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Brexit, politique, médias : la victoire du mensonge

Le 23 juin dernier, la population britannique votait à 51,9% pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne. Ce n’était pas le premier référendum portant sur l’intégration au sein de l’Union Européenne auquel le Royaume-Uni était soumis. Deux ans après son intégration à la Communauté Économique Européenne en 1973, le peuple avait obtenu le droit de voter si le pays devait y rester ou non. Le oui l’emporta à 67,2%, malgré une division déjà présente au sein des partis. Jusqu’au dernier moment, tout laissait donc penser que le même scénario se reproduirait ; ce ne fut pas le cas.

Chaos sur les marchés financiers, démission du Premier Ministre David Cameron, division du peuple britannique, la décision du « leave » était alors complètement inattendue. Victoire pour les pro-brexit. Pourtant, leur campagne fit polémique tout le long de son déroulement, et même après. Mensonges, informations diffamatoires, violence, spéculation sur la peur, le camp du « leave » a beaucoup fait parlé, douté et a finalement gagné. Retour sur une campagne qui a fait couler beaucoup d’encre.

 

Les acteurs du pro-brexit

Au sein du camp du pro-brexit, il existait deux campagnes différentes menées respectivement par deux hommes politiques : Boris Johnson et Nigel Farage.
Celle de Boris Johnson, membre du parti conservateur, était une campagne pluripartite nommée « vote leave » officiellement désignée par la commission électorale comme rivale du camp du « remain ». Cette campagne a bénéficié d’un plafond de dépenses à 7 millions de livres sterling.

Boris Johnson a été le maire de Londres jusqu’à mai 2016, et est actuellement le Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères et du Commonwealth. Il s’est déclaré pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne en février 2016 et a été le porte-parole officiel des partisans du « leave ». Suite à la victoire du « leave », il apparaît comme étant le grand favori à la succession de David Cameron en tant que Premier Ministre. Finalement, il renoncera à se présenter, faisant face à de nombreuses critiques quant à ses capacités à pouvoir rassembler un peuple très divisé suite à l’annonce du vote. Suite à ce renoncement Michael Gove, lord chancelier et secrétaire d’État annonça sa candidature, à la grande surprise de tous. Soutien de Boris Johnson, il se retrouvera éliminé au deuxième tour.

Parallèlement, était menée une autre campagne pro-brexit « leave EU », soutenue par Nigel Farage, qui était reconnue comme non-officielle. Par conséquent, son budget était moins élevé et ses dépenses étaient plafonnées à 700 000 livres sterling. Nigel Farage dirigea le parti eurosceptique de l’UKIP (UK Independance Party) pour l’indépendance du Royaume-Uni, de 2006 à 2009, puis de 2010 à 2016. Ce parti anti-immigration et eurosceptique, proclame que « le Royaume-Uni doit être de nouveau gouverné par des lois adaptées à ses propres besoins par son propre Parlement, qui doit être directement et seulement responsable de ses actes devant l’électorat du Royaume-Uni ». Suite à la victoire du « leave » il quitte ce parti estimant qu’il a obtenu ce qu’il souhaitait depuis toujours. Cependant, suite à la démission de son successeur Diane James le 5 octobre dernier, il décide de reprendre sa place de leader du parti.

 

Les grands axes de la campagne

Trois sujets ont dominé la campagne, quel que soit le camp : l’économie, l’immigration et la souveraineté nationale. Les arguments économiques ont souvent été très techniques, les explications accompagnées souvent floues et douteuses, rendant le tout difficile à comprendre pour la majorité. De plus, les assertions trompeuses n’ont pas été clarifiées.

Sur le plan économique, les pro-brexit ont particulièrement mis en avant les 350 millions de livres sterling que le Royaume-Uni envoie chaque semaine à l’Union Européenne. Il s’agissait même du slogan véhiculé sur le bus de campagne de Boris Johnson. Selon eux, cette somme pourrait être dépensée à la place dans le NHS, le système national de sécurité sociale britannique. Ces chiffres publiés sont erronés : ni le montant négocié au rabais par Margaret Thatcher en 1984 ni l’argent que l’Etat britannique reçoit de l’UE n’a été pris en compte. De plus, les aides octroyées au secteur privé britannique et les bénéfices de l’appartenance à l’Union Européenne (accès au marché intérieur, économies de taxes…), ne sont pas inclues non plus. D’après BBC News, le Royaume-Uni a une contribution nette par semaine de 161 millions de livres sterling et détient le rang de 4ème plus gros contributeur en 2014, derrière l’Allemagne, la France et l’Italie.

Concernant l’immigration, beaucoup de sujets sont mélangés : liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne, immigration exogène à l’Union Européenne et crise des réfugiés. Ce mélange est fait pour spéculer sur la peur. Une insistance particulière a été mise sur la menace à la sécurité nationale que représenterait l’adhésion « prochaine » de la Turquie à l’UE et les 76 millions de turcs qui bénéficieraient de la libre circulation. Le Premier Ministre britannique, David Cameron, avait beau affirmer qu’il ne pensait pas que « cette adhésion pourrait se réaliser dans les trois décennies à venir », rien n’y faisait. Les pro-brexit ont joué sur ce sentiment de confusion, déclarant qu’en quittant l’Union Européenne, le Royaume-Uni pourrait limiter les effets de cette menace. Toutefois, il n’a jamais été énoncé exactement comment cela serait mis en œuvre par la suite. Evidemment, les zones géographiques ayant le moins d’expérience du multiculturalisme et de la diversité (centres industriels en déclin, petites villes…), ont été les plus touchées par ce message. 

