Les nouvelles ambitions iraniennes de la Russie

La levée de certaines sanctions touchant jusqu’alors l’Iran a aiguisé de nombreux appétits économiques. Dans une économie mondiale en ralentissement, l’ouverture de ce pays désormais fréquentable et surtout solvable est la cible de toutes les attentions.

En avril 2015, le président russe Vladimir Poutine a signé un décret levant l’interdiction de livrer les systèmes S-300 à l’Iran. Les premiers éléments du système russe de défense anti-aérienne  ont été reçus en avril 2016 et ont été aussitôt exhibés quelques jours plus tard, lors de la Journée de l’Armée. Téhéran a des raisons de se réjouir: la décision du Kremlin en 2015 de poursuivre la vente du système S-300 est un signe fort d’un partenariat croissant entre La Russie et l’Iran, ce rapprochement a également eu une influence décisive dans la guerre syrienne et a permis aux deux pays d’évaluer l’influence américaine au Moyen-Orient.

Cependant, les retards accumulés de cet accord relève également les limites d’une relation qui est forgée sur une convergence d’intérêts plutôt que sur une vision commune du monde. Téhéran diverge sur le fond idéologique quand Moscou exprime une réticence pragmatique à développer l’alliance, selon des diplomates, des responsables et des analystes interrogés par Reuters. Certains responsables iraniens envisagent une alliance stratégique, une relation beaucoup plus aboutie qu’actuellement. Mais le Kremlin se contente de la coopération en cours qui a pris une nouvelle ampleur en raison du conflit en Syrie.

«Nous entretenons de façon continue des relations amicales avec l’Iran, mais nous ne pouvons pas vraiment parler d’un nouveau tournant dans nos relations » a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin.

La Russie a signé la vente du système S-300 à l’Iran en 2007, mais a gelé l’accord en 2010 en respect des sanctions imposées à Téhéran. Elle lève l’interdiction imposée à ses propres intérêts en Avril 2015, date à laquelle l’Iran et les puissances mondiales se sont rapprochés. L’accord a amené une levée des sanctions en échange d’un arrêt immédiat du programme nucléaire de Téhéran.

Aujourd’hui, le Kremlin évalue l’avantage financier et diplomatique des ventes d’armes à Téhéran face au risque de contrarier d’autres pays, dont l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et Israël, et n’exclue pas le risque de voir l’Iran devenir trop puissant ce qui déstabiliserait l’équilibre précaire de la région.

« Il y a un aspect militaire et économique à cette alliance qui est bénéfique pour les deux parties », a déclaré Maziar Behrooz, professeur agrégé spécialiste du Moyen-Orient et de l’histoire islamique à l’université d’État de San Francisco, et expert des relations russo-iraniennes. « Mais sur un plan géopolitique, l’Iran et la Russie ne peuvent former qu’une alliance tactique à court terme, pas stratégique car  les différences idéologiques entre les deux puissances sont tout simplement trop grandes. »

Cette relation entre les deux nations est cordiale sur le long terme et elle a atteint un nouveau niveau en septembre 2016 lorsque le président russe Vladimir Poutine a ordonné une intervention militaire en Syrie en soutien à Bachar el Assad, également allié de l’Iran. Téhéran avait déjà déployé ses gardiens de la révolution aux côtés des troupes syriennes mais la force de frappe aérienne russe a permis au président Assad de sortir de l’impasse. Militairement, les deux puissances se sont avérées complémentaires. L’Iran a apporté des troupes terrestres disciplinées opérant avec leurs alliés locaux, tandis que la Russie a fourni la puissance aérienne et technique manquant à l’Iran et la Syrie.

Diplomatiquement, les opérations conjointes ont fait de Téhéran et Moscou des acteurs incontournables dans la sécurisation de la région quand l’Occident peinait à intervenir. Ces victoires étaient primordiales pour Vladimir Poutine qui cherche à accroitre son influence par de nouvelles alliances régionales, principalement depuis la violente déchéance de son principal allié arabe Mouammar Kadhafi.

Une lecture locale, régionale et internationale.

Les opportunités commerciales de Moscou sont encore incertaines sur le marché iranien libéré des plus contraignantes sanctions. Jusqu’à présent, Il y a peu de signes encourageants pour les entreprises russes qui tentent l’aventure iranienne.

Cette faiblesse est en partie due à des raisons politiques. L’establishment iranien derrière le président Hassan Rouhani est divisé sur une ouverture commerciale aux Russes. Leur approche pragmatique les rend plus enclins au commerce avec l’Occident qu’a leur faire payer les sanctions passées, même si de nombreuses positions américaines sont encore très mal perçues.

