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[JdR] La cindynique : La science du danger au service de la gestion des risques

La cindynique, néologisme désignant l’approche scientifique du danger, se développe depuis quelques années, au sein des entreprises, dans l’objectif de modéliser les risques. Qu’est vraiment la cindynique ? En quoi consiste-t-elle ?

De la  naissance de la cindynique et du concept

Le terme de cindynique est utilisé pour la première fois en 1987, sous l’impulsion de Georges-Yves Kervern, identifiant des similitudes dans les démarches employées pour anticiper les dangers.

L’institut européen de Cindyniques, devenu Institut pour la Maitrise des Risques (IMdR) depuis 2006, constitue un centre de recherche névralgique dans le domaine des enseignements sur le danger. Cet institut s’intéresse aux risques en eux-mêmes mais également aux aspects théoriques et aux applications des cindyniques : gestion des risques, outils d’analyse des risques ou encore prévention.

Empruntée du grec ancien κίνδυνος (kindunos), signifiant « danger », la cindynique comprend l’ensemble des sciences et des techniques qui étudient les risques et leurs préventions. Cette discipline d’étude a pour finalité d’essayer d’établir des normes de prévention, afin d’anticiper l’illusion de la fatalité suscitée par les catastrophes.

La particularité de la cindynique est qu’elle prend en considération un ensemble de paramètres multidisciplinaires, tels que la sociologie, l’économie ou encore la chimie ; paramètres qui sont éloignés les uns des autres, et les rassemble afin de dresser une cartographie exhaustive et globale des risques.

Le risque est alors une mesure du danger ; là où le danger est le même pour tous, le risque lui dépend des perceptions de chacun.

Selon  G.-Y. Kervern et P. Boulenger cette démarche systémique est « la science visant à rendre intelligibles et donc prévisibles les dangers, risques qui en découlent, endogènes au sein d’un système et de permettre de les réduire ».

Enjeux et applications

L’objectif majeur de la cindynique est d’identifier les risques, leur probabilité, afin de pouvoir les hiérarchiser et  les prévenir. La cindynique recouvre les risques aussi bien naturels, technologiques qu’industriels ou humains. Outre le fait de produire des méthodes de prévention, cette approche permet de réévaluer la prévention en analysant les catastrophes. La santé, l’industrie ou le génie civil sont autant de domaines dans lesquels la cindynique s’applique.

L’analyse de la catastrophe de Bhopal démontre l’intérêt de l’utilisation d’une approche cindynique. L’explosion – liée une fuite d’isocyanate de méthyle, composé organique toxique a eu lieu le 3 décembre 1984, sur le site de l’usine de Bhopal de la firme Union Carbide, en Inde. Après avoir défini le cadre de la catastrophe et avoir retracé chacun des événements menant à la catastrophe, en interrogeant notamment les employés, des déficits systémiques « cindynogènes » sont identifiés grâce à l’approche cindynique. Cette étude permet alors de mettre en lumière les lacunes du système de prévention : absence d’analyse des incidents précurseurs ou encore absence d’un plan de crise.

Approfondissement technique : l’hyperespace du danger

De façon plus technique, la cindynique s’établie selon un classement en cinq dimensions des sources du danger.

  • La dimension des faits – ou espace statistique – correspond aux informations factuelles conservées dans des banques de données, à l’image de statistiques par exemple.
  • La dimension des modèles – ou espace épistémique – désigne, elle, la connaissance et les représentations, c’est-à-dire les modèles créés à partir de faits réels en vue de l’action.
  • La dimension des objectifs – ou espace téléologique – correspond aux objectifs fondamentaux poursuivis par chaque personne impliquée dans la situation.
  • L’espace déontologique, qui correspond à la dimension des règles, permet de recenser l’ensemble des normes et codes.
  • Enfin, la dimension des valeurs – ou espace axiologique – regroupe le système de valeurs, qui détermine l’attitude des personnes impliquées, face au risque.

L’hyperespace du danger

Source : Ibtissam el Hassani, Enseignant Chercheur à l'Ecole Nationale Supérieure d'Electricité et de Mécanique (ENSEM) – Cours Management des risques – Chapitre 4 : les cindyniques.

L’analyse cindynique prend alors tout son sens en mettant en regard ces cinq dimensions afin de définir l’hyperespace du danger et d’établir les lacunes et les blocages du système, nommés déficits et dissonances systémiques cindynogènes.

Le danger réside dans ces déficits qui sont regroupés en trois sections, d’après G.-Y. Kervern :

  • Les déficits culturels,
  • Les déficits organisationnels
  • Et les déficits managériaux.

Les mesures de prévention sont alors définies d’après ces déficits.

Limites de la cindynique

La cindynique est aujourd’hui adoptée par de nombreuses entreprises, telles qu’Airbus Groupe ou encore Thales(membres de l’IMdR) et participent aux réflexions à ce sujet. Or la cindynique ne permet pas d’établir une prévention infaillible à tous les dangers, et n’en a d’ailleurs pas la prétention, à l’image de l’attaque du 11 septembre 2001, des tours jumelles du World Trade Center, qui est venue contredire toutes les anticipations.

La première limite de la cindynique est l’aspect humain. Le fait de fixer une des dimensions de l’étude sur le facteur humain peut, de fait, entrainer des erreurs et truquer les résultats. La cindynique s’affiche comme une réflexion scientifique, or de nombreux facteurs manquent de rigueur.

L’approche du danger, sous son aspect scientifique, constitue la seconde limite de cette approche. La cindynique tend à répondre à un projet et ne se définit pas par son objet de connaissance, en cela se trouve sa limite. Le fait de vouloir se définir comme une science limite la cindynique à une formule mathématique applicable à tous les systèmes, or le risque-zéro n’existe pas. Ne permettant pas de mesurer le niveau de risque, elle permet néanmoins de dresser une cartographie du contexte global d’une situation.

Si son utilisation est légitime pour retirer des enseignements des catastrophes, afin notamment d’améliorer prévention, la cindynique ne doit néanmoins pas être considérée comme une science infaillible.  

Julie Soulié