[CR] Le soft power à la française : un enjeu de puissance ?

Ambassadeurs, activistes, hauts fonctionnaires, journalistes et curieux se sont donnés rendez-vous à l’Institut de Géographie à Paris, le 18 novembre dernier. Organisée dans le cadre du Forum Open Diplomacy, la journée était consacrée à la thématique de la « puissance douce » française, en accordant une attention particulière à ses aspects diplomatiques, culturels et sportifs.

Quelques mois après qu’une étude a placé l’influence française au sommet de la hiérarchie mondiale, le sujet reste en effet d’actualité.

 

Le soft power par la diplomatie : entre contraintes et opportunités

Composante essentielle du soft power, la diplomatie contribue à la diffusion du modèle français dans le monde. S’il est encore prématuré de se prononcer sur la caractéristique dominante de la politique étrangère du Président Emmanuel Macron, l’étude des objectifs et moyens alloués à la diplomatie française nous permet d’en dessiner les grands axes.

Le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères (MEAE) poursuit aujourd’hui un triple objectif :

  • La protection de la population et des ressortissants français à l’étranger, dans un contexte d’instabilité et de tensions (80% des conflits se situent entre trois et six heures de vol de Paris) ;
  • La défense des intérêts et des valeurs de la France, dans un contexte de concurrence exacerbée et de perte de vitesse des institutions multilatérales ;
  • La capacité à faire valoir ses vues et à conforter son image, dans un contexte de guerre cognitive et d’économie de l’attention.

Pour atteindre ces objectifs, la France dispose d’un réseau diplomatique et consulaire d’envergure, via des représentations dans plus de 160 pays, ce qui la place après les États-Unis et la Chine. Néanmoins, le budget alloué au MEAE pour l’accomplissement de ses missions est qualifié d’insuffisant par ses protagonistes.

Dans l’imaginaire collectif français, la France véhicule l'image de la patrie des Droits de l’Homme. En affinant l’analyse, on constate que cette image est plus nuancée selon les zones géographiques. En Italie, par exemple, la France est perçue comme un pays éminemment politique. En Ouganda, elle est en revanche associée à Napoléon et à l’entreprise Total. Ainsi, la maîtrise de cette image est un véritable enjeu de souveraineté car elle participe de sa crédibilité externe. Mais l’image d’un État n’est pas immuable. En témoigne la perte de vitesse française sur le terrain des idées : « la France, pourtant perçue comme un État propice à l’émulation intellectuelle, n’a plus fourni d’idées sur la scène européenne depuis une décennie », rappelait M. Foucher.

La diplomatie française est aujourd’hui, selon lui, résolument inscrite dans un cadre multilatéral et européen. « Dans le contexte géopolitique actuel, la France est redevenue le centre de gravité du Conseil de sécurité de l’ONU » ajoute-t-il. Les incertitudes américaines liées aux errements de la politique de Donald Trump, l’affaiblissement britannique corrélé au Brexit et la dilution du lien sino-russe expliqueraient cette récente évolution.

 

La diplomatie sportive : vecteur du rayonnement français

Les différents échecs dans les candidatures à l’accueil de certaines compétitions sportives mondiales, telles que les Jeux Olympiques de 2012, ont mené à une réflexion pour accueillir de grands événements. L’acteur le plus visible dans cette politique reste, depuis sa création en 2013, l’ambassadeur au sport, même si cette fonction est encore marquée par une forte rotation : trois ambassadeurs successifs en trois ans. L’existence d’un cadre cohérent fait encore défaut.

Jusqu’aux Jeux Olympiques de 2024, la France va accueillir presque un événement sportif mondial par an. Leur organisation lui permettra de rayonner via deux aspects :

  • La mise en valeur de son image et de celle de la ville hôte à l’étranger : certains événements sportifs sont visionnés par plusieurs centaines de millions de personnes ;
  • La mise en valeur et l’exportation du savoir-faire français en matière d’organisation, de logistique ou de sécurisation de lieux : à titre d’exemple, la France a reçu une délégation japonaise de Kumamoto qui organisera la prochaine coupe du monde de Handball.

Néanmoins Agnès Romatet-Espagne, porte-parole du Quai d’Orsay, rappelait que « les événements sportifs peuvent servir comme occasion d’amorcer un dialogue diplomatique, mais ne peuvent pas être un atout afin de résoudre un conflit ou un problème ».

 

La diplomatie culturelle : un instrument au service de l’influence française  ?

La diplomatie culturelle moderne a commencé à prendre forme à la fin du XIXème siècle, par la création de l’Alliance française dont la vocation est de promouvoir la culture et la langue françaises. Elle s’illustre aujourd’hui par deux marqueurs : le principe d’universalité et la dépolitisation de la dimension culturelle. Ils ont permis à la France de diffuser sa culture dans les pays où elle cherchait à s’implanter.

La France possède aujourd’hui de nombreux atouts culturels, comme sa langue et sa gastronomie. Elle peut également mettre en avant son droit, ses institutions et son administration, sans oublier la spécificité de Paris, ville internationale. Siège de plusieurs institutions internationales telles l’OCDE, l’UNESCO ou l’OIF, la capitale revêt une importance particulière pour l’influence française.

Néanmoins, plusieurs leviers d’amélioration pourraient être activés. Il n’existe par exemple pas encore de stratégie d’influence via Internet, comme a pu le faire le Danemark. A titre d’exemple, le classement des destinations culinaires mis en place par CNN en 2015 ne met pas en avant la France et sa gastronomie alors que celle-ci est parmi les plus réputées au monde. Elle ne semble pas capitaliser suffisamment sur ses points forts.

Enfin, plusieurs pays s’efforcent aujourd’hui d’orienter l’édiction des normes internationales dans un sens favorable à leurs intérêts. Leur création passe généralement d’abord par des accords bilatéraux ou plurilatéraux. À titre d’exemple, la France et le Canada ont favorisé la mise en place de la  Convention sur la diversité culturelle au sein de l’UNESCO, qui permet notamment de protéger les secteurs culturels contre la vague de la libéralisation des commerces internationaux. Dans ce contexte, la France, qui bénéficie de ressources humaines et financières pour pratiquer une stratégie d’influence normative, gagnerait à être plus active sur cette question.

 

Hirotaka Kato, Aristide Lucet et Laura Pasbeau