Docteur en Science politique, ancien auditeur de l’IHEDN, Caroline Galactéros a enseigné la stratégie et l’éthique à l’École de Guerre et à HEC. Colonel de réserve, elle dirige aujourd’hui la société de conseil Planeting et elle tient le blog Bouger les lignes. Le 12 février dernier elle a lancé, avec sept autres membres fondateurs, l’association Geopragma. Caroline Galactéros a accépté de répondre au Portail de l’IE au sujet de ce nouveau think tank qui a aussi l’ambition être un action tank au service des intérêts stratégiques de la France et de ses entreprises.
Portail de l’IE (PIE) : Qu’est-ce qui vous a décidé à créer GEOPRAGMA ?
Caroline Galactéros : Ce qui m’a frappé, c’est que je connais beaucoup de gens dans de nombreux milieux, de spécialistes, d’experts et d’hommes d’affaires qui touchent la matière, qui pensent comme moi et qui croient que dès que l’on a un dialogue amical, en confiance, qu’on fait preuve d’un bon sens argumenté par une pratique, on est infiniment plus efficace qu’en faisant la morale à partir d’une position de surplomb. Mais ces personnes, très présentes dans le milieu de la recherche stratégique française, sont pour beaucoup isolées voire marginalisées. Et la pensée comme la pratique stratégiques françaises s’en trouvent grandement affectées puisqu’elles sont maintenues dans une sorte de vase clos stratégique avec, in fine, une sensible régression de notre influence globale, de notre crédibilité et même une remise en cause de notre statut de puissance. Nous voulons fédérer ces diverses personnalités autour d’une plateforme à l’échelle nationale puis progressivement internationale, qui aura un regard réaliste et pragmatique sur les questions internationales.
PIE : Comment se sont passées les premières semaines après la naissance de votre mouvement ? Avez-vous eu beaucoup de ralliements ?
Caroline Galactéros : Oui, nous sommes sollicités toute la journée. De nombreuses personnes sont en train d’adhérer. Elles partagent avec nous leurs centres d’intérêts, nous demandent ce qu’elles pourraient faire au sein de l’association et comment la soutenir. Je crois que nous répondons à un besoin, un manque. Il y a un tournant pragmatique dans les faits qui ont démontré que le moralisme ne fonctionnait pas et avait des résultats sanglants. L’évolution de la guerre en Syrie a constitué un moment capital de cette prise de conscience.
PIE : Durant la conférence de lancement de GEOPRAGMA, vous avez indiqué vouloir prendre au mot Emmanuel Macron sur la fin du néo-conservatisme en France et sur le retour du gaullo-mitterandisme, comme pour le mettre au défi et en cohérence avec ses propos.
Caroline Galactéros : Oui, il a fait, dès son arrivée, de bons gestes et pris ce tournant pragmatique que l’époque rend urgent si l’on veut rester dans la course d'un nouveau monde qui se restructure, sans trop se payer de mots. Il lui faut désormais, sans attendre, donner du corps, du poids, de la matière et de l’engagement concret à ces intuitions initiales car en matière internationale, la crédibilité, c’est la cohérence et la cohérence, c’est le verbe et l’action.
Nous voulons être l’un des pôles d’intelligence alternative qui défendra les intérêts français, qui n’aura pas peur d’être critique ni dissonant, bien au contraire, mais pas non plus par posture. Nous exprimerons notre satisfaction ou notre mécontentement sans réserve. Il y a tant de sujets sur lesquels il faut travailler, des sujets qui vont nous sauter à la figure si l’on ne fait rien. Je pense à la Libye en ce moment. Il faut arrêter d’être dans l’image. Qu’est-ce que le moralisme nous rapporte ? La France est un pont, une puissance de médiation, d’intelligence, de subtilité et de dialogue. Elle n’a pas à être « pour les uns » ou « contre les autres ». Je crois beaucoup que les dysfonctionnements du système international viennent des décalages de puissance et du fait que certains s’assoient sur le tout petit peu de gouvernance mondiale qu’on avait pu mettre en place depuis un demi-siècle. On a les Nations Unies, on a des principes de coexistence optimale. Les États, les frontières et les peuples, y compris les plus divers, signifient quelque chose. En niant les dimensions historique et nationale ainsi que celles de la souveraineté, en oubliant ou relativisant, au nom d’une prétendue morale humanitariste qui est le masque du cynisme le plus abouti, tous les principes de la Charte des Nations Unies comme l’intangibilité des frontières ou la non-ingérence dans les affaires intérieures, on ne résout pas les problèmes, on les aggrave.
