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Le secret des affaires n’est pas mort ni enterré

Olivier de Maison Rouge, avocat et Docteur en droit, dresse l’état des lieux du secret des affaires. Loin d’être mort et enterré, le secret des affaires se caractérise par l’émergence d’un capital immatériel stratégique.

Certes, l’échec de la dernière initiative française (janvier 2015) sur le secret des affaires est patent. Et l’on ne peut bien évidemment pas s’en réjouir, en dépit des erreurs de méthode et d’appréciation manifestes qui l’ont marquée dès l’origine (absence de communication préalable, approche juridique approximative, défaut de liaison avec les médias et les syndicats de salariés). Il nous faudra sans doute un jour dévoiler l’envers du décor qui a frappé de malédiction les tentatives françaises engagées depuis 2009. Pour autant, le secret des affaires n’est pas mort ! Il n’est ni mort, ni enterré. En premier lieu, parce qu’il continue à faire l’objet d’un remarquable projet de Directive européenne, destine à imprimer la ligne directrice en matière légale. Nous avons eu l’occasion d’en débattre le 8 avril 2015, avec l’eurodéputée Constance Le Gripp, rapporteur de la Commission des affaires juridiques au Parlement européen. Ce projet pourrait désormais être soumis au Parlement européen en avril 2016. Il est appréhendé sous forme de capital immatériel stratégique, objet de notre analyse.

L’emergence assumée d’un capital immatériel stratégique

Pour Aristote Onassis « Le secret des affaires est de savoir quelque chose que personne d’autre ne sait ». On pourrait encore affirmer que le secret des affaires est un savoir-faire à ne pas faire savoir. Dans cet esprit, le secret des affaires en ce qu’il revêt la confidentialité des informations économiques non divulguées, permet de renforcer la compétitivité de l’entreprise et de s’inscrire dans un acte d’affirmation de stratégie. Plus prosaïquement, il s’agit de préserver l’avantage concurrentiel de son titulaire dans une économie largement ouverte, dématérialisée et exposée aux risques contemporains.

C’est dans ce contexte que s’est inscrit le projet de directive européenne du 28 novembre 2013, récemment adopté en commission des affaires juridiques (JURI) dont le rapporteur est Madame Constance LE GRIPP.

Une dérogation aux accords de libre-échange

La source d’inspiration de ce projet de directive trouve son origine dans l’accord ADPIC (ou TRIPS en anglais), à savoir l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce qui est une annexe au Traité de Marrakech du 14 avril 1994, instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Il n’est pas inutile de rappeler que les principes directeurs de cet organisme tendent à la libre circulation des marchandises, au niveau mondial.

Précisément, se voulant l’exception au principe affirmé, l’accord ADPIC crée une catégorie de droits dérogatoires échappant à cette dérégulation. Ce faisant, l’OMC vise nommément la protection des renseignements économiques non divulgués qu’elle range parmi les droits assimilés à la propriété intellectuelle liée au commerce. C’est pourquoi le projet de la Commission européenne emprunte de nombreux ressorts à la propriété intellectuelle, excluant l’option strictement commerciale qui aurait conduit à enfreindre les dispositions de l’OMC dès lors que le secret des affaires est un obstacle à la circulation sans restriction des renseignements économiques.

Une définition-étalon

Le texte instaurera une norme juridique unifiée afin « d’étalonner » cette notion constituée de R&D, « de savoir-faire et d’informations commerciales non divulguées » pour en reprendre le titre. L’objectif est de créer un environnement favorable à l’innovation, non sans prendre en considération les intérêts légitimes de protection du patrimoine immatériel de l’entreprise.

Les secrets d’affaires seraient ainsi identifiés sous trois conditions cumulatives :
• Non connus du grand public, c’est-à-dire tenus secrets.
• Ayant une valeur commerciale
.
• Et faisant l’objet de mesures spécifiques destinées à les garder confidentiels.

Partant de cette définition, la directive envisage d’en assurer largement la protection contre l’obtention, la divulgation et l’utilisation illicites et notamment :

 – La juridiction saisie pourra ordonner des mesures d’interdiction provisoire ;
– Il sera possible de solliciter des mesures dites «correctives» se traduisant notamment par l’interdiction d’importation et d’exportation de produits fabriqués en violation de secrets d’affaires mais encore par la cessation de la production ;
– La publication de la décision stigmatisant un acteur économique ayant agi en violation des secrets d’affaires est envisagée.

Une procédure judiciaire adaptée

La procédure judiciaire, souvent présentée comme étant un mode de collecte d’informations confidentielles, pourra être aménagée au moyen de mécanismes permettant d’assurer la préservation des secrets d’affaires :

• Création d’un périmètre de confidentialité pour les parties (avocats, experts, témoins).

• Restriction dans l’accès aux pièces produites au cours de la procédure.

• Restriction dans l’accès aux audiences.

•Jugement élagué de l’énonciation des secrets d’affaires.

En matière de réparation des dommages, outre le préjudice constaté, le juge pourra également tenir compte des conséquences économiques négatives telles que le manque à gagner ou les bénéfices réalisés par le contrevenant.

Ce projet permettra à l’Europe, et par ricochet à ses États membres, de se doter d’un dispositif juridique unifié dans un contexte de lutte économique exacerbée. En cela, les secrets d’affaires sont des droits incorporels d’un nouveau genre, constituant des informations capitales concourant à la valeur ajoutée de l’entreprise.

Olivier de MAISON ROUGE Avocat, Docteur en droit.
Référent INPI «Secrets – Savoir-faire»