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Le Chili, pays latino-américain ou Pacifique ?

Premier exportateur mondial de cuivre, 92 % des flux commerciaux chiliens avec l’étranger se font par voie maritime via le Pacifique. Ce fait conditionne la stratégie d’intégration régionale du pays, en 2012 celle-ci s’est concrétisée par la création de l’Alliance du Pacifique.

Au départ une des zones les plus pauvres de l’empire espagnol, le Chili possède aujourd’hui le PIB par habitant le plus élevé d’Amérique latine. Son éloignement des principales routes commerciales comme la faiblesse de son marché intérieur l’ont amené à développer une stratégie agressive basée sur la conquête de sources de matières premières et leur exportation à travers l’océan Pacifique. Ainsi, suite à la seconde guerre du Pacifique (1879-1883), furent annexés la façade maritime bolivienne et les provinces péruviennes de Tarapaca et d’Atica. Ces régions assurent aujourd’hui la totalité de la production minière chilienne et l’essor économique du pays.

Un modèle économique tributaire de la demande asiatique

Le modèle économique chilien est toujours très influencé par l’extraction du cuivre. Les exportations constituent 33 % du PIB et le cuivre représente 52 % de celles-ci. La production est sous le contrôle de l’état par l’entremise de Codelco, seule entreprise publique à n’avoir jamais été privatisée. Le Chili produit aussi de l’or et de l’argent, ainsi qu’un tiers de la production mondiale de lithium.

L’Asie est le premier destinataire des exportations chiliennes, 43,6 % des exportations lui sont destinées. La Chine représente à elle seule 37 % des achats de cuivre. Cet état de fait induit une importante dépendance de l’économie chilienne à la demande chinoise.

L’Amérique du Sud reste la principale zone d’expansion des entreprises chiliennes. Quatre pays reçoivent 80 % des investissements de capital (Brésil, Argentine, Colombie, Pérou). Concentré jusqu’en 2001 sur le secteur de l’électricité, l’investissement s’est diversifié d’abord à destination du transport aérien et de l’industrie puis, à partir de 2008, des services. Aujourd’hui ce secteur concentre 47 % de l’investissement chilien à l’étranger.

Réalisation de l’auteur

Une nouvelle intégration régionale au service du développement Pacifique

L’Amérique du Sud a connu récemment une multiplication d’accords d’intégration régionaux, pourtant la plupart de ces processus sont aujourd’hui bloqués. La Communauté Andine (cette orgnanisme créé en 1969 réunit la Bolivie, le Pérou, l’Equateur et la Colombie) est en perte de vitesse après la défection du Venezuela et le souhait de la Bolivie d’intégrer à son tour le MERCOSUR (Marché du Sud). Celui-ci connaît une paralysie due aux poussés protectionnistes de l’Argentine et, dans une moindre mesure, du Brésil.

Les projets d’intégration à l’échelle du continent sont en partie motivés par le rejet de l’influence Nord-Américaine, d’autre part le transfert de souveraineté nécessaire à une intégration politique est unanimement rejeté. Ainsi, la création de la CELAC (Communauté d’Etats Latino-Américains et Caraïbes) répond plus à un besoin de coopération en dehors de la tutelle exercée par les États-Unis à travers l’OA qu’à une réelle volonté d’intégration.  L’UNASUR (Union des Nations Sud-Américaines) constitue aujourd’hui la plus sérieuse tentative d’intégration régionale, mais son échec à fusionner en son sein le MERCOSUR et la Communauté Andine démontre ses limites. Le Chili est, en Amérique latine,  le principal allié des États-Unis, les deux pays ont signé un accord de libre-échange en 2003 et entretiennent une étroite coopération militaire.

Le dynamisme de l’Alliance du Pacifique, dont le Chili est un membre fondateur, contraste avec cet immobilisme. Celle-ci rassemble les détenteurs des principaux ports par où transitent les exportations chiliennes. Ces pays ont exonéré en 2014 les droits de douane sur 92 % de leurs échanges commerciaux. Le Panama négocie actuellement son intégration à l’alliance et le Costa Rica comme l’Uruguay ont fait part de leur intérêt. Le premier objectif de l’Alliance du Pacifique est clairement de favoriser le libre-échange et de conquérir des marchés sur la zone Asie-pacifique, ainsi sept missions diplomatiques conjointes ont été créés dans ce but.

