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La dynamique de la filière biocarburant au Brésil

Après la publication en Janvier 2012 du rapport de la Cours des Comptes sur la filière biocarburant française, le Portail de l’IE s’est intéressé à savoir comment le Brésil, un des leaders du secteur, a crée une filière biocarburant compétitive capable de devenir un acteur majeur sur les marchés internationaux.

Le programme PROALCOOL au Brésil mis en place depuis les années 70 a pour but de développer une filière biocarburant capable d'accroitre l'indépendance énergétique du Brésil et de promouvoir, à l'internationale, cette filière en vue de l'exportation.

Le premier objectif du Brésil a été de développer une filière nationale en correlation avec la construction de véhicules adaptés à la technologie des biocarburants.
Le Brésil a dynamisé la filière par le biais d'une série de mesures. Il développe dès les années 70 une technologie permettant de maximiser le rendement de la canne à sucre pour se démarquer de ses concurrents et fournir un biocarburant compétitif. Cette technologie s'élabore sur deux plans.
La recherche et développement représente l'axe premier de cette politique et c'est paradoxalement le délitement de la société Zanini fin des années 90, la plus en pointe dans l'innovation des biocarburants qui va créer le terreau pour un futur pôle d'excellence. En effet, les anciens employés de cette société, fort de leur savoir faire, ont créé plusieurs dizaines de PME fabriquant aujourd'hui les technologies de pointe des distilleries. Il s'est ainsi structuré à Sertaozinho un véritable pôle d'excellence de la filière avec 500 PME présente et l'organisation de deux grandes foires alcool sucrière  durant l'année.

Le Brésil lance en 2000 le programme Genoma Cana qui lui permet de créer une souche transgénique de saccharose plus riche, plus sucrée et résistante aux insectes et maladie. Il crée ainsi de nouvelles variétés telles que la RB925211 qui augmente le rendement et la productivité de la canne à sucre. L'utilisation de la canne à sucre comme base de la production d'éthanol permet au Brésil d'avoir une rentabilité d'environ 70% contre une rentabilité de 20 à 30% pour l'utilisation du maïs comme aux Etats-Unis ou au Mexique.
L'arsenal fiscal vient ensuite appuyer cette politique de R&D, l'exonération fiscale du secteur étant équivalente au coût de revient de l'éthanol, il en résulte en effet une défiscalisation quasi-totale de la vente d'éthanol.

Par ailleurs, il participe à l'élaboration de la technologie et assure aux constructeurs des débouchés en subventionnant les véhicules de type "Fuel Flexible Vehicle" par le biais de déductions fiscales. En étant leader dans le bioéthanol, le Brésil oblige ainsi les constructeurs automobiles qui souhaitent s'implanter pour conquérir son marché à adopter ses normes. Il les oblige à développer des véhicules compatibles avec l'éthanol pur ou des mélanges éthanol/essence.
La mesure phare du programme brésilien consiste en l'obligation imposée par le gouvernement que l'essence contienne un taux d'environ 25% d'éthanol. Cette mesure est aujourd'hui à relativiser car la forte demande en éthanol a conduit le Brésil à abaisser ce taux à 20% pour éviter une hausse des prix. Cela était également motivé par un début de pénurie de la ressource en 2011. En parallèle, la politique publique de prêts à taux bonifiés vient favoriser le stockage de l'alcool en usine. Cela permet la création de stock d'exportation et encourage l'accroissement de la production dans la filière.
Dernière mesure, en juin 2011, la Banque publique du gouvernement brésilien, la BNDES a déclaré qu'elle fournirait 22 milliards de dollars pour financer l'extension du secteur de la canne à sucre jusque 2014.

Après la consolidation nationale, le Brésil structure sa production et sa filière en vue de l'exportation. Dès 2005, le premier terminal portuaire d'éthanol a été construit à Santos avec une capacité de stockage de 32 000 tonnes. Le Brésil se fixe deux objectifs : imposer les biocarburants sur le continent sud américain et les imposer sur le continent Africain.
Le Brésil profite de l'implantation de ses entreprises en Amérique Latine telle que Petrobras pour imposer les biocarburants sur le continent. Outre Petrobras qui ne s'est lancé dans la production de bioéthanol qu'en 2010, les groupes Cosan et Copersucar monopolisent plus de 20% des parts de marché au Brésil. Petrobras s'appuie quant à elle sur son réseau de 8 000 stations services pour distribuer sa production de bioéthanol et par la même occasion, se positionne de façon stratégique. Le Brésil s'appuie sur des entreprises tels que Cosan, Copersucar, Sao Martinho ou encore Petrobras pour étouffer par exemple les productions concurrentes, telles que celles du Mexique beaucoup moins rentable.

La principale force de frappe pour le Brésil pour l'exportation d'éthanol en Amérique latine est dans un premier temps corrélée avec la capacité de projection de Petrobras. L'éviction progressive d'Exxon du marché de distribution des carburants en Amérique Latine est emblématique de cette politique. Le rachat du réseau de distribution d'Exxon par Petrobras lui permet d'écouler une partie de sa production d'éthanol de même que les véhicules fuel flex. Cette stratégie s'intensifie avec le rachat du réseau de distribution de Repsol, Eg3 par Petrobras et trouve son apogée dans des prises de capital stratégique.

En 2010, Petrobras débourse successivement 1,2 milliards de dollars pour prendre 49% du capital de Guarani (filiale du groupe Tereos) et près de 250 millions d'euros dans l'acquisition de deux usines du 2ème groupe d'éthanol, Sao Martinho. Il obtient notamment 49% de l'usine Boa Vista qui devrait raffiner 7 millions de tonnes d'éthanol aux environs 2014/2015. Petrobras sécurise l'approvisionnement de ses réseaux de distribution qui constitue le principal facteur de diffusion du bioéthanol comme carburant de référence. Avec son modèle d'intégration verticale Petrobras structure rapidement sous la pression de l'Etat brésilien sa filière bioéthanol alors que certains de ses concurrents tel BP restructure leur portefeuille d'actifs vers la constitution de filières biocarburants. Le gouvernement de Dilma Roussef continue en 2011 de mettre la pression sur Petrobras en exigeant que celle-ci fournisse 15% du marché brésilien en bioéthanol toujours dans le but d'éviter les pénuries et de parer à la croissance du secteur de l'automobile.

Mathieu Dupressoir