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Défense nationale : acheter français c’est démodé !

Après le remplacement du FAMAS par une arme allemande, le HK416 c’est au tour du « missilier » SAMP (Société des Ateliers Mécaniques de Pont sur Sambre) – qui fournit en bombes Mk 82 l’armée de l’air- de se voir voler la vedette par RWM Italia S.P.A, filiale du conglomérat allemand Rheinmetall AG . Le tout pour le seul mois de septembre 2016.

Beaucoup plus grave est l’achat sur l’étagère de drones MQ9-Reaper par General Atomic. Pourquoi une collaboration si active du ministère de la défense avec les industries étrangères ?

Nous pouvons dire que c’est une considération de frileux voire de décliniste, que la France est compétitive sur le marché de l’armement conventionnel  « Higth Tech ». La preuve en est : Dassault Aviation vient de boucler un contrat de près de 10 milliards d’euros pour la vente de 36 Rafales. C’est justement la raison pour laquelle ces choix questionnent. La France n’est pas en reste dans le secteur des industries d’armements : Rafale, Frégates Multi-Missions (FREMM), Sous-marins Nucléaire d’Attaque (SNA)… . Le monde entier achète les armes françaises et si les abandons successifs ne concernaient « que » les armes légères telles le FAMAS, le problème ne serait pas drapé d’une aura aussi délétère quant à l’avenir de l’outil de défense français.

Pourtant ce genre d’abandons de segments industriels interpelle… Bien entendu, l’achat d’une arme légère allemande ne comporte pas un  enjeu stratégique vital. Toutefois, d’un point de vue capacitaire et opérationnel, l’abandon du moindre secteur de l’industrie de défense porte atteinte à l’autonomie stratégique et décisionnelle de la France. À moyen-terme, cela induit une perte de savoir-faire et donc d’indépendance. Le cas du FAMAS en est la parfaite illustration. Il est nécessaire de remonter 15 ans en arrière ; quand la Manufacture d’Arme de Saint-Etienne (produisant le FAMAS) a fermé sans que ne soit encouragé la constitution d’une nouvelle industrie d’armes légères. D’où l’absence d’industriels français compétitifs et crédibles lors de l’appel d’offre. Le manque de volonté et de vision politique est flagrant.

Viens ensuite la question des missiles MK82. L’industriel SAMP équipait depuis des années l’Armée de l’Air, fournissant l’essentiel de ses bombes.  En septembre 2016, SAMP a été abandonné par l’Etat au travers de la DGA (Direction Générale de l’Armement) alors même que la société disposait des procédés, des structures et du savoir-faire. Le premier coup avait déjà été porté en 2011 lors de la rupture du contrat avec l’Armée de l’Air. SAMP avait tout de même poursuivi la R&D jusque récemment, pour qu’en définitive, la DGA choisisse une société italienne filiale d’une entreprise allemande. Pourtant il s’agissait de l’un des seuls missiliers français. La perte de savoir-faire est importante. Un Rafale sans bombe ou sans missiles de défense aérienne n’est plus un chasseur mais un vecteur aérien sans utilité. Ce genre de déficit capacitaire qui, cette fois-ci, concerne non seulement l’échelon tactique mais également opératif (théâtre d’opération), est susceptible de porter atteinte à notre souveraineté, comme l’ont justement rappelés les députés Bays et Dhuick à la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées [1] ; tout en prenant en compte les conséquences sur la compétitivité de l’industrie de défense française dont la vente de matériel à l’étranger est la condition de l’émergence de nouvelles générations d’armement. Par ailleurs, cela constitue un levier de pression politique important concédé aux Allemands. Ces derniers s’était déjà opposés à la vente d’hélicoptères à l’Ouzbékistan du fait de la présence de composants allemands…