Une nouvelle zone de libre-échange, le Partenariat Transpacifique, doit prochainement s’ouvrir à l’économie chilienne. Actuellement constituée du Chili, de la Nouvelle-Zélande, de Singapour et de l’émirat du Brunei, les négociations, emmenées par les États-Unis, étendront cet accord aux principales économies de la région Pacifique, Chine exceptée. Cette initiative prendrait le relais de l’APEC, accord non-contraignant visant à promouvoir les échanges entre ses membres.

Depuis la chute de la dictature, le Chili a mis sa politique étrangère au service de ses exportations. Il accumule aujourd’hui les traités de libre-commerce, 23 accords avec une soixantaine de pays. Il a été en 2010 le premier pays d’Amérique du Sud à rejoindre l’OCDE. En 2014, le Chili a accepté l’arrêt de la Cour Internationale de Justice portant sur la délimitation des eaux territoriales avec le Pérou et mettant fin à une contestation remontant à la Guerre du Pacifique.

Une volonté de réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de l’Amérique du Sud

L’industrie minière chilienne est dépendante de l’étranger pour son approvisionnement en énergie. En effet, 61 % des ressources énergétiques du pays sont importées. La production d’électricité chilienne couvre les besoins de l’économie, mais son coût demeure le plus élevé d’Amérique du Sud. Il constitue un frein important au développement des entreprises et de la production minière. Les besoins énergétiques du secteur minier sont susceptibles de doubler d’ici à 2025, accentuant encore la dépendance énergétique du Chili.

Le cas du gaz illustre les dangers de cette dépendance. Au début des années 90 le Chili, confronté à une pénurie d’énergie, commence à importer du gaz argentin. Grâce à un tarif avantageux, la part du gaz atteint rapidement 25 % des sources de production d’électricité. En 2007, après avoir restreint les envois de gaz, l’Argentine décide d’y mettre un terme. Le Chili dût faire face à un déficit énergétique qu’il comble aujourd’hui en important du gaz de Trinité et Tobago (84 % des importations de gaz en 2013).

Les dérivés du pétrole satisfont plus d’un tiers de l’ensemble des besoins énergétiques du pays, la production pétrolière chilienne est insuffisante pour répondre à cette demande. En 2013 le Chili a dû importer 98 % de sa consommation de pétrole brut. Ses principaux fournisseurs sont l’Équateur (45 %), le Brésil (20 %) et le Canada (20 %). Dans le but de diversifier ses sources d’importation, des accords ont été conclus en 2014 avec l’Angola et l’Indonésie. De même, 85 % du charbon consommé au Chili est d’origine étrangère, principalement de Colombie (54 %) et des États-Unis (30 %).

La dépendance énergétique du Chili s’exerce aussi vis-à-vis d’entreprises étrangères. Ainsi GDF Suez est responsable d’un quart de la production d’électricité chilienne. En partenariat avec Codelco, l’entreprise française construit le terminal de Mejillones, destiné à recevoir le gaz naturel nord-américain sous forme liquéfié.

Le gouvernement chilien mise sur les énergies renouvelables afin d’augmenter son indépendance énergétique. 45 % de la capacité de production d’électricité mise en place entre 2014 et 2025 proviendra de sources non-fossiles. À cette date, 20 % de l’énergie produite devra être renouvelable contre 3.8 % aujourd’hui.

Résultats

Le montant des exportations chiliennes à destination des pays asiatiques a été multiplié par six en dix ans et continue d’augmenter. Le développement d’un espace de libre-échange à l’échelle du Pacifique renforce l’intérêt du Chili pour la zone et le détourne de l’Amérique du Sud. Toujours dépendant du continent pour son approvisionnement énergétique, le Chili tente de s’en affranchir.

Au-delà des échanges commerciaux, le Chili partage avec les pays d’Amérique latine une langue, une culture et une histoire communes. Mais à l’opposé de l’orientation socialiste et protectionniste prise par beaucoup de gouvernements d’Amérique latine, le Chili a fait le choix de l’alliance avec les États-Unis et du modèle économique libéral.

Malgré des efforts pour normaliser ses relations avec ses voisins, le Chili est encore considéré avec méfiance. Ainsi les négociations pour attribuer un débouché maritime à la Bolivie sont au point mort. Les dépenses militaires du Chili profitent toujours de la « loi de réserve du cuivre » qui leur consacre 10 % du montant des ventes de cuivre à l’export de l’entreprise Codelco. Enfin, plusieurs initiatives parlementaires ont échoué à modifier la devise du pays qui demeure aujourd’hui encore « Par la raison ou par la force ».

Maxime Fernandez