La Russie a, quand à elle, peu d’intérêt à rejoindre un axe chiite anti occidental dans la région constitué par la faction iranienne plus conservatrice. Ce choix pourrait ruiner ses relations avec les autres puissances incontournables du Moyen-Orient comme Israël, l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

Le théatre syrien, première grande intervention de la Russie au Moyen-Orient depuis la guerre froide s’est concrétisé après des mois de réunions secrètes entre Moscou et les responsables iraniens.  Les autorités des gardiens de la Révolution et Ali Akbar Velayati, conseiller en politique étrangère du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei étaient les principaux interlocuteurs de Valdimir Poutine afin d’organiser un soutien à Bachar El Assad.

Une alliance étroite et exclusive avec la Russie conviendrait au conservateur Khamenei, figure la plus puissante d’Iran, qui a reproché à l’occident son influence dans les difficultés iraniennes et soutenu activement une d’ouverture à l’est, à savoir à la Russie.

Cette position va à l’encontre du gouvernement iranien, dirigé par Rouhani et de son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, qui ont intensément courtisé les délégations occidentales depuis la levée des sanctions.

La formation occidentale du président Rouhani le rend moins enclin à se tourner vers Vladimir Poutine avec qui il entretient des relations difficiles. En Novembre 2015, lors de sa première visite à Téhéran en huit ans, Vladimir Poutine a réservé sa première visite au conservateur Khamenei, plutôt qu’au président Rouhani comme le protocole l’exige. Un diplomate iranien a confirmé sous couvert d’anonymat à Reuters que Rouhani et Poutine ne s’entendaient pas.

 Certains responsables institutionnels iraniens se méfient également d’un rapprochement avec la Russie, qui a combattu au 19ème siècle la Grande-Bretagne pour la domination l’Iran et a occupé le pays pendant les deux guerres mondiales.

« Les Russes nous ont toujours utilisé comme un outil dans leur politique étrangère. Ils n’ont jamais respecté leurs engagements d’alliance avec aucun pays » affirme Abdullah Ramezanzadeh, ancien porte-parole de l’ex président Mohammad Khatami.

Cependant, Vladimir Poutine a redoublé d’efforts pour améliorer les relations avec l’Iran. Il a cependant choisi ses interlocuteurs. Lors de sa visite officielle à Téhéran en  Novembre 2015, il a offert à Ali Khamenei l’un des plus anciens exemplaires du Coran, obtenu par la Russie lors de son occupation du nord de l’Iran au 19ème siècle.

Un chemin semé d’embûches

En termes économiques, l’intervention en Syrie a permis de détourner l’attention populaire des problèmes économiques en Russie, aggravés par les sanctions internationales imposées à Moscou pour son rôle dans la crise en Ukraine. Privé de la plupart des marchés occidentaux, cette crise ajoutée à la perte de son indéfectible allié libyen, a imposé au Kremlin de chercher de nouveaux marchés

Ainsi, le commerce avec l’Iran n’était que de 1,3 milliards de dollars en 2015, selon les données russes, des signes prometteurs de coopération s’annonçaient.

Aujourd’hui, la Russie propose un prêt de 5 milliards de dollars à Téhéran pour le financement de projets d’infrastructures. Un autre accord est également en cours pour la construction d’un oléoduc dans le nord de l’Iran, où l’offre est rare, et pour l’Iran d’envoyer le pétrole et le gaz à partir de ses champs du sud aux clients de la Russie dans le Golfe.

Mais les perspectives de coopération pourraient être limitées selon les analystes du secteur pétrolier. Pour mettre à jour son secteur énergétique, l’Iran a principalement besoin de la technologie et de l’équipement dont manque également la Russie.

Un point prometteur pour les Russes, Moscou est également en pourparlers pour aider à mettre à niveau l’équipement des forces aériennes délabrées de Téhéran en lui proposant des avions de combat Sukhoi Su-30, mais là encore, des barrières empêchent la signature de généreux contrats  car ce marché aurait besoin de l’approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies et pourrait encore tendre les relations de Moscou avec Israël, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis.

La Russie est toujours privée du marché européen, sanctionnée à cause de son implication dans la guerre ukrainienne. Elle cherche désormais à sortir de sa zone traditionnelle d’influence et voit dans l’ouverture du marché iranien une opportunité. Son rapprochement avec Téhéran lors de la crise syrienne ne suffit cependant pas à compenser l’inadaptation des productions russes aux besoins du marché iranien, ni à contrer les coups des concurrents qui veulent également récupérer leur part de contrats. Le manque de préparation de la Russie à la concurrence internationale met à mal son ambition sur ce marché iranien dont la solvabilité attise des convoitises de pays en manque de reprise économique.

Stephane PRZYBYSZEWSKI