Dominique Potier est le rapporteur du projet de loi sur le Devoir de vigilance des sociétés mères donneuses d’ordre déposé début 2015 à l’Assemblée nationale. Il rend obligatoire la mise en place d’un plan afin de prévenir les atteintes aux Droits de l’homme, libertés fondamentales, à l’environnement, la lutte anti-corruption. Les entreprises seraient ainsi responsables d’elles-mêmes, mais aussi de leur filiales directes ou indirectes
Portail de l’Intelligence Economique : Ce projet de loi ne comporte-t-il pas un risque pour la compétitivité des entreprises?
Dominique Potier : Pour répondre à cette question, il faut définir ce qu’est la compétitivité des entreprises. Une compétitivité qui s’appuierait sur le mépris des droits humains, l’insécurité commerciale, réputationnelle, une pollution de longue durée et grave d’un écosystème ? Ce n’est pas une compétitivité souhaitable. Je refuse les termes du débat sur la compétitivité tant que l’on ne dit pas quelles sont les limites propres à une économie saine. La vraie compétitivité est celle qui nourrit un cercle vertueux de croissance durable pour l’emploi et la dignité humaine.
L’opposition archaïque entre l’entreprise et les droits de l’homme relève du « monde d’avant». Cette loi, au contraire, pose un principe novateur qui permet de franchir un pas vers une nouvelle génération de droits, garants du principe de loyauté et de réciprocité dans la globalisation.
Il s’agit d’une loi gagnant-gagnant car le moins-disant généralisé pénalise notre compétitivité. Tout comme il existe un dumping social, il existe un dumping sur les droits de l’homme et sur les normes environnementales. Certaines entreprises l’ont bien compris et se déclarent favorables à la généralisation, par la loi, des précautions qu’elles s’imposent déjà d’elles-mêmes. Conscientes de ces enjeux, beaucoup ont adopté des chartes éthiques, adhèrent volontairement à des initiatives dans lesquelles elles s’engagent à mettre en œuvre de bonnes pratiques, conduisent déjà des audits internes et externes… 84 % des entreprises françaises sont au-dessus de la moyenne des normes RSE européennes. Il est dommage que ces bons élèves peinent à valoriser leurs efforts face à des concurrents moins vertueux.
PIE : De même, ce projet ne fait-il pas peser une forme d’insécurité juridique sur les entreprises?
D.P. : Fragilité juridique, je ne pense pas, cette loi a été bâtie en lien avec Bercy, avec les services du Ministère de la justice et étayée par les travaux en amont d’ONG. C’est le fruit d’un long dialogue. Nous avions deux alternatives : la première est celle d’un système hyper normatif qui consiste àdécrire pour chaque pays du monde, chaque situation, quelles sont les bonnes pratique à adopter : cette piste est une gageure qui risque d’être inopérante et contreproductive. L’autre piste, c’est celle qui consistait à donner tous pouvoirs aux juges sans préciser le champ d’application de la loi. Or, on connait le champ d’application, c’est le respect des accords de l’OCDE et de ceux de l’organisation internationale du travail. Nous avons trouvé, je pense, le bon équilibre juridique. Le décret permettra de le préciser.
Par ailleurs, il est probable que les entreprises aient beaucoup à gagner à une généralisation de l’obligation de surveillance des sociétés donneuses d’ordre. Outre le préjudice réputationnel, les coûts de réparation et de dédommagement en cas d’accident peuvent être importants et dépasser ceux liés à la prévention en amont des risques. Il est plus intelligent de consacrer des ressources à élaborer un plan de vigilance destiné à prévenir les accidents que de provisionner des sommes importantes dans l’éventualité de la survenue d’un sinistre.
PIE : Cela ne posera t-il pas un problème d’attractivité de l’Hexagone pour les entreprises étrangères?
D.P. : Le pari de cette loi française c’est de devenir une directive européenne. On ne gagnera pas le combat européen si on ne gagne pas le combat français.
Cette proposition de loi n’a pas vocation à faire de la France un État isolé sur la scène internationale, mais au contraire à délivrer l’impulsion nécessaire à la généralisation à l’ensemble de l’Union européenne d’une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres. Des précédents historiques montrent qu’une nation peut initier un mouvement de progrès qui se répand, peu à peu, sur tous les continents.
Et cela porte déjà ses fruits puisque le Parlement européen a adopté le 29 avril dernier, à l’initiative des eurodéputés socialistes, une résolution sur les normes du travail et de sécurité dans l’industrie textile au Bangladesh. En faisant explicitement référence à la proposition de loi française, cette résolution demande également à l’Union Européenne d’instaurer un devoir de vigilance des entreprises.
PIE : Ce projet de loi prévoit une obligation de moyens, n’y a t-il pas un risque que cela devienne une obligation de résultat ?
D.P. : Je pense qu’une super puissance économique a des obligations et la moindre des choses est de savoir où sont fabriqués les objets qu’elle vend et comment sont conçus les services qu’elle propose. Il y une forme d’irresponsabilité juridique et éthique à ne pas connaitre les conditions de fabrication des objets que l’on signe de son nom. Puisque ces entreprises tirent leurs bénéfices de leur capacité à aller chercher le moindre coût partout dans la chaine de production, la contrepartie c’est de s’assurer que ce coût n’est pas issu du mépris des droits humains.
PIE : Pourquoi avoir choisi un seuil de plus de 5000 employés pour l’application de la loi, ce qui ne représente au final que peu d’entreprises?
D.P. : Selon les services de Bercy, entre 150 et 200 entreprises seraient visées par le dispositif en l’état actuel. Ces « majors » concernent tout de même les deux tiers du commerce international des entreprises françaises. L’idée est de commencer par les plus grandes entreprises françaises qui en ont les moyens et qui le font déjà en grande partie. C’est à elles de montrer l’exemple. Bien sûr, pour une partie du patronat, les entreprises de plus de 5000 employés risquent d’être handicapées par rapport aux autres. Je suis persuadé que, comme les trois quarts des solutions de RSE qui se traduisent par des accords régionaux ou des accords de filières, ce dispositif sera progressivement étendu aux ETI. Il y aura un effet d’entrainement par les démarches collectives suscitées par cette loi et plus globalement par l’exigence de RSE qui augmente dans le monde.
PIE : Le gouvernement semble un peu frileux par rapport à ce projet de loi et ne le porte pas réellement avec force, qu’en pensez-vous?
D.P. : Cette proposition de loi est une fierté pour toute la majorité, car elle a été fabriquée de manière inédite, en intergroupe et avec des ONG et des syndicats qui ont joué un rôle de sentinelles. Et le gouvernement est pleinement à nos cotés pour faire aboutir de ce texte. Je tiens à saluer en particulier le Premier Ministre qui s’est engagé à ce que la lutte pour le redressement productif ne néglige pas l’essentiel : l’économie ne peut pas se développer au détriment des droits humains et en oubliant ses propres finalités. Et je ne doute pas de la mobilisation du Gouvernement pour faire inscrire rapidement cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat.
PIE : Ce projet de loi va beaucoup plus loin que la directive européenne qui prévoit que les entreprises publient ce plan et pas de mesures coercitives. N’y a t-il pas un risque d’isolement de la France par rapport à ses homologues européens?
D.P. : Ce projet va plus loin car il a pour vocation d’innover en Europe. Le but n’est pas de se conformer à l’Europe, mais de faire l’Europe. Chaque fois que l’on devrait être pionnier en matière de lutte contre les pesticides par exemple, de respect des droits humains dans les multinationales…, on nous répond souvent que ce n’est pas une exigence européenne. C’est une vision de l’Europe totalement conservatrice. Et je sais que dès maintenant, au niveau européen, le débat politique est lancé à partir de l’initiative française.
PIE : En cas de mise en place d’une directive européenne, n’y aurait-il pas une dissension entre l’Europe et le reste du monde?
D.P. : C’est l’Europe qui doit imposer sa raison en la matière et s’y tenir. Car une mondialisation qui se ferait au mépris de cette limite qu’est le respect des Droits de l’homme est une mondialisation dangereuse où l’on fabriquerait des colosses aux pieds d’argile. La misère est le terreau de tous les dangers. Ce n’est pas négociable. En économie il faut se rappeler le grand François Perroux qui disait: « en économie il y a des choses qui ont un prix et il y en a qui n’en ont pas ». Les arguments qui s’y opposent sont à peu près le même type d’arguments que ceux qui prévalaient en 1848 pour résister à la lutte contre la fin de la traite négrière.
Je ne suis pas naïf et je ne méconnais aucune des difficultés économiques, aucun des rapports de force qui sont en cours. Je fais le pari d’un effet boule de neige. Si l’Europe bouge, le monde bouge. Nous allons vers de nouveaux standards. Face à des formes de barbarie économique, il faut civiliser la mondialisation. Je suis très attaché aux valeurs des Lumières et à la force de la déclaration universelle des Droits de l’homme.
Propos recueillis par Catherine Saumet
Directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014
Dominique Potier :
Député PS de Meurthe-et-Moselle depuis 2012, Dominique Potier est engagé sur les sujets relatifs à la régulation internationale, les nouveaux modèles de développement, la lutte contre la pauvreté ou encore l’aménagement du territoire. Il s’est illustré sur ces combats comme rapporteur du projet de loi relatif à la politique de solidarité internationale, comme responsable du groupe socialiste sur le projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, l’alimentation et la forêt mais aussi comme Président du groupe d’études sur l’Economie circulaire. En mission pendant six mois auprès du gouvernement, Dominique Potier a rendu en décembre 2014 un rapport pour donner un nouvel élan à notre politique de maîtrise des pesticides.
Soucieux de renouveler l’action politique, Dominique Potier a fondé « Esprit Civique », un laboratoire d’idées humaniste inspiré du mouvement personnaliste.
Agriculteur, Dominique Potier a créé avec 4 associés une coopérative bio et éducative et milite au sein de plusieurs associations caritatives.