Dans AI Superpowers China, Silicon Valley and the New World Order, Lee Kai-Fu soutient une thèse simple : les développements sans précédent de l’intelligence Artificielle vont provoquer des changements spectaculaires, bien plus tôt que prévu. Dans cette compétition mondiale pour la domination de l’IA, l’auteur estime que seuls la Chine et les Etats-Unis ont la taille critique pour combattre. La question centrale du livre est donc « laquelle de ces deux nations va l’emporter ? »
Lee Kai-Fu au carrefour entre les Etat-Unis et la Chine
Lee Kai-Fu est un investisseur américain en capital risque, cadre dans le secteur des technologies de pointe, écrivain, chercheur en informatique et spécialiste de l’Intelligence artificielle. Il a la particularité d’avoir une expertise dans l'industrie américaine puisqu’il a, entre autres, travaillé pour Google et Microsoft. Il connait également très bien le marché chinois car son entreprise est basée à Beijing. Son dernier ouvrage, sorti en septembre dernier aux Etats-Unis, est un best-seller salué par le New York Times et suscite de nombreuses réactions outre-Atlantique. Sa lecture semble alors pertinente pour des professionnels de la gestion des risques, toujours en recherche des tendances qui feront évoluer de nombreux métiers et pratiques dans les années à venir.
L’affrontement Chine-Etats-Unis pour la domination de l’Intelligence Artificielle, ou quand le dragon vole plus haut que l’aigle
A la lecture de ce livre, on distingue rapidement deux axes principaux ; la première partie est une discussion sur l’IA et l’affrontement que se livrent les entreprises américaines et chinoises. Pour peu que l'on maitrise l’anglais, celle-ci est accessible et très informative. La deuxième partie est centrée sur les changements économiques qu’engendrera l’IA, bien que moins évidente à appréhender que la première. L’auteur commence par expliquer comment l’IA, et plus particulièrement sa branche deep learning (ensemble de méthodes d'apprentissage automatique tentant de modéliser avec un haut niveau d’abstraction des données grâce à des architectures articulées de différentes transformations non linéaires) est exploitée et approfondie actuellement par plus de mille entreprises chinoises du secteur. C’est en se basant sur ce tissu entrepreneurial qu’il développe l’aspect le plus intéressant de sa démonstration.
Il estime que l’IA est à une phase de son développement où la recherche fondamentale – domaine où les Américains surpassent les Chinois – est moins importante que le « brute force advancement ». En d’autres termes, la Chine est en passe de gagner cette guerre, non pas parce que leurs IA sont meilleures, mais plutôt parce qu’ils ont la possibilité de les mettre en œuvre dans une vaste gamme d’applications. La Chine dispose d’une armée « d’assez bons » informaticiens et d’un milliard de personnes connectées pour tester les applications de leurs IA.
En effet, son milliard quatre-cents millions d’habitants permet à la Chine d’amasser beaucoup plus de données que ses concurrents européens ou américains. Par exemple, les entreprises européennes, notamment en raison du RGPD, sont dans l’impossibilité de récolter suffisamment de données pour entrainer leurs algorithmes ; de leur côté, les Chinois ne s’embarrassent pas des considérations de vie privée. Non seulement les compagnies chinoises n'ont peu – voire pas – de contraintes dans ce domaine, mais le gouvernement les aide dans la collecte de données, en disposant des caméras de vidéo-surveillance à reconnaissance faciale et en favorisant le développement d’applications comme WeChat, qui récolent plus de données encore que les applications américaines.
« There’s no data like more data. »
L’auteur insiste également sur le caractère plus agressif des entrepreneurs chinois et loue leur capacité à copier les avancées des autres pays pour rattraper leur retard technologique (reverse engineering). Il clôt cette première partie – selon nous la plus intéressante – sur le poids du gouvernement chinois dans le développement de l’IA. Il explique que la décision du pouvoir central de faire de la maitrise de IA le centre de l’avenir du pays a stimulé les gouvernements locaux ainsi que les membres du parti communiste. Ces derniers ont financé plus de mille incubateurs et utilisent localement des applications basées sur l’IA.
La seconde partie du livre se concentre, comme mentionné précédemment, sur l’évolution du marché du travail et les changements sociétaux qu'entrainera le développement de l’IA. L’auteur tente de décrire quels seront les emplois affectés, ainsi que comment et quand ils le seront.
La thèse de Lee Kai-Fu se défend parfaitement au regard des investissements effectués par le gouvernement et les entreprises chinoises sur l’IA. En 2017, selon le rapport de Cbinsights Le pays finance 48% des start-ups sur l’IA contre 38% pour les Etat-Unis et 13% pour le reste du monde. Le pays a investi 300 milliards seulement sur les puces électroniques et les voitures électriques. La lutte pour la domination de l’IA va donc être acharnée entre d’un côté, Google, Microsoft, IBM et Apple et de l’autre Alibaba, Tencent, et Baidu.
Et la France dans tout ça ?
Le président Macron a annoncé en mars dernier « un effort spécifique et inédit de près de 1,5 milliard d’euros de crédits publics ». Ceci semble dérisoire au regard des 15 milliards investis par le géant chinois Alibaba dans des laboratoires de recherche aux Etats-Unis et en Israël. Reste à savoir si les européens pourront jouer un rôle significatif sur ce marché.
Club Risques AEGE