[JdR] Le secteur aérien : quels enjeux pour la gestion de crise ? (1/2)

Fin mars, EH&A Consulting et ses partenaires se sont interrogés sur les enjeux et les difficultés rencontrées par les compagnies aériennes dans le cadre d’une gestion de crise. Afin d’apporter une réponse à ces questions, deux spécialistes de la gestion de crise et du milieu aéronautique ont proposé un retour d’expérience des crises passées et une analyse personnelle de la gestion de crise appliquée au secteur.

Phillipe Bardon, fort de 30 ans d’expérience dans l’industrie du transport aérien, d’abord en tant que pilote, puis Vice-Président des Opérations et enfin Directeur Général au sein de plusieurs compagnies aériennes, poursuit aujourd’hui son activité en tant que consultant auprès de compagnies aériennes. Xavier Tytelman, ancien navigateur dans l’aéronaval, a travaillé au Centre Opérationnel de Gestion Interministériel de Crise (COGIC) et est aujourd’hui consultant chez CGI Business Consulting.

 

Le secteur aérien : un attrait particulier du public

Selon le rapport annuel 2016 de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), institution spécialisée des Nations Unies, le transport aérien représente près de 3,8 milliards de passagers par an. Au-delà de ce chiffre, les évènements relatifs au transport aérien sont très médiatisés et ce pour plusieurs raisons.

Il faut tout d’abord souligner que les accidents sont de plus en plus rares, 2017 étant l’année la plus sûre dans l’histoire de l’aviation civile. En effet, selon l’Aviation Safety Network, en 2017, dix accidents impliquant des avions civils ont été recensés, causant la mort de 44 personnes, contre 16 accidents et 303 victimes en 2016.

Néanmoins, les évènements, bien souvent spectaculaires, à l’image de l’amerrissage du vol US Airways sur la rivière Hudson en 2009, cristallisent la focalisation médiatique. Le graphique ci-dessous illustre parfaitement cet engouement du public, en reprenant l’occurrence de l’expression recherchée sur Google. On constate que les recherches sur le crash du vol MH 370 de la Malaysia Airlines dépasse très largement d’autres évènements tragiques.

Source : Xavier Tytelman / CGI Consulting / GoogleTrends

 

L’aviation est également un secteur de passionnés. Ces « AvGeeks », actifs via de nombreux réseaux sociaux et sites Internet, centralisent toutes les actualités du secteur et apportent leurs analyses, à l’image de Comme un Avion ou encore Portail Aviation. A cela s’ajoutent les nombreux films et reportages disponibles, citons par exemple Sully ou la série Air Crash, mais également les rassemblements internationaux tels que le Salon Du Bourget qui accueille plus de 370 000 visiteurs à chaque édition.

 

Un secteur soumis à une multitude de risques

Toutes les compagnies aériennes ont pris conscience de l’importance de la gestion de crise en cas d’accidents ou de détournement d’aéronefs et n’hésitent pas à déclencher leur plan de gestion de crise. Néanmoins, bon nombre d’entre elles ne sont pas préparées à activer la gestion de crise dans d’autres circonstances. En effet, les compagnies doivent, au jour le jour, gérer des urgences opérationnelles et ne parviennent pas toujours à anticiper les crises.

De plus, le secteur aérien, au-delà des accidents, est soumis à une pluralité de situations susceptibles de conduire à une crise majeure. Citons, par exemple, la crise réputationnelle de United Airlines en avril 2017 suite à l’expulsion violente d’un passager. La scène filmée a été très largement diffusée sur les réseaux sociaux et a généré plus de deux millions de tweets ; à titre de comparaison, « Je suis Charlie » en avait généré un million cinq cent mille. Devant l’ampleur du scandale, le patron de la compagnie, Oscar Munoz, a réagi en apportant son soutien aux employés, décrivant le passager comme « perturbant et agressif ». Il faudra attendre 48 heures pour que la compagnie adopte une  stratégie de communication décente et présente des excuses.

Catalogue des menaces du secteur aérien

 

La gestion de la crise : priorité à l’humain

Dans le transport aérien, le management d’une crise se hiérarchise selon plusieurs priorités. Bien évidemment, dans un premier temps, la compagnie aérienne doit prendre en charge l’aspect humain de la crise aussi bien envers les clients qu’envers les collaborateurs. La mise en place d’une structure d’accueil pour les victimes et leurs familles est alors primordiale. De même, en interne, la prise en charge du personnel et la communication doivent être mises en place.

