 milliards de dollars US est la parfaite illustration de la mutation de ce secteur. Qui sont ces nouveaux acteurs ? Quelle est la situation en France ?

Palantir Technologies est une start-up discrète basée à Palo Alto, créée par le co-fondateur de PayPal et proche d’Elon Musk Peter Thiel, et dirigée par l’excentrique Alex Karp. Pourtant fondée il y a 11 ans et valorisée en novembre 2014 à 15 milliards de dollars US, la société garde toujours une image de start-up atypique : son nom vient de l’œuvre de Tolkien Le Seigneur des Anneaux ; ses employés sont jeunes, dynamiques, mais tous issus des prestigieuses universités américaines ; l’entreprise organise régulièrement croisières et voyages pour ses équipes alors que son dirigeant disserte sur des sujets philosophiques tels que le marxisme, l’avarice et l’intégrité à travers une chaîne vidéo intranet spéciale nommée KarpTube. Mais derrière l’image « cool » de la start-up se trouve en fait l’une des entreprises privées les plus influentes du renseignement américain. En effet, cette dernière aide des agences gouvernementales, des entreprises et de grandes multinationales à récolter, analyser et traiter des données. Parmi ses clients : la CIA, la NSA, le FBI ou encore la Bank of America.

Palantir la bonne solution au bon moment

En 2004, Peter Thiel (adepte du libertarianisme et fervent défenseur des libertés civiles) ainsi que des associés de PayPal développent une plateforme d’analyse de données. Initialement inspirée des technologies anti-fraude sur lesquelles ils ont travaillées chez PayPal, elle a été utilisée par la communauté du renseignement américain (la CIA est à la fois cliente et investisseur par le biais de son fond d’investissement in-Q-tel), dans le but de déjouer les conspirations terroristes, et s’ouvre par la suite aux administrations locales et aux entreprises privées du secteur financier et sanitaire pour déceler les fraudes bancaires et de sécurité sociale.

Les services de renseignements et agences gouvernementales américaines qui deviennent de plus en plus dépassés par des informations complexes et intriquées, et ce, durant des opérations nécessitant des prises de décisions rapides à l’instar de la guerre en Afghanistan, adoptèrent Palantir pour sa simplicité et son efficacité. En effet, pour ne citer que quelques exemples, elle est derrière la découverte du réseau d’ordinateurs infectés par GhostNet, a aidé à coincer Bernard Madoff en analysant 40 ans de données, a aidé à la traque d’Oussama Ben Laden ou encore plus concrètement est utilisé aujourd’hui par les enquêteurs de la police de Los Angeles (LAPD) sur le terrain.

Aujourd’hui, Palantir, notamment grâce aux anciens managers de PayPal, continue à grandir et à recruter, avec 1 200 employés en 2013 et plusieurs sièges à travers le monde notamment à Abu Dhabi, Tel Aviv, Australie, Nouvelle-Zélande ou en Asie. Elle compte parmi ses conseillers l’ancienne secrétaire d’État des États-Unis Condoleeza Rice, les anciens directeurs de la CIA George Tenet et David Petraeus (également ancien général de l’armée américaine et commandant en chef de la force internationale en Afghanistan).

D’un point de vue technique

Palantir a donc initialement été développée comme une extension du système de détection de fraude de PayPal, afin de signaler les mouvements bancaires suspects pour que des humains puissent les analyser et les observer : ces derniers ont finalement été dépassés par l’ampleur des traitements. En parallèle, le programme n’arrivait plus à rester à jour et à suivre l’évolution des techniques des fraudeurs et les volumes de données impliquées.

En réponse à cela, les anciens développeurs de PayPal ont créé un système qui applique la technologie “natural language interface”, c’est-à-dire accessible à tous, dans un langage non-informatique, à des banques de données. Ainsi cela permet de relier à des personnes ou des utilisateurs, des données de communication (téléphone, SMS, e-mail, IM, facebook, etc.), des mouvements bancaires ou encore des informations open-source. L’agrégation de ces données et leurs relations résulte en un schéma ou une visualisation interactive totalement différente des classeurs Excel traditionnels, permettant de rapidement trouver des anomalies.

Deux logiciels ont été développés et commercialisés à ce jour : Palantir Gotham pour tout ce qui concerne le renseignement, et Palantir Metropolis pour le domaine finance, visant les banques et les fonds d’investissement (JP Morgan par exemple). Les deux noms renvoient encore une fois à un univers geek et nerd complètement assumé par l’entreprise.

Aujourd’hui Palantir subit des pressions : tout d’abord on lui réclame de plus en plus de transparence, car en plus d’une activité sensible, la société cache une machine de marketing et de lobbying extrêmement puissante ; mais en plus, les défenseurs des libertés civiles lui reprochent la collecte des données personnelles utilisateurs via les réseaux sociaux ainsi qu’à travers leurs requêtes des moteurs de recherche, Google en particulier.

Palantir est un bon exemple du lien étroit existant entre les entreprises privées et les agences gouvernementales américaines. Ce qui fut un système de détection de fraude bancaire est devenu aujourd’hui l’entreprise privée la plus puissante du renseignement américain. Il serait intéressant de voir son utilisation dans le secteur de l’intelligence économique, et, pourquoi pas, voir émerger un Palantir à la Francaise.

Un Palantir à la Francaise ?

Á l’inverse des États-Unis, en France, il n’existe pas pour le moment de société spécialisée dans le data mining et encore moins connectée aux instances étatiques pour les aider dans leurs besoins (à l’instar de Palantir). Cependant l’opérateur Orange propose une solution en Open Source avec quelques d’add-ons en vue de faire par exemple du text mining ou de la bioinformatique. Cela reste une initiative privée et il n’y a pas pour le moment de volonté affichée des pouvoirs publics de lancer des recherches dans ce domaine afin de développer et de doter la France d’une suite d’outils nationaux. Pourtant les enjeux sont colossaux car avec le cloud computing, le Big Data et l’apparition du Web 2.0, le volume de données numérique explose. L’exploration des données grâce à des outils spécifiques à des domaines tels que l’aérospatiale, la biologie, la sémantique ou encore la vidéo, revêt donc une importance stratégique majeure dans le futur.

La France se veut être leader mondial dans le secteur du Big Data ; or, pour exploiter tous ces gisements de données, elle se doit de se doter d’outils adéquats et performants. En effet, si les pouvoirs publics arrivent à résoudre les contraintes juridiques liées à la vie privée et à l’éthique, le data mining dans le secteur médical notamment, promet d’être un vecteur de prévention de santé publique formidable avec, par exemple, la possibilité de découvrir des vaccins nouveaux, insoupçonnés par les méthodes de recherches traditionnelles.

Zak Allal, Martin Biéri, Sylvain Gemberlé