Le mouvement d’open data, ou d’ouverture des données, présente de nombreux enjeux. Au-delà du bouleversement des modèles économiques qu’il engendre, quels sont les nouveaux challenges que ce mouvement offre aux acteurs de l’intelligence économique ?
L’open data, quelles réalités ?
L’open data, ou donnée ouverte, est « une donnée librement utilisable, réutilisable et pouvant être redistribuée par tous ». Le mouvement d’ouverture des données consiste, pour une organisation, à rendre accessibles à des personnes tierces certaines de ses données auparavant privées. Ces dernières sont sous licence de libre diffusion, aussi appelée licence ouverte, et sont donc librement accessibles et exploitables. Chacun peut les agréger à d’autres données, les adapter, les diffuser ou encore développer des applications avec ces données. L’open data se différencie des concepts d’open source et de big data en cela qu’il s’affranchit des limites sur les droits d’accès et d’utilisation des données libérées dans le domaine public. L’open source, qui vise à la création d’application, et le big data, qui désigne les données volumineuses, ne sont pas toujours libres de droit.
Le concept d’open data public a vu le jour aux États-Unis et en Angleterre. Le président américain Barack Obama développe en 2009 un portail data.gov créant ainsi le premier système de diffusion de données publiques. 3 ans plus tard, la Grande-Bretagne se dote, elle, d’un Open Data Institute visant à aider les entreprises à créer des services innovants et faire émerger de nouveaux business models. En France, c’est François Fillon qui a lancé la première politique publique d’open data en mai 2011 alors qu’il était Premier Ministre. L’objectif principal de cette politique, incarnée dans la mission gouvernementale Etalab, était de simplifier la réutilisation des données publiques. Celles-ci se trouvent sur le portail data.gouv.fr qui se construit autour d’une idée centrale : la valeur ajoutée de l’open data se trouve dans la valorisation des données.
Toute entité peut ouvrir ses données, que ce soit une collectivité publique, à l’image de la métropole de Rennes qui est pionnière en France dans l’open data, ou des entreprises comme RATP et SNCF qui ont également ouvert certaines de leurs données au public. La mise à disposition de ces données se fait essentiellement via des Application Programming Interfaces (API), des interfaces de programmation ou des bibliothèques de données. Cela permet à divers acteurs d’utiliser ces données, chacun trouvant un intérêt particulier à cet usage : les citoyens pour être mieux informer, les entreprises pour monétiser ces données, les journalistes pour créer une nouvelle activité (le journalisme de données) et les administrations pour proposer de meilleurs services à leurs usagers.
L’open data créé une nouvelle source d’informations phénoménale qui pose une question essentielle : comment gérer et tirer parti de cette nouvelle mine d’or ?
L’open data en pratique
L’open data pose de nombreuses questions. D’une part, il créé un risque de dispersion des données ouvertes qui appelle à une nécessaire coordination et pose des questions juridiques. D’autre part, cette ouverture appelle une réinvention des business models de données auparavant payantes. Par exemple, le modèle atmosphérique de Météo France, qui coûtait initialement 120 000€, est maintenant en accès gratuit. Aujourd’hui, deux solutions semblent apparaître : l’option, favorisée par les administrations, de la mise à disposition en différé et celle du « freemium » où les entreprises donnent un accès gratuit à un service de base et font payer une version « premium » offrant des services supplémentaires.
Toutefois, les acteurs du marché peinent encore à trouver un modèle économique viable puisque l’essentiel de ces données publiques sont en accès gratuit et limité à des territoires précis. Des entreprises comme Infogreffe, qui font de la diffusion d’informations légales, s’inquiètent de voir les documents officiels devenir gratuits et voient leur activité bousculée par l’arrivée de l’open data.
Les entreprises créées dans le but de réutiliser les données ouvertes font également face à des défis concernant la monétisation de leurs solutions et le traitement des données ouvertes. Beaucoup n’arrivent pas encore à proposer des solutions pertinentes et construire un modèle économique intéressant. Il faut donc noter le succès de la start-up Data Publica qui est une des seules structures du secteur à générer un chiffre d’affaires intéressant. Pionnière dans le secteur français de l’open data, puisqu’elle existe depuis 2011, elle propose des solutions innovantes pour utiliser au mieux ces nouvelles ressources informationnelles. Si l’entreprise s’est au départ imaginée en Amazon de l’open data, où les particuliers viendraient acheter des sets de données, elle s’est vite rendue compte que ce modèle économique n’était pas le bon. Elle dessine maintenant des solutions sur-mesure pour ses clients business en agrégeant des données ouvertes de centaines de sources et en transformant celles-ci en contenu intelligible et exploitable. Son nouvel outil de « marketing prédictif » C-radar se veut le nouvel indispensable de la fonction commerciale en montrant aux commerciaux leurs futurs clients.
L’open data, qui est à la fois une opportunité et une problématique pour les organisations, est aussi un défi pour l’intelligence économique et ses acteurs.
Un enjeu de taille pour l’IE
Un des challenges posés par l’open data est de transformer les données ouvertes, disponibles en grand nombre, en information exploitable. L’intelligence économique est de cette manière touchée dans son premier pilier, celui de la veille et de l’analyse. Le fait de rendre l’information que l’on collecte pertinente pour le décideur est déjà un défi de l’IE en soi, mais, avec l’open data, cela devient un vrai challenge. Les consultants en intelligence économique devront apprendre à raffiner ces nouvelles informations et à prendre en compte l’aspect quantitatif en plus de l’aspect qualitatif sur lequel ils basent, pour le moment, l’essentiel de leur expertise. Les professionnels de l’intelligence économique doivent être vigilants à conserver la place qui est la leur dans le segment de la veille et de l’analyse des données ouvertes ou en acquérir une nouvelle grâce au bouleversement apporté par l’open data. Ce dernier, tout comme le big data, créé de nouveaux métiers au sein des entreprises comme par exemple celui de data scientist, responsable de la gestion et de l’analyse des données volumineuses. Cette fonction pourrait finalement être amenée à remplacer celle de chargé de veille ou d’analyse en intelligence économique car apportant, en plus, des compétences techniques.
Un autre défi de l’IE par rapport à l’open data est la problématique de la protection des informations stratégiques. L’intelligence économique est également touchée par l’open data sur son deuxième pilier qui est la sécurité de l’information. L’open data c’est mettre à disposition ses données au public or comment faire cela sans menacer un certain « secret des affaires » et ne pas dévoiler des données qui, traitées pertinemment, peuvent donner un atout stratégique à la concurrence ? En France RATP, SNCF et Veolia ont déjà ouvert leurs données, et seront bientôt suivies par la majorité des grands groupes français. La question de la dispersion et donc de la sécurité de ces données se pose donc indubitablement. D’autant plus que des interrogations s’élèvent déjà sur le terrain juridique de la protection de la vie privée et sa potentielle violation par l’ouverture des données.
L’open data, tout comme le big data, pourrait bouleverser la manière d’exercer l’intelligence économique, ainsi que les autres métiers des sciences de l’information. L’open data impliquera de se réinventer pour de nombreuses organisations, qu’elles soient privées ou publiques. Pour l’intelligence économique et les professionnels du secteur c’est donc un nouveau challenge qui les attend et de nombreuses opportunités qui s’offrent à eux s’ils prennent la mesure de ce changement. Un enjeu essentiel pour eux sera d’éviter que leur spécificité ne soit perdue au milieu des nouveaux métiers créés avec l’avènement de l’open et du big data.
Laura Crocq