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La sûreté dans l’aviation civile, un besoin d’adaptation face aux nouvelles menaces

L’aviation civile et les aéroports sont des cibles privilégiées, ils représentent d’importants symboles de la mondialisation, des échanges et de puissance économique tout en étant des lieux de forte fréquentation. La menace terroriste représente l’un des principaux risques pouvant toucher ce secteur, surtout depuis l’arrivée de l’État Islamique au Moyen-Orient. Prise de contrôle d’un avion, bagages ou colis piégés, attaques lors des embarquements, radicalisation d’employés, autant de situations critiques qui nécessitent un renforcement des mesures de sûreté.

Les attentats du 11 septembre 2001 et leurs conséquences géopolitiques montrent bien l’impact que peut avoir ce type de menace. Depuis ces attaques, la sûreté du transport aérien est devenue un enjeu majeur nécessitant des réponses rapides, de nouvelles mesures et un renforcement des moyens