A l’occasion de la mise en application de la Loi Sapin II le 1er juin 2017, Olivier Larrieu, consultant en intelligence économique à i2F, revient sur les conditions de son application et ses enjeux. Quelles dispositions les entreprises doivent-elles mettre en place ? Et pourquoi la due diligence représente-t-elle une opportunité pour les entreprises ?
Appliquée ici à la corruption et aux manquements à la probité dans la pratique des affaires, la notion de « conformité » n’est pas nouvelle. Maladroitement présentée comme une « nouvelle forme de droit » ou de soft law, elle est pourtant connue des institutions concernées par la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le règlement n°97-02 du 21 février 1997 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement inscrit, en effet, le risque de non-conformité dans notre culture juridique.
En 2003, le Comité de Bâle définit cette non-conformité comme « un risque de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière, d’atteinte à la réputation, du fait de l’absence de respect des dispositions législatives et réglementaires, des normes et usages professionnels et déontologiques ».
Comme pour la Loi Sapin II, le risque n’est donc pas que juridique, mais également réputationnel. Or, cette dimension souvent négligée par les entreprises, demeure aussi néfaste que dangereuse pour la continuité d’une activité, notamment à l’international.
L’expansion géographique d’une société, le développement d’une offre complexe, la multiplication des interlocuteurs, partenaires d’affaires et agents économiques avec lesquels elle est amenée à traiter, représentent autant d’éléments qui augmentent ce risque de non-conformité.
Que signifie se mettre en conformité dans le cadre de la Loi Sapin II ?
Il ne s’agit pas état de fait ou d’un résultat, à savoir la simple observation ou le simple respect d’une norme. Le centre de recherches LegalEDHEC présente la conformité comme « un ensemble d’actions, de décisions, de process », une « démarche active » permettant « l’appropriation de la norme par l’entreprise ».
L’entreprise doit ainsi être en mesure de prouver qu’elle met en place les dispositions nécessaires afin de la respecter. D’où l’importance de la dimension éthique, de la posture de l’entreprise qui doit « donner à voir ».
Le but de la compliance est de permettre à l’entreprise d’être son propre gendarme. Elle est la première à contrôler et sanctionner les comportements non-conformes.
C’est pourquoi suite à la Loi Sapin II, le 1er juin 2017, toute entreprise de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 100 millions d’euros exerçant toute ou partie de son activité en France, devra s’être dotée d’outils et de mesures appropriés à la lutte contre les manquements à la probité. Parmi les obligations recensées l’on retrouve :
- L’adoption d’un code de conduite, intégré au règlement intérieur à l’entreprise décrivant les comportements à proscrire ;
- Dispenser une formation aux cadres et aux personnels de la société les plus exposés ;
- La mise en place d’un dispositif d’alerte interne – beaucoup en entreprise parlent de créer des postes de compliance officers ou de déontologues chargés de recueillir la voix des employés permettant la remontée d’information et donc la détection de pratiques contraires à la loi ;
- Réaliser des contrôles comptables internes ou externes, là aussi permettant la détection de comportements à risques ;
- Etablir une cartographie des risques propre à l’environnement et à l’activité de chaque entreprise ;
- Préparer en conséquence une procédure d’évaluation de la situation des clients, des fournisseurs de premier rang et des intermédiaires ;
- Instaurer une politique de sanction ;
- Et dans un dernier temps, rendre le dispositif mentionné auditable. Les mesures prises doivent pouvoir être contrôlées et évaluées.
Bien que son rôle ne soit pas encore défini, l’Agence Française Anticorruption (mentionnée dans l’article 2) aura pour mission d’accompagner, de renseigner et de fournir les éléments nécessaires à la mise en place d’un dispositif efficace pour les entreprises.
Dépasser l’obligation de conformité
Moins qu’un étau toutefois, la non-conformité et les nouveaux besoins qu’elle engendre sont l’occasion pour l’entreprise de créer et de développer de nouveaux outils permettant le gain d’un avantage stratégique dans la conduite de ses activités.
La « due diligence » notamment, répond à cette exigence de conformité et permet de la dépasser. Vue comme une enquête sur mesure, une investigation, elle permet de s’assurer de la probité d’un potentiel partenaire d’affaires mais aussi de sa fiabilité, et pas seulement financière. Chaque projet possède son propre cahier des charges et aide à réduire les incertitudes liées à la prise de décision.
Il est, en outre, important de souligner que la Loi Sapin II n’est qu’un premier pas. L’attention portée à l’entreprise et ses activités ne va cesser de s’accroître comme en témoigne la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères. Plus que la corruption, celle-ci vise à « identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation ».
Le champ d’investigation est mondial : il s’étend au-delà du périmètre direct de la seule entreprise et a pour vocation de s’adresser à la dimension morale de ses activités. Il est important de rappeler encore une fois, qu’il s’agit d’une formidable opportunité pour les entreprises françaises de contrôler leur environnement direct. En réduisant le risque de non-conformité, elles s’assurent de la pérennité de leur activité.
La France, quant à elle, se dote d’un nouvel arsenal juridique à même de contrer l’extraterritorialité du droit américain et peut-être même, en fonction de son efficacité, de le supplanter.