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La Chine : futur géant aéronautique ?

Les premiers vols d’essai du C919, et la présentation du projet C929 donnent un crédit nouveau à la stratégie aéronautique de la Chine, qui cherche à se positionner comme un acteur majeur dans un marché asiatique en très forte croissance.

  • La croissance du secteur aéronautique est au cœur de la stratégie industrielle chinoise

La concurrence, essentiellement américaine et européenne, domine le marché mondial

Les efforts chinois en matière d’aéronautique n’ont jusqu’à présent pas eu les effets escomptés. Les mésaventures d’AVIC (Aviation Industry Corporation of China) illustrent ces difficultés : initialement prévue pour 2007, la mise en service de l’ARJ21 n’est intervenue qu’en 2016 pour une commande globale de 360 exemplaires seulement, les caractéristiques de l’appareil (entre 70 et 80 places) ne répondant pas (plus) aux besoins des compagnies chinoises. Cette faible présence industrielle explique la domination massive d’Airbus et de Boeing.

L’Asie et la Chine sont pourtant les moteurs essentiels de la croissance du secteur.  Selon le groupe Safran, le marché chinois pourrait connaitre une croissance de 6% par an pour quadrupler d’ici 2035 et devenir le 1er marché mondial en volume, devant les États-Unis, avec 35 000 appareils en service.

Cette croissance du secteur oriente désormais la stratégie industrielle chinoise

L’échec de la commercialisation de l’ARJ21 a mis en évidence les insuffisances de la filière, à tout le moins de son organisation. La création en 2008 de COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China) fut une première tentative pour contourner les lourdeurs d’AVIC, structure alors forte d’environ 550 000 salariés.  La création en 2016 d’AECC (Aero Engine Corporation of China), destinée à la production des systèmes de propulsion, participe de cette même intention.

Conscientes de leur retard, les autorités en charge de l’industrie ont placé le domaine des équipements aéronautiques en troisième position des 10 secteurs industriels prioritaires. La stratégie « Made in China 2025 » a vocation à renforcer les capacités de l’ensemble de la filière et à crédibiliser la position de l’industrie aéronautique sur les marchés internationaux. Dans le cadre de ce plan, et constatant les insuffisances de la filière, le MIIT (Ministry of Industry and Information Technology) a annoncé avoir autorisé  la mise à disposition de ressources supplémentaires sur la période 2016-2020 : 3 milliards de dollars (20 milliards RMB) à charge du MIIT et des gouvernements locaux, et 45 milliards (300 milliards RMB) par divers canaux (prêts, obligations,…) en collaboration avec la Banque de développement de Chine.

 

  • Les réalisations industrielles sont en décalage manifeste avec les objectifs politiques

Les autorités chinoises se sont engagées dans une démarche active d’appropriation technologique

En 2006, le Plan de développement de moyen et long terme des nouvelles technologies insiste sur le concept de « technologie indigène ». L’évaluation et la mise à jour de ce plan donne naissance en 2010 aux « Strategic Emerging Industries », démarche d’identification de sept secteurs d’importance stratégique. Les conditions d’accès des entreprises étrangères au marché chinois sont précisées, avec notamment l’obligation d’installer des sites de production sur le territoire chinois (avec des transferts technologiques ?).

Cette politique de raccourcis n’effraie pas les Européens, en particulier la France, qui contrairement à leurs homologues américains ne sont pas rétifs à ces possibles transferts, ni à l’obligation d’assembler sur place les appareils commandés par les compagnies chinoises.  À titre d’exemple, CFM International, joint-venture de Safran et General Electric, équipe le C919 du moteur Leap 1C, qualifié en 2014, tandis que Lieberr fournit le système de dégivrage et GE les enregistreurs de vol. Il est intéressant de noter que la conception du C919 se veut proche de celle de l’A320, dont les usines se trouvent à Tianjin, à proximité des bureaux de COMAC.

Cette stratégie « ouverte » assumée des Européens ne lasse pas d’interroger, au regard des soupçons, fondés ou non, de captation illégale d’information de la part des Chinois dans le domaine de la technologie aéronautique (à l’instar de l’aérospatiale et de la biologie médicale). Une note de la DGSI consultée par le journal Libération fait état de cas de piratages informatiques et de vols de matériel expérimental. Il semble que le 2ème département de l’Armée populaire de libération traduise les priorités stratégiques en objectifs de renseignement, illustrant  une conception fondamentalement  conflictuelle des relations économiques. Une démarche assumée, quoi que non revendiquée, qu’expriment ponctuellement les éditoriaux de la presse, contredisant opportunément les démentis outragés de la diplomatie chinoise.

La filière aéronautique chinoise se distingue aujourd’hui par son inefficacité

Les difficultés de mise sur le marché du C919 sont éloquentes : une part conséquente des commandes proviennent de sociétés de leasing, pour la plupart filiales de groupes chinois dont l’Agricultural Bank of China, le China Nuclear E&C Group, ou encore AVIC.  Ces montages complexes soulignent les efforts de soutien public d’une industrie qui ne parvient pas à vendre sa production. Les efforts de financements complémentaires consentis par les autorités politiques, industrielles et bancaires chinoises s’élèvent officiellement à 50 milliards de dollars. S’il faut observer une prudence extrême avec les annonces chiffrées, celles-ci suggèrent au mieux une stratégie de rattrapage par investissements massifs faisant litière de toute considération d’efficience, et un sentiment d’urgence perceptible.

Au 30 septembre 2017, la filière aéronautique chinoise emploie en effet environ 550 000 personnes pour 1 120 ARJ21 et C919 vendus, volumes extrêmement modestes au regard de l’investissement et des efforts consentis, qui laissent à penser que l’industrie aéronautique chinoise n’est à ce jour pas compétitive. Un tel niveau  de carence  conduirait à la faillite toute entreprise soumise aux règles de la concurrence impure et imparfaite qui caractérisent l’aéronautique, technologie stratégique et duale par essence.

L’alliance entre COMAC et le russe United Aircraft Corp destinée à concevoir le futur concurrent des futurs Airbus 350 et Boeing 787, le C929, illustre une position chinoise analogue à celle de son industrie aérospatiale, dépendante des transferts de technologies russes pour poursuivre sa « Longue Marche » vers le ciel.

Julien Cacciaguerra