Le Drone MQ-9 Reaper de General Atomics comporte une dimension bien plus problématique (seize vecteurs  vendus à la France entre 2013 et 2018). C’est un Drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) d’utilité stratégique, notamment dans les missions ISR (Intelligence Surveillance Reconnaissance). Par ailleurs ses transmissions de données en temps réel ainsi que sa capacité à délivrer des munitions lui permettent de couvrir toute la boucle opérative OODA (Observation, Orientation, Décision, Action)[2]. Seulement, la question de sa conception et de sa production française est à l’étude depuis 15 ans. Malgré les insistances des milieux militaires dont le CESA (Centre d’Etude Stratégique Aerospatiale) ou de l’EMA (Etat-Major des Armées). Aucune politique sérieuse n’a été entreprise. Pourtant le SIDM (Système Intérimaire de Drone MALE) Harfang avait fait ses preuves au sein de l’escadron 1/33 Belfort [3]. Jusqu’en 2013 et malgré ses nombreuses faiblesses capacitaires il avait débouché sur la création de doctrines d’emplois des forces originales (par rapports aux procédés anglo-saxons), et opérantes. Il faut également insister sur le fait que le marché des aéronefs de ce type reste, comme la plupart des marchés de défense, un marché très fermé, dépendant en interne des commandes de l’Etat, et du soutien de ce dernier à l’international.

Outre le déficit capacitaire et de savoir-faire important, la question de l’autonomie stratégique de la France et de sa souveraineté tout comme de sa compétitivité à long terme se pose ; surtout si l’on tient compte que le marché du drone est appelé à doubler tous les ans pour les trente prochaines années en comptant une valeur ajoutée exponentielle du fait de la R&D importante [4]. Il faut savoir que ce genre de transfert de technologies se fait à des conditions restrictives. Une puissance comme les États-Unis se réserve un droit de regard – voire d’empêchement – sur l’utilisation du produit fini utilisant leurs technologies nationales. Si la France venait à s’éloigner de la ligne américaine, ces derniers pourraient donc la priver sans difficultés d’un outil stratégique majeur. En témoigne l’ITAR (International Traffic in Arms Regulations), administrée par le département d’État américain. L’ITAR vise à réguler l’exportation ainsi que les transferts de technologie dès lors qu’un achat de matériel comporte 25% de matériel américain ou une technologie critique (dans le cas d’achat sur l’étagère de Reaper, on est dans un composé intégralement américain)[5]. Le but étant d’empêcher d’autres puissances de développer leurs technologies propres. La dépendance induite permettant aux industries américaines une forte compétitivité. Pour un système de systèmes « high-tech » de l’importance du drone MALE, on mesure les répercussions pour les industriels de défense français qui ne bénéficient pas de leur côtés de telles protections ni d’un CIFIUS (Comité de surveillance des investissements étrangers) obligeant des partenariats avec des industriels nationaux[6]. Encore une fois on note les déficits de volontarisme politique en la matière depuis 20 ans.

Il en va de la capacité de nos forces de frapper de manière optimale, dans la profondeur et à tous les échelons : tactique (FAMAS), opératif (Missiles SAMP) et stratégique (drone Reaper). Et engage de facto notre autonomie décisionnelle et stratégique dans un monde hautement incertain ; marqué par un continuum de crises et de conflits constituant autant une menace pour nos intérêts vitaux qu’une source de débouchés pour notre industrie de défense. Poursuivre dans cet esprit est, à terme, un suicide pour notre défense. Et notre complexe militaro-industriel continuera de souffrir tant que l’État français continuera d’assister à l’agonie des industriels par un déficit de normes, de commandes et de protections juridiques. Tant qu’il empêchera la constitution de champions nationaux. Tant que la défense sera considérée à l’aune d’une logique de rentabilité et non de sanctuarisation. Comme le dit l’adage : «  Gouverner c’est prévoir ».

Pierre-Charles d'Herbès

 


[1] Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées, Compte-Rendu n°28, 16 Septembre 2015

[2] PASCALLON Pierre, Satellites et Grands Drones, Paris, l’Harmattan, 2005

[3] CESA, Les Drones aériens : passé, présent et avenir : approche globale, Paris, la documentation française,  2013

[4] CESA, Les Drones aériens : passé, présent et avenir : approche globale, op.cit.

[5]Infoguerre, 22/06/206, Le rapport de force entre les industries spatiales américaines et européennes : l’enjeu de la réforme ITAR

[6] Patrick Carayon, A armes égales, Rapport Parlementaire, 2006