Cette semaine, l’Association CapRM du Master Gestion Globale des Risques et des Crise de l’Université Paris I, Panthéon-Sorbonne fait un retour sur une conférence organisée le 10 janvier 2018 sur le thème de la sécurité du territoire. Lors de celle-ci les interventions de M. Eric AMANOU, socio-urbaniste et fondateur de La Condition Urbaine, de M. Guillaume CHEREAU, chargé du management des crises cyber à l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et du lieutenant-colonel Christophe TORRISI, chef de la section sécurité économique et protection des entreprises à la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), ont offert une vision transverse d’aspects parfois méconnus de la notion de sécurité.
Les Jeudis du Risque se font, cette semaine, le relai de cet article qui revient sur un extrait de la synthèse de l’intervention de M. AMANOU, rédigée par M. François LABAISSE.
« Accidents de la circulation, incendies, criminalité et délinquance, … La ville est comparable à un écosystème concentré des problématiques de sécurité auxquelles sont exposés ses usagers, ses infrastructures et ses biens. Dans un but sociétal et économique, la gouvernance des villes intègre par définition la gestion des risques pesant sur la communauté. Comme il a été démontré par les récents évènements, l’immuabilité ne caractérise pas les risques et menaces urbaines, qui évoluent à cinétique croissante et avec toujours plus de visibilité de par la multiplicité et le développement des canaux de communication médiatiques. Comment ces menaces sont-elles appréhendées et traitées ? Quels leviers caractérisent l’action mise en œuvre au sein des espaces urbains pour favoriser / contribuer à la protection des usagers ?
Intégrer les questions de sécurité et de sûreté dans la conception, la gestion et l’animation des espaces urbains est une activité majeure sur laquelle s’investit Eric Amanou, spécialiste des grands ensembles urbains et fondateur en 2011 de « La Condition Urbaine ».
S’adaptant à des concentrations croissantes de populations et à des mobilités multiples, la gestion des flux devient une préoccupation centrale de sécurité dans les aménagements urbains. Qu’il s’agisse des circulations douces, routières ou ferroviaires, les nouveaux espaces urbains dessinent ainsi des « couloirs » (pas toujours visibles) qui permettent de mieux organiser/contrôler ces différents flux, qui réduisent les contacts entre usagers et qui optimisent les vitesses de déplacement. Dans cette conception de « mobilité forcée » il convient d’éviter les encombrements ou obstacles qui ralentissent les flux ou provoquent des points d’arrêt, que la « Ville festive » ou « évènementielle » notamment cherche à circonscrire depuis la menace terroriste. Ainsi, les questions d’affluence sont un sujet à part entière par les nouvelles formes de risque qu’elles génèrent. L’organisation des flux en ville et autour des grands équipements publics se trouve ainsi de plus en plus inspirée par la double figure des stades et des aéroports qui permettent de combiner « défense » et « flexibilité ».
Les objectifs larges « d’urbanité », de confort d’usage, d’ambiance urbaine, d’aménités des lieux, invitent les concepteurs des villes à fondre (ou masquer) les dispositifs de protection dans leur environnement et éviter au contraire de multiplier les dispositifs trop visiblement défensifs aux abords des cibles à protéger. Accumuler les potelets, les grilles, les barrières piquantes, les murs élevés et les autres registres d’empêchement montre les limites de l’acceptabilité sociale des usagers devant l’urbanisme défensif. Concilier protection et design est ainsi devenu une exigence fréquente au sein des espaces urbains et l’on voit se développer nombre d’alternatives pour estomper cette impression de ville « carcérale » ou pour lutter contre une forme de stérilisation de l’espace public (sans banc, ni aire de jeu, ni espaces de rencontre confortables de crainte de leur détournement d’usage, …). De ce fait, des barrières et murets laissent aujourd’hui place à des plans d’eau, de la végétation à des larges façades vitrées renforcées, pour accentuer les qualités d’ambiance et d’usage et inviter ainsi à investir les lieux par des pratiques positives plutôt que de contraindre leur usage.
En matière d’obligation règlementaire, on retrouve notamment depuis l’article 14 de la loi du 5 mars 2007, les Etudes de Sécurité et de Sûreté Publiques (ESSP). Celles-ci sont imposées aux projets d’aménagements urbains dès lors que l’agglomération dépasse 100 000 habitants et que l’impact du projet concerné dépasse des seuils d’habitations, d’accès, de surface et pour tout projet de construction d’établissements recevant du public (gares ferroviaires et routières, établissements scolaires, etc.). Ces études pouvant également être imposées par arrêtés préfectoraux, ont pour objet d’analyser l’environnement socio-urbain et sécuritaire afin d’établir un diagnostic et un plan de mesures de prévention et de protection.
Issue de l’étude de sûreté et de sécurité publique (ESSP) : une démarche intégratrice
Les aménagements architecturaux ou urbains font également parfois appel à la « mise en vigilance » de l’usager pour sécuriser. Ce modèle est déjà utilisé dans l’aménagement routier pour les « zones de partage » (espaces semi piéton) et il est expérimenté au sein de la caserne de secours incendie privée de l’entreprise Vitra sur son site de production de Weil Am Rhein en Allemagne. Il s’agit de maintenir les agents/usagers en état d’alerte ponctuelle et éviter les effets néfastes de la routine et de la baisse de vigilance induite (bien connues an matière d’accidentalité routière).
Par conception, des messages cachés sont ainsi présents dans l’environnement urbain, incitant à la vigilance et la prudence, sans que ceux-ci soient perçus. Ainsi donc, la protection publique dans la ville ne passe pas uniquement par les jardinières anti-véhicules béliers postées sur de nombreuses places. Les mesures de prévention architecturales et environnementales doivent cependant s’intégrer à une réflexion globale prenant en compte les enjeux économiques et sociétaux des zones impactées et leurs perspectives d’évolution, afin d’éviter les convergences de flux nocives ou au contraire, les désertifications. Egalement, les évolutions technologiques et techniques mises au service des développements urbains et des services publics font apparaître de nouvelles failles, d’autant plus invisibles, et dont l’interconnexion implique une appréhension faisant appel à des solutions qu’il convient de développer et à de nouvelles compétences essentielles pour relever les enjeux de demain.
François LABAISSE
Pour accéder à la suite de ce compte-rendu, cliquer sur ce lien. Vous y trouverez également les synthèses des présentations de M. Chereau et du lieutenant-colonel Torrisi, rédigées par Mlle Alix de Gaullier et M. Rémi Rousseau.