De plus, le choc émotionnel est très violent. L’accompagnement des victimes doit donc être rapidement mis en place. Ainsi, les compagnies doivent faire appel à un personnel formé psychologiquement à des incidents majeurs et capable de s’occuper de la prise en charge. Les victimes et leurs familles peuvent également compter sur d’autres organismes, à l’image de la Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectif (FENVAC), qui propose un soutien moral, une prise en charge psychologique et un accompagnement concernant l’ensemble des démarches administratives.

 

Des difficultés liées à la multiplicité des parties prenantes

En plus de cette priorité humaine, les compagnies aériennes doivent composer avec une multitude d’acteurs, ce qui entraîne des difficultés dans le process de gestion de la crise. En effet, les autorités, les familles, le personnel mais également les médias et les autres parties prenantes comme les aéroports peuvent solliciter la compagnie.

Aussi, il semble important de rappeler qu’au-delà de la gestion de crise, une enquête de sécurité en cas d’accident ou d’incident grave est obligatoire pour les Etats signataires de la convention du Chicago, signée en 1944. Ainsi, un plan de crise comporte deux volets indissociables : l’enquête technique et l’enquête judiciaire. En France, côté technique, c’est le Bureau d’Enquêtes et d’Analyse pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) qui a pour mission de déterminer les causes de l’accident. Les conclusions de l’enquête ont pour but d’améliorer la sécurité aérienne. Parallèlement, l’enquête judiciaire, conduite par la Gendarmerie des Transports Aériens (GTA), devra établir d’éventuelles responsabilités pénales.

Le très grand nombre d’acteurs engagé dans la gestion de la crise aussi nécessite la synchronisation de l’information. En effet, il n’est pas envisageable que le discours ne soit pas unanime, aussi bien venant de l’entreprise que des autorités. C’est pourquoi, la communication doit être organisée de façon régulière, permettant à chacun, y compris les médias, de se tenir informés de l’avancée de l’enquête.

Enfin, la gestion de crise s’articule autour de trois temps médiatiques qui ne supposent pas la même stratégie de communication : le factuel, l’expert et enfin le coupable. En effet, avec l’émergence depuis les années 1990 des chaînes d’information en continue, nous assistons à une véritable cristallisation des débats. Ainsi, la « priorité au direct » se substitue à l’analyse de fond et conduit parfois à des conclusions hâtives et erronées. Rappelons, par exemple, le cas du crash Rio-Paris en 2009. Quelques heures après l’accident, les experts ont estimé que le crash était lié aux mauvaises conditions climatiques. Finalement, le BEA a conclu qu’une erreur humaine était à l’origine du crash, fatal aux 228 personnes à bord.

 

Au-delà des accidents, comment détecter une crise potentielle ?

Xavier Tytelman rappelle l’importance de la veille opérationnelle pour détecter les signaux faibles. Pour cela, il utilise l’outil Visibrain. Cette plateforme permet de monitorer en temps réel toutes les informations relatives à la marque, à ses concurrents ou à un sujet. Visibrain est donc capable d’extraire une importante masse de données et analyse, en temps réel, le volume des discussions selon les différents rebondissements médiatiques et judiciaires. De plus, le paramétrage d’une alerte permet à l’entreprise d’être avertie quasi-instantanément du contenu disponible en ligne. L’outil dresse également un panorama de la démographie et géographique des internautes actifs sur différents sujets. Enfin, il permet d’identifier les influenceurs. Les compagnies aériennes peuvent alors leur fournir des éléments de langages et/ou préparer une « contre-information » si nécessaire.

Ainsi, Visibrain permet via l’utilisation de filtres de rendre la donnée la plus pertinente possible, d’identifier les impliqués et les influenceurs, et d’analyser les courbes volumétriques afin de déterminer le bon moment pour une intervention et définir le message à adopter. Il existe différents outils permettant à l’entreprise de traiter ces données fondamentales, citons par exemple Mention, Netvibes ou encore BrandWatch.

A l’ère de l’information en continue et face à la pluralité des risques liés au secteur, les compagnies aériennes doivent faire face à des crises de plus en plus médiatisées. Pour cela, elles doivent adapter leur communication.

Retrouvez la semaine prochaine dans les Jeudis du Risque, la deuxième partie de l’article portant sur la communication de crise appliquée au secteur aérien.

 

Océane Rué