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Attaques informationnelles et spéculations : Casino, un groupe français ciblé par les short-sellers américains

Depuis plusieurs années, le groupe Casino fait face à une forte pression boursière. Cette dernière s’est accentuée à la fin du mois d’août, lorsqu’une une offensive spéculative a fait chuter de 10% l’action du groupe.

Casino dans les radars boursiers de Muddy Waters

Vendredi 31 août 2018, 15h20. Le cabinet américain d’analyse financière Muddy Waters poste un tweet à propos du groupe Casino, l’accusant de ne toujours pas avoir publié les comptes 2017 de sa filiale Casino Finance. En quelques heures le titre Casino plonge et clôture la journée en repli de 10,22% à 27,31 euros.

L’influence d’un seul tweet sur le cours de l’action d’un groupe tel que Casino a de quoi surprendre. Elle s’explique par son émetteur, le cabinet américain Muddy Waters, particulièrement rompu aux techniques de spéculation offensive. Celle utilisée ici se nomme « vente à découvert » ou « short selling » et consiste à prendre position en Bourse en pariant sur la baisse des titres. Le cabinet ne s’en cache pas et revendique ouvertement cette pratique sur son site. Muddy Waters n’étant toutefois pas le seul acteur à utiliser ce type de technique, les motifs de leur succès méritent d’être interrogés.

Deux raisons principales se détachent. La première est la stratégie de communication utilisée par le cabinet qui lui permet de faire entendre sa voix dans le milieu boursier. Celle-ci, bien calibrée, le présente comme animé par une volonté de justice et assure qu’il souhaite « ôter les différentes couches empilées par des cabinets d'avocats d'affaires et des cabinets d'audit, soi-disant respectés mais surtout adeptes de la flagornerie ». Auréolé de telles intentions, Muddy Waters clame ses victoires et se flatte d’avoir conduit, depuis 2010, à la radiation de quatre entreprises cotées, à la démission de quatre directeurs et d’avoir déclenché six enquêtes des autorités régulatrices.

La seconde raison est le suivi d’un mode opératoire méticuleux et efficace. En effet, alors que les autres banques d’affaires s’intéressent à tout un secteur, Muddy Waters choisit ses dossiers et les  examine avec précision. En 2015 par exemple, le cabinet ne s’est intéressé qu’à quatre sociétés parmi lesquelles figurait déjà… Casino.

 

Casino : une cible de premier choix pour les spéculateurs ? 

L’historique des relations entre le cabinet américain et le groupe français remonte ainsi à plusieurs années. En 2015, Muddy Waters avait déjà pointé le manque de transparence et l’accumulation des dettes du groupe. Casino avait ensuite cédé ses actifs asiatiques (Vietnam et Thaïlande) pour regagner la confiance des investisseurs. Depuis lors, le groupe semble être devenu l’une des cibles favorites de traders spécialisés dans la vente à découvert.

L’été 2018 donne un éclairage particulier à cette idée. En juillet, le groupe est sanctionné pour avoir annoncé une baisse de la dette de sa maison-mère finalement imputable à des transferts en provenance de sa holding brésilienne. En août, c’est la société Sanford Bernstein qui révise à la baisse la valorisation du groupe en invoquant l'impact financier de ses accords de franchise en France, des calculs contestés par le distributeur. Toujours au mois d’août, le groupe Casino est cité à huit reprises par le cabinet Muddy Watters, qui l’avait déjà mentionné deux fois au cours de l’année.

Nicolas Barré, directeur de la rédaction des Echos, estime qu’une quinzaine de fonds d’investissement du monde entier spéculent aujourd’hui contre Casino.  Selon lui, on peut prévoir que telle ou telle action vaudra moins en « faisant circuler de fausses informations, négatives, à coups de tweets. C’est ce qui se passe depuis quelques jours. ». Toutefois, et malgré les possibilités d’enquête, il reste très difficile de prouver la manipulation informationnelle à des fins spéculatives.

Aujourd’hui, plus de 30% du capital flottant de Casino est ciblé par les vendeurs à découvert. Casino est d’ailleurs la valeur française la plus « attaquée » et la deuxième la plus affectée en Europe. Dernier camouflet en date: l’agence Standard & Poor’s diminuait au début du mois de septembre la note de crédit de Casino, la faisant passer de BB+ à « BB, avec perspective négative ». 

L’évaluation des marchés semble d’autant plus sévère que le retailer français peut s’énorgueillir de quelques belles réussites : son récent partenariat stratégique avec Amazon atteste de sa volonté d’innover sur l’axe des services de livraison et de son avance dans le mouvement de phygitalisation observé dans le secteur du commerce de détail. Plusieurs pépites comme Cdiscount, Monoprix ou Naturalia figurent également au portefeuille de Casino. La densité de ses implantations, aussi bien en centre-ville qu’en zone rurale, confère enfin au groupe une certaine solidité, d’autant que les formats premium et de proximité affichent de bons résultats.

 

Lever les doutes du marché sans céder aux attaquants

En réponse aux différentes attaques informationnelles, Casino s’est exprimé dans un communiqué de presse. Il y a confirmé ses objectifs financiers annuels en matière de réduction de dette et de cession d’actifs. Il s’est également voulu rassurant vis-à-vis de ses parties prenantes et a annoncé  que malgré les « attaques spéculatives répétées », son cours de Bourse ne reflète ni sa « résilience opérationnelle » ni sa « solidité financière » ni ses « ressources immédiatement disponibles ». Pour le prouver, il a évoqué sa « bonne activité en France et à l’international depuis le début de l’année et particulièrement en juillet et août ».  Le distributeur a aussi déposé, comme promis, les comptes de sa filiale Casino Finance et publié des « compléments d’informations en détaillant notamment sa trésorerie, Casino Finance compris ».

Selon Jean-Charles Naouri, PDG du groupe, ces notes – notamment celle de S&P – ne prennent pas en compte les dernières actions mises en œuvre par le groupe comme le plan de cession de 1,5 milliards d’euros annoncé en juin, et en cours de réalisation. Du reste, Casino a indiqué avoir déjà racheté 128 millions d’euros de sa dette obligataire depuis début juillet « et poursuivra ces rachats ». Il reste désormais à savoir si ces annonces apaiseront un marché boursier particulièrement offensif à l’égard du groupe.

 

Gaëlle LANDRU