PIE : Dans l’analyse que vous faîtes, n’est-il pas important de se poser des questions sur l’influence des médias, de l’OTAN ou de l’Union européenne sur les actions de la France sur la scène internationale ?
Caroline Galactéros : Si, bien sûr. Mais, nous l’avons dit, nous réfléchirons à tout puisque que tout est lié. Nous ne nous interdirons rien parce que s’il l’on commence à s’interdire intellectuellement ou politiquement des choses, on redevient aveugle. Par exemple, je suis en train de lire l’excellent livre d’Eric Branca, L’ami américain : Washington contre de Gaulle, (Perrin, 17/08/2018), qui explique parfaitement comment tout a été fait pour que l’Europe n’arrive jamais à exister stratégiquement de façon crédible.
PIE : Cela explique votre volonté d’avoir une approche transversale des sujets : géopolitique, intelligence économique, influence, études culturelles…
Caroline Galactéros : Oui, notre approche sera complètement pluridisciplinaire et transversale, parce que la réalité est comme ça : tout est lié, c’est le propre de de la géopolitique.
PIE : Ce qui est intéressant, ce sont les formats que GEOPRAGMA va adopter. D’abord, vous proposerez des analyses.
Caroline Galactéros : Il y aura un pôle académique, c’est certain. À travers lui, nous organiserons des séminaires très restreints et des colloques, nous publierons nos analyses.
PIE : Mais vous comptez aussi agir…
Caroline Galactéros : Oui, GEOPRAGMA est, aussi et même d’abord, un action tank. Cette idée est ambitieuse et il faut la mettre en œuvre intelligemment. Il y a tant à faire, notamment en matière de diplomatie d’affaires mais aussi de diplomatie informelle, toujours au service des intérêts français d’États ou d’entreprises et en appui des appareils institutionnels existants. Plus largement, considérant le tragique et persistant verrouillage des appareils diplomatiques, l’invasion de doxas intellectuelles indigentes et le confinement consenti de la réflexion en profondeur au cercle de l’intime, nous croyons dans la nécessité du développement d’un canal, d’une plateforme de dialogue politique au sens large et noble du terme (c’est-à-dire aussi culturel et sociétal) non dogmatique, a-idéologique, inclusive, innovante, parfaitement indépendante, pour dénouer nombre de malentendus et de germes de crise et favoriser des rencontres et des relations fécondes. C’est tout sauf naïf. Là encore, la lucidité comme le réalisme sont aux antipodes du cynisme. Ils sont les vecteurs de l’apaisement.
PIE : À ce moment-là, ne sortirez-vous pas du cadre associatif ?
Caroline Galactéros : J’ai voulu monter une association parce que je crois beaucoup à l’élan des mouvements de personnes. GEOPRAGMA est avant tout un mouvement d’idées pour fédérer et réveiller la pensée stratégique française. Cependant, dans le cadre de l’Action tank, il s’agira, in fine, de travailler avec des entreprises françaises et, pourquoi pas, dans quelques années, de promouvoir à l’étranger notre approche pragmatico-ethique, bref de faire école. Notre structure associative, si c’est nécessaire, évoluera en fonction du développement de ces activités. Diverses possibilités existent. Une chose est sûre : nous sommes un mouvement d’idées et de convictions portées par des praticiens de la chose internationale dont la teneur a des prolongements pratiques évidents et utiles. Le reste, si j’ose dire, est de « l’intendance » et « elle suivra », comme il se doit.…
PIE : Quelle sera la première action publique de GEOPRAGMA ?
Caroline Galactéros : Notre premier travail sera de définir ou de redéfinir les intérêts de la France dans le monde. Pour cela, nous avons à faire des choix car la matière est à spectre très large…. Nous sommes déjà en train de définir des axes et, pour chacun d’eux, nous allons bientôt mettre en place des groupes de travail resserrés. Ensuite, nous demanderons à certains de nos membres d’y contribuer pour produire à l’automne, un document synthétique, sorte de vademecum opérationnel qui, je l’espère, fera réagir.
Propos recueillis par Nicolas Raiga-Clemenceau