Enfin, les partisans du « leave » ont mis au cœur de leur campagne le thème de la souveraineté nationale, représenté par le slogan « take back control » (reprendre le contrôle). Les politiques britanniques réclament en vain un droit de véto sur les décisions de Bruxelles, afin d’avoir leur mot à dire sur les textes de loi, dont 70% seraient originaires de l’Union Européenne. Les britanniques vivent mal le fait de ne pas pouvoir tout contrôler au sein de leur pays. Ainsi, la campagne déclarait que quitter l’Union Européenne renforcerait l’union citoyenne britannique, restaurerait la démocratie et permettrait au gouvernement britannique de se concentrer sur les urgences économiques et sociales. Or, durant la campagne, il n’y pas eu de véritable débat concernant la signification de la souveraineté dans la société britannique ou que celle-ci pourrait être renforcée en quittant l’Union Européenne.

 

L’influence des médias

De nos jours, impossible de parler campagne politique sans parler des médias. Avec un panel de plus en plus large, les informations circulent de plus en plus facilement et rapidement, qu’elles soient vérifiées ou non. Il est assez facile de perdre le contrôle. La campagne pro-brexit a été la preuve que les médias sont prêts à tout pour créer le « buzz ». Les informations publiées n’ont pas toujours été vérifiées. Les journaux ont tous leur avis bien tranchés sur le « in » ou le « out » : le Sunday Times, le Sunday Telegraph, le Daily Telegraph, le Sun, le Daily Mail, le Daily Express et le Spectator conseillent à l’unisson de voter pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Les rumeurs ont circulé tout le long de la campagne. On se souvient tous du cas du tabloïd britannique The Sun, qui afficha le 9 mars 2016 en couverture que la reine Élisabeth II soutenait le « Brexit ». Le palais de Buckingham avait immédiatement réagi, infirmant ces informations et rappelant que la reine demeure politiquement neutre. L’instance de régulation de la presse fut saisie suite à la publication de cet article. Si Buckingham n’avait pas rapidement réagi, cette information aurait pu influencer d’avantage le peuple britannique, qui serait allé dans son sens. Ceci est un exemple parmi tant d’autres, comme le cas des 350 millions de livres sterling envoyés par semaine à l’Union Européenne et l’entrée « prochaine » de la Turquie au sein de l’UE. Il a ainsi été prouvé plusieurs fois que ces journaux ont divulgué des informations fausses, ce qui a provoqué la révolte de l’Union Européenne et sans doute entraîné par là même la victoire du « leave ».

Les tabloïds ont beaucoup exploité le terrain de la peur afin de marquer les esprits. Ils n'ont cessé durant la campagne, d’aborder sans complexe les prétendues conséquences de l'afflux de migrants en Europe et en Grande-Bretagne. S’appuyant sur les images des migrants entassés à Calais qui tentent le tout pour le tout pour rejoindre la Grande Bretagne, les britanniques n’ont forcément pas été rassurés. Cette vision d’horreur fut diffusée en continu sur les chaines d’information tout le long de la campagne.

Autre événement qui affola les foules et fit polémique dans cette campagne fut l’assassinat de la députée Jo Cox. Les médias affirment que le meurtrier aurait crié « Britain first » (« La Grande-Bretagne d'abord »), mais personne ne fut capable de confirmer ceci. La presse s’interroge sur son mobile et n'hésite pas à accuser les pro-brexit, jugés agressifs dans leur campagne. Sur Twitter, Alastair Campbell, le conseiller de l'ancien Premier Ministre Tony Blair, s'en prenait lui à une partie des médias : « Les journaux qui attisent la haine et la colère envers les hommes politiques (…) préparent désormais une belle nécrologie de Jo Cox ».

Certains tentent tout de même rétablir la vérité. Durant la campagne, des journalistes se sont battus pour que les informations soient corrigées, en créant des organisations telles que « InFacts ». Plus que des facts-checkers (vérificateurs de faits), ils souhaitaient obtenir une transparence maximale dans cette campagne du « leave » afin que quiconque puisse être au courant de tous les faits. Cela n’a pas été une tâche facile pour eux, les médias préférant les ignorer ouvertement ou publiant leur correction de manière à la rendre la moins visible possible afin qu’elle ne soit pas lue. Le Guardian fut le seul journal à publier leurs rapports.

 

L’après Brexit

A la suite du vote, ceux qui firent campagne pour le « leave » ont très vite changé de discours. Ils ont tous tenté de renier la formule des fameux « 350 millions de livres par semaine envoyés à l’UE » et Boris Johnson, lui-même, a nié avoir fait la promesse d’une réduction de l’immigration. Ils affirmaient aussi que le Royaume-Uni pourrait négocier un accord pour garder un accès au marché unique en sachant pertinemment que cela est impossible sans en accepter toutes les règles qui en répondent. Ils prétendent même qu’il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre l’article 50 du traité pour enclencher la procédure de départ.

Aujourd’hui le camp du pro-Brexit est devenu presque absent et se fait plus discret au sein du milieu politique. Les piliers de ce mouvement se sont décimés, démissionnant de leurs fonctions, renonçant à des postes qu’ils envisageaient, désactivant leur site officiel, comme s’ils tentaient de faire profil bas. Même s’il est trop tard pour faire marche arrière et trop tôt pour réellement savoir si ce vote était une erreur, tout ceci laisse planer le doute et laisse penser à une orchestration informationnelle ciblée afin d’être au centre de l’attention et de l’emporter sur le camp opposé. Et ce fut une réussite. La période d’instabilité et de doute risque de durer un certain temps.