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Royaume-Uni contre Union européenne : la question de l’Irlande du Nord

La question du Brexit a pris une nouvelle tournure, vendredi 8 décembre. Après avoir annoncé la date officielle du Brexit, Theresa May est parvenue à un premier accord avec Jean-Claude Juncker sur les grandes lignes du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE). Néanmoins, la longue nuit de négociations qui a précédé cette dernière annonce n’a résolu qu’en partie la question houleuse de l’Irlande du Nord.

Bref retour historique sur le paradoxe irlandais

Le cas de l’Irlande est singulier. En effet, établie sur un unique territoire insulaire, elle est pourtant scindée en deux entités politiques distinctes : d’un côté l’Irlande du Nord, appartenant au Royaume-Uni, de l’autre la République d’Irlande, pays indépendant.

Pour comprendre cette scission, il convient de remonter au XIIème siècle. Durant sept siècles, l’Angleterre entreprend de conquérir militairement puis juridiquement le territoire. En 1800, le pays atteint son but et l’Irlande devient une province du Royaume-Uni. 
Néanmoins, au début du XXème siècle, les premiers mouvements indépendantistes et soulèvements secouent toute la région. Faisant fi de ces troubles, Londres édicte un traité en 1921 qui fait de l’Irlande un dominion de l’Empire britannique. Ledit traité ampute par la même occasion une partie du territoire irlandais : elle deviendra la future Irlande du Nord. La guerre civile éclate alors entre les partisans de la lutte pour l'indépendance et ceux du compromis de 1921. Il faudra attendre 1938 pour qu’un accord soit signé entre les deux parties et 1949 pour que naisse la République parlementaire d’Irlande, pays indépendant et reconnu comme tel par Londres.

Malgré cet accord bipartite, la lutte pour l’indépendance se poursuit en Irlande du Nord. L’affrontement entre unionistes et indépendantistes tourne en guerre de religion : entre 1969 et 1998, le pays est divisé entre les protestants, fidèles à Londres, et les catholiques, partisans d'une Irlande unifiée.

Ce n’est qu’en 1998 qu’un accord de paix est finalement trouvé. Souvent considéré comme un simple cessez-le-feu, il met néanmoins fin à trente ans de violences meurtrières en faisant disparaître toute frontière physique entre les « deux Irlande ».

 
Le Brexit ou la crainte de la renaissance du passé

C’est sur ce fond historique, toujours omniprésent dans l'esprit collectif du pays, que s’est faite l’annonce du Brexit.
Depuis le début des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE, trois sujets sont jugés prioritaires : le sort des citoyens européens présents sur le sol britannique, le montant de la “facture de sortie” et la question de la frontière irlandaise. Selon Bruxelles, il faut des « progrès suffisants » dans la résolution de ces trois critères pour pouvoir lancer la deuxième phase des discussions, qui doit traiter des relations commerciales à plus long terme. Or, de son côté, Londres conteste ce "séquençage" et demande d'ouvrir au plus vite les discussions sur la relation future.

Et pour cause, la question de la frontière irlandaise bloque toute avancée. Le problème est le suivant : quelle frontière instaurer entre l’Irlande du Nord, qui appartient au Royaume-Uni, et la République d’Irlande, européenne ? Deux parties s'opposent : d’un côté, Bruxelles, appuyé par Dublin, de l’autre, Londres .

Trois scénarios sont avancés pour la résolution de cette dissension.

Le premier scénario instaurerait une frontière entre l’Irlande et le Royaume-Uni. Perdre l’Irlande du Nord rendrait totalement caduc le concept même de « Royaume-Uni ». En revanche, cela permettrait de conserver l’unité nationale irlandaise dans sa globalité. Cette solution a été proposée par l’UE qui estime que la province britannique devrait continuer d’appliquer les règles du marché unique européen et de l'union douanière. Ainsi l’île irlandaise serait considérée comme un tout, au moins du point de vue commercial. Autrement dit, ce pourrait être un premier pas vers la réunification de l’Irlande.

Le deuxième scénario instaurerait une frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Cela signifierait un retour des postes-frontières et donc d’une frontière « dure ». Or, cette solution pourrait sous-entendre la fin définitive de l’union nationale irlandaise et donc de l’accord de paix de 1998.

Le choix d'une telle option impliquerait de lourdes conséquences et affaiblirait considérablement le pays. D’abord sur la libre-circulation qui pourrait s’étioler en entre les deux pays. Par ailleurs, cela entraînerait probablement la fermeture des 500 km de frontière, et supprimerait le passage à près 30 000 travailleurs. Puis, il convient de considérer qu’un retour des douanes signifierait possiblement le retour des taxes. Or, ces dernières risqueraient d’augmenter les tarifs des produits irlandais, rendant le pays bien moins compétitif sur le marché. 
Les deux autres risques concernent plus particulièrement l’Irlande du Nord. En cas de retour d’une frontière entre les « deux Irlande », l’économie parallèle (contrebande, trafics), qui était très répandue lors du conflit nord-irlandais du XXème siècle, pourrait réapparaître. À cela s’ajoute la crainte des tensions entre communautés. En effet, il existe toujours des tensions et exactions entre catholiques et protestants au sein de la province. Atténuées grâce à l’entrée des deux pays dans l’UE, le Brexit provoquerait vraisemblablement la disparition du ciment européen et raviverait de facto les tensions intracommunautaires de la région.

Le troisième scénario concernerait directement le Royaume-Uni. Si le pays restait dans le marché intérieur, la question de la frontière ne se poserait alors plus. Dès lors, c’est la pertinence même du Brexit qui serait remise en cause.

Aucun de ces trois scénarios ne semblent faire l’unanimité puisque pour chaque solution proposée, une ou plusieurs des parties prenantes est lésée. Selon, le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Coveney, « nous allons devoir chercher dans les détails comment nous pouvons créer une solution unique pour l’Irlande du Nord, dans le contexte du Brexit. Une solution qui reconnaît et respecte l’accord du vendredi saint, une solution qui protège le processus de paix ».

 
Les derniers soubresauts des négociations

« Je suis déterminée à offrir à notre pays le meilleur Brexit possible », a indiqué fermement Theresa May, lors de l’annonce de la date du Brexit.

Dans un position paper rendu public le mercredi 16 août 2017, le gouvernement britannique a proposé de maintenir la suppression de toute frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord après la sortie du Royaume-Uni de l'UE. À ce titre, le gouvernement britannique propose deux approches à l'UE : un « nouveau partenariat douanier » qui permettrait « qu'il n'y ait pas de frontière du tout entre le Royaume-Uni et l'Irlande », ou bien « des arrangements douaniers », qui pourraient inclure notamment la suppression de déclarations d'entrée et de sortie des biens et des accords commerciaux spécifiques à l'Irlande du Nord.

Or, de son côté, Bruxelles considère que quitter l'Union européenne, c'est quitter à la fois le marché unique et l'union douanière. En clair, il n’y a pas de demi-mesure possible et les propositions du Royaume-Uni ne sont pas envisageables.

Par ailleurs, en septembre 2017, la Commission européenne publiait un document rédigé en étroite collaboration avec le gouvernement de Dublin. Le texte présentait les principes directeurs au regard du dialogue politique sur l'Irlande et l'Irlande du Nord dans le cadre des négociations sur le Brexit. Un mois plus tard, la télévision irlandaise RTE révélait un rapport interne au Ministère des Affaires étrangères irlandais qui compile les impressions d’ambassadeurs et ministres de toute l’UE. Il met en lumière l’incompatibilité des positions des pays concernant la question de l’Irlande du Nord, en particulier, et du Brexit, en général.  Ces deux documents mettent en évidence l’idée selon laquelle, pour préserver l’accord de paix de 1998, l’accord sur le Brexit doit respecter « l’intégrité du marché interne et de l’union douanière » à laquelle la République d’Irlande appartient. En clair, la République d’Irlande demande que l’Irlande du Nord demeure dans l’Union douanière. Plus précisément, Dublin exige que le Royaume-Uni continue de respecter une centaine de règles européennes, notamment en matière douanière et agricole, pour assurer que les échanges commerciaux avec l’Irlande du Nord, vitaux pour l’économie de la République, soient préservés.

Le dernier soubresaut dans les négociations anglo-européennes date de vendredi 8 décembre. Après de fortes pressions de Bruxelles et de Dublin, le Royaume-Uni s’est engagé sur le fait qu’il n’y aurait pas de hard border entre « les deux Irlande ». Considéré comme suffisant pour le moment, ce compromis, avant tout politique, permet surtout de repousser la question à plus tard. Comme l’a annoncé le week-end dernier David Davis, le négociateur britannique sur le dossier, cet accord n’est qu'« une déclaration d'intention », qui n’a, par conséquent, aucune valeur juridique. La question irlandaise trouvera une issue finale et définitive dans la seconde phase des négociations, portant sur le futur cadre commercial entre le Royaume-Uni et l’UE. De son côté, Dublin s’est montré très satisfait de cet accord qui revient en quelque sorte à garantir le maintien de l’Irlande du Nord dans l’union douanière et le marché unique.

 
Ainsi, les négociations au sein de l’UE concernant la frontière irlandaise sont loin d’avoir abouties. Vendredi 8 décembre, malgré un premier accord, la résolution de la question de l’Irlande du Nord fait toujours défaut. Rien n’est encore joué, ni acté. La prochaine échéance, datée du 15 décembre, ouvrira alors la deuxième phase des négociations, tant désirée par Londres. Elle traitera des futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et permettra, peut-être, de mettre au clair la question de l’Irlande du Nord.
 

Gaëlle LANDRU