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Matières minérales critiques, quelle stratégie française ?

Le 26 octobre 2011, la Commission du développement durable de l’Assemblée Nationale a publié un rapport d’information sur la gestion des matières minérales stratégiques. Décryptage.

Dans un contexte international marqué par les tensions sur l’approvisionnement en matières premières et de monopole sur les ressources stratégiques, assurer le présent et préparer l’avenir sont les deux axes définis par l’Assemblée Nationale.
Conscient du risque qu’un embargo pèserait sur nos industries de pointe comme la défense ou l’aéronautique, les députés Michel Harvard (UMP) et Christophe Bouillon (PS) conçoivent l’action de la France sous l’angle offensif de la prospection minière et au travers d’une politique défensive de substitution et de recyclage efficiente.

Politique offensive et identification des ressources stratégiques
Assurer le présent passe par la détermination des besoins des industriels en matières premières stratégiques. Pour cela, la stratégie française rejoint la  politique européenne d’identification des ressources critiques contenue dans l’étude  de la Commission et parue en 2010 « Critical raw materials for the EU ». De même, il convient en France de promouvoir le COMES (Comité des métaux stratégiques) dans sa politique d’identification des matières premières sensibles pour nos industries. Aujourd’hui, le COMES et engagé sur quatre pistes de réflexion : l’évaluation de la situation de dépendance de la France et sa vulnérabilité, l’évolution des ressources primaires  et l’accès aux ressources, l’évolution des ressources secondaires ainsi que les questions de recherche et développement enfin l’étude de la dimension internationale de la problématique.

Cependant, on peut craindre qu’aucun des rapports ou des organes nouvellement crées n’apportent une réponse efficace aux inquiétudes. En effet, le simple constat de l’hyper-dépendance de l’industrie européenne impose des propositions opérationnelles et des solutions qui tardent concrètement à voir le jour. Ici l’exemple de l’Allemagne est frappant, ainsi les entreprises allemandes ont récemment crée entre l’ensemble des fédérations professionnelles, une structure assurant la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières stratégiques.


La nécessité de créer un champion français

Il n’y a pas de véritable puissance économique sans maitrise des industries extractives. Assurer le présent, c’est aussi défendre nos investissements et garantir l’approvisionnement de nos entreprises. La valorisation du réseau des Missions Economiques, l’expression des besoins par les filières sont des pistes avancées par les deux rapporteurs. Cependant,  un des éléments les plus intéressants du rapport réside dans la proposition de création d’un fond stratégique de développement, à l’image du fond japonais JOGMEC. Cet outil serait le fruit d’un partenariat entre les entreprises et l’Etat, voué à la prospection et aux prises de participation dans les entreprises des pays à fort potentiel minéral.

Les hauts-fonds, réservoir de la France

L’étude parlementaire focalise également son attention sur le développement de l’extraction en haute mer. En effet, avec une zone économique exclusive de 11M km², la France bénéficie du deuxième espace maritime mondial et les ressources paraissent inestimables : indium, cobalt, baryum, cadmium sont autant de minerais et de nodules polymétalliques contenus dans les haut-fond et soumis aux tensions sur le marché mondial. Conduit par Ifremer et accompagné par des groupes industriels tels que Technip, Errament ou encore Areva, la France a tout à gagner à bâtir une véritable stratégie de projection à long-terme.

Cependant, aux yeux des rapporteurs, la politique de puissance française doit s’affranchir de nombreux écueils, telles que l’absence de prospection ou une recherche insuffisante et la captation par des entreprises ou puissances étrangères de nos propres ressources naturelles. A cette fin, il parait nécessaire d’actualiser le code minier et de l’étendre aux enjeux actuels, ainsi que saisir les opportunités offertes par les permis d’exploration dans les eaux internationales. Si les retombées économiques minières sont de le long-terme et les investissements de base couteux, il est nécessaire de ne pas perdre de vue l’immense richesse des fonds marins.

Une autre voie, l’éco-conception

Enfin, préparer l’avenir consiste à mieux collecter et trier les déchets et favoriser la recherche afin de découvrir des matériaux de substitution aux matières premières.
Partant des estimation du PNUE constatant que seulement 1% des déchets sont recyclés, le rapport parlementaire prône le développement d’une filière du tri et du recyclage. En effet, alors que le cadre juridique européen et national existe, les matières premières contenus dans les objets les plus courants ne sont pas suffisamment valorisées. Une meilleure prise en compte du recyclage dès la conception du produit jusqu’à son retraitement réduirait nécessairement la dépendance de l’industrie française. 
Le comparatif élaboré dans l’étude parlementaire est frappant :

Mine traditionnelle Mine urbaine (l'ensemble des déchets produits)
  200-250 g d'or/tonne de cartes mères
5 g d'or/tonne de minerais 300-350 g d'or/tonne de téléphone portable
5 g de platinoides/tonne de minerais 2 000 g de platinoides/tonne de catalyse automobile

Cette notion d’économie circulaire est au cœur des enjeux du développement de la filière du recyclage en France et un vecteur considérable de son rayonnement à l’international. La France compte en effet de nombreuses entreprises de pointe, maitrisant les technologies et capables d’investir sur les marchés nationaux et européens.
Jouant sur le double mouvement de projection et d’accès aux ressources naturelles stratégiques et d’élimination de la dépendance par l’emploi du recyclage des matières premières, l’Assemblée Nationale a posé les bases d’une politique de puissance. Cependant, il ne s’agit pas de restreindre cette étude aux parlementaire d’une Commission mais de l’élargir aux cercles économiques et industriels. Espérons qu’à quelques mois des élections législatives, ce rapport sera l’objet d’actions spécifiques tant au niveau européen que national. Il ne s’agit dorénavant plus de limiter ses initiatives à la simple identification des besoins mais de rentrer dans le jeu mondial du pouvoir.

Nicolas Broutin