Singapour, une success story asiatique

Ce 22 mars, Lee Kuan Yew, père-fondateur de Singapour est décédé, à l’âge de 91 ans. Figure historique de la cité la Cité du Lion, il a orchestré d’une main de fer son développement économique pendant les 30 passés à sa tête. Membre du gotha des places fortes financières à l’international, 2015 célèbre les 50 ans d’indépendance de la cité-Etat qui reste énigmatique sur la scène internationale.

Le rugissement de la cité du Lion

Malgré un léger déclin dans les années 50, Singapour est parvenue à relancer son économie après son indépendance obtenue en 1965 et ainsi à devenir l’un des pays au monde où le PIB par habitant est le plus élevé. La cité-Etat a enregistré pour 2013 une croissance de 14.1% et un taux de chômage de 1.8%, des chiffres exceptionnels dans le contexte économique actuel. Pour comprendre la prospérité de Singapour il faut connaitre celui qui a fait de la cité ce qu’elle est aujourd’hui : Lee Kuan Yew, premier ministre de 1959 à 1990, ministre senior durant les quinze années suivantes et co-créateur du parti au pouvoir, le Parti d’Action Populaire (PAP).

Durant ses années au pouvoir, Lee a transformé Singapour en se basant sur trois critères : la réorganisation de la sphère publique, la sécurité du pays et le management par les entreprises. L’île ne disposant pas de ressources naturelles, Lee décide de construire des infrastructures portuaires et aéroportuaires qui ont permis à la cité du lion de devenir le poumon économique de l’Asie, ainsi qu’un pôle mondial dans l’industrie de pointe et plus précisément dans les technologies de l’information. La main d’œuvre singapourienne est compétente et éduquée, ce qui lui permet de très bons résultats dans l’industrie pharmaceutique, la biochimie ou encore l’automobile.

Dès l’indépendance de l’île, Lee a tout de suite cherché la reconnaissance internationale et c’est ainsi que Singapour rejoint l’ONU en 1965 et participe à la création de l’ASEAN en 1967. Singapour a également développé son attractivité en offrant de bonnes conditions d’accueil pour les investissements directs à l’étranger (IDE) : en 2014, la ville est le premier pays d’accueil d’IDE en Asie du Sud-Est. Ces flux représentent 20,5% du PIB singapourien, ce qui très élevé comparé à la Chine, pour laquelle les investissements venant de l’étranger ne représentent que 1,5% de son PIB. Ce qui rend attractif l’île pour les investisseurs sont la qualité de ses infrastructures, sa localisation géographique ainsi que son système fiscal : l’impôt sur le revenu des personnes physiques est l’un des plus bas au monde, et le taux d’imposition des entreprises est de 17%, contre 33% en France. Un autre atout pour les entreprises est la corruption, quasi-inexistante du fait d’une politique gouvernementale très stricte. Transparency International a ainsi placé la cité-Etat à la cinquième place des pays les plus « vertueux ».

Une gourvernance par les « valeurs asiatiques » 

Lee Kuan Yew, père de la moderne cité-Etat qu’est devenue Singapour, a misé sur un développement autoritaire. Singapour n’a pas connu d’alternance politique depuis son indépendance, soit 50 ans. Même si les élections de 2011 ont fait apparaitre une légère progression de l’opposition, le PAP tient bon. Les lois sur le comportement social sont d’une grande sévérité et les châtiments corporels sont toujours admis, que ce soit pour les Singapouriens ou les étrangers. La grande majorité des médias sont aux mains de l’Etat et la moindre opposition au gouvernement entraine un harcèlement systématique ; internet est sous le contrôle du Media Development Authority, mais des progrès ont été faits concernant la censure. Aucune erreur n’est admise et les politiques ne sont votées que si elles sont bénéfiques à l’intérêt national. Par ailleurs, les fonctionnaires, représentant l’élite de la société, sont repérés dès leur plus jeune âge et bénéficent par la suite de bourses d’études dans les meilleures universités étrangères, avant de rentrer au service de l’Etat singapourien.

            Lee Kuan Yew

Lee Kuan Yew a dirigé la cité-Etat de la même manière qu’il aurait pu le faire d’une entreprise: mise en place d’une stratégie, ouverture vers l’extérieur, positionnement sur des secteurs clés et vision à long terme. Lee Kuan Yew a oeuvré pour le bien-être de la population, quitte à mettre en place des restrictions qui peuvent paraitre sévères. Ce qu’il a toujours proné ce sont les valeurs asiatiques: le paternalisme dont il a fait preuve est érigé en mode de gouvernement, le développement économique harmonieux de l’île est l’objectif principal de ses politiques et pour cela il faut un ordre social des plus rigoureux. Lee Kuan Yew s’est ainsi opposé aux valeurs occidentales, qui selon lui n’ont aucune légitimité pour imposer leurs normes et idéologie, notamment le principe de démocratie.

Des signes de fragilisation ?

Au final, Lee Kuan Yew a su transformer Singapour en alliant l’économie moderne à des valeurs confucéennes. Cependant, des critiques concernant plusieurs sujets se font entendre. Tout d’abord, le creusement des inégalités : à cause d’une inflation qui ne ralentit pas, environ 5% par an depuis une dizaine d’années, certains biens de consommation courants sont devenus extrêmement chers, voire inaccessibles pour certains Singapouriens. En effet, la classe la plus modeste voit ses revenus stagner alors qu’une partie de la population très éduquée et très internationalisée a vu son capital augmenter de manière surprenante.

Ensuite, l’immigration importante commence à susciter des inquiétudes. Singapour a, en effet, la plus grande proportion de population étrangère, environ 25% des résidents de l’île. En plus des cadres occidentaux, de nombreux ouvriers non qualifiés en provenance notamment du Bangladesh, du Sri Lanka ou encore de Chine viennent chercher une vie meilleure sur l’île. Ces ouvriers font craindre à la population de Singapour une pression à la baisse des salaires et une éventuelle menace sur les emplois. En 2012, des travailleurs chinois étaient entrés en grève pour protester contre de mauvaises conditions de logement et, plus récemment, en décembre 2013, des émeutes avaient éclaté parmi la communauté indienne, choquant l’opinion publique. Dans une société vantant son multi-ethnisme, les Singapouriens critiquent régulièrement la présence de ces travailleurs étrangers. La législation est d’ailleurs devenue plus stricte concernant l’attribution des visas de travail.

Pourtant, ces immigrants deviennent indispensables à l’économie dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie et des services (domestiques en particulier). La population malaise est, quant à elle, de plus en plus hostile au Parti au pouvoir. Les revendications de cette minorité, souvent défavorisée et exclue des postes à responsabilités sont probablement celles qu’il ne faut pas négliger compte tenu des différends économiques et politiques qui ont existés entre les deux pays.

Le gouvernement doit également faire face aux conséquences de sa politique de contrôle des natalités instaurée au début du développement économique du pays : la population vieillit et l’on commence à s’interroger sur un manque de main d’œuvre qualifiée, malgré un système éducatif des plus prestigieux.

C’est donc maintenant au tour du fils de Lee Kuan Yew, Lee Hsien Loong, actuel premier ministre, d’accompagner la transition de Singapour vers un système peut-être plus libre, plus apte à répondre aux aspirations nouvelles de la société.

Elodie Le Gal