S’il n’est pas nécessaire de rappeler la définition de l’Intelligence Economique (IE), préciser celle de l’Intelligence Territoriale (IT) peut l’être : c’est la mise en application des principes de l’Intelligence Economique, dans le cadre d’une action publique concertée avec les acteurs économiques, au service du développement économique et industriel d’un territoire.
Les principes et les enjeux de l’Intelligence Territoriale
Lors de cette conférence, Philippe CLERC a rappelé l’importance de l’IT, en insistant tout particulièrement sur la place centrale des territoires dans « la bataille économique, technologique et sociale, dans la guerre de l’Intelligence que se livrent les Nations et leurs économies ». Il en conforta le propos par ces deux citations :
- l’une étant la constatation de Rémy PAUTRAT, alors Préfet de la Région Basse-Normandie : « L’ampleur des mutations sociales et techniques, l’urgence obsédante de l’emploi placent alors la démarche d’Intelligence Economique au centre de notre action régionale[…] » ;
- l’autre venant de Virginie RAISSON, qui souligne que la mondialisation modifie le rapport et la conception même du territoire : « C’est désormais l’économie mondiale qui assigne aux territoires leur vocation et qui en donne la valeur foncière ou stratégique. ».
Se pose alors la question du territoire stratège et de l’intelligence territoriale, face à laquelle Philippe CLERC définit trois principaux enjeux pour les territoires :
1. Définir une stratégie de puissance : c’est-à-dire, positionner stratégiquement un territoire dans la compétition européenne et internationale en éclairant les politiques publiques et les stratégies de compétitivité. Pour se faire, les décideurs et les différents acteurs régionaux ont impérativement besoin de nouvelles grilles de lecture et de nouveaux modes opératoires. L’objectif est double :
- éviter les situations de dépendances stratégiques du territoire ;
- piloter le développement en mobilisant les informations et les connaissances nécessaires pour comprendre les mutations culturelles, industrielles et les ruptures technologiques que la mondialisation impose.
2. Construire des capacités de veille et d’analyse : les acteurs territoriaux ont besoin d’une réactivité constante et de systèmes d’aide à la décision et à la stratégie fluides et efficaces. L’objectif est de réduire la prise de risques dans leurs choix stratégiques.
3. Adopter de nouveaux modes de travail de collaboration et de réflexion, avec l’apport de l’intelligence collective : ce qui signifie, protéger les actifs industriels et culturels, favoriser leur croissance et leur sécurité face aux nouvelles typologies de risques.
Dans ce cadre, l’Europe dans sa politique régionale incite à la spécialisation intelligente des territoires dans un cadre de concurrence accrue entre eux.
Les faiblesses de l’administration territoriale française
Philippe CLERC met en exergue les faiblesses de notre système. Comme l’énonce l’Amiral DUFOURCQ, « il faut arrêter de baser notre développement stratégique avec le rapport prospectif de la CIA ». Au contraire, il pense qu’il convient de partir de nos atouts territoriaux. En effet, l’ensemble des enjeux de développement tout comme les principaux risques se situent sur les territoires.
L’un des principaux problèmes est le refus de nos élites de penser en termes de stratégie de puissance et de rapports de force. Comme l’explique P. Baumard, ce refus conduit à une absence de vision stratégique, ce qui pousse les territoires à être dans la gestion de crise et la tactique défensive. Par ailleurs, l’emploi des termes d’IE et d’IT ainsi que de leurs démarches ne sont pas encore assez ancrés dans les mentalités françaises. Pour « démocratiser » ces termes, on parlera plutôt de développement du territoire. Pourtant comme l’a rappelé Christian HARBULOT, l’Intelligence Territoriale apparaît comme une nécessité pour « sauver économiquement l’existence même de nos territoires ».
L'Intelligence Territoriale à l’étranger : un modèle d’inspiration ?
Si notre savoir-faire en IT n’est pas encore assez développé en France, il n’en est pas moins connu comme un paradigme à suivre à l’international. Durant la conférence, a été présenté un grand nombre de modèles étrangers dont voici quelques exemples :
1. L’Allemagne : l’IT allemande est basée sur la puissance de ses Landers, sa puissance technologique et le rôle premier de l’innovation.
2. La Chine : l’IT chinoise est un mélange des différentes IT des pays industrialisés tels que les pays anglo-saxons, la France, l’Allemagne, la Suède, etc. Néanmoins celle qui leur correspond le mieux est l’IT française. Cela est dû à la volonté chinoise de vouloir à la fois une IT amenant le développement technologique sur leurs territoires et le fait que les stratégies soient coordonnées par une administration centrale forte. Dans ce cadre, la France et la Chine se sont rapprochées par divers initiatives :
- Depuis 2007, une coopération franco-chinoise a été établie en matière d’IE et d’Innovation.
- En 2009, le premier centre de compétitivité chinoise voit le jour dans la province du Hunan.
- En 2013, c'est la création d’un centre franco-chinois de transfert de technologie.
- Depuis 2014, c'est l'ouverture de
srelations avec les Académies des sciences et des technologies de Pékin et de Shanghai.
3. Le Maroc : comme en Chine, l’IT marocaine est très inspirée de celle de la France. Elle est axée sur la développement de ses régions et a pour cadre le plan de « la régionalisation avancée » lancé en 2013. Pour appuyer ce développement, une rencontre internationale au forum de Dakhla, sur le thème de l’Intelligence Territoriale, a lieu tous les 2 ans. Des intervenants de haut niveau venant de tous les continents se retrouvent pour dialoguer sur la mondialisation, son impact social ainsi que le développement de l’Afrique et ses problématiques. Cette rencontre est devenue un événement incontournable pour les professionnels de l’IT et est pour les Marocains utilisée pour remplir deux objectifs. Le premier est de collecter et de prendre les meilleurs modèles d’IT pour ensuite les appliquer sur leurs propres territoires. Le second est d’utiliser cet évènement comme un outil de rayonnement de soft power, tant au niveau régional sur le continent africain qu’à l’international.
4. Le Canada : Saint-Pierre-et-Miquelon qui a une position stratégique pour la France est devenue l’interface économique et culturelle pour la zone nord-atlantique du continent nord-américain. En effet, cette collectivité française, insérée dans l’économie nord-américaine, se fait le relais des coopérations franco-canadiennes en matière d’Intelligence Economique et Territoriale.
Cette conférence aura donc été l’occasion de mieux appréhender ce qu’est l’IT à la française et son histoire. La comparaison avec les différents pays évoqués démontre que l’IT est aujourd’hui un atout majeur du développement des territoires. Le conférencier a mis en exergue, à plusieurs reprises, que l’IT à la française est un modèle repris dans plusieurs pays et participe à la réussite de leurs développements. Cependant, un travail non-négligeable reste à réaliser en France pour mettre en application de manière pratique les principes de l’IT par les différents acteurs territoriaux.
Thibault KACZMAREK et Henri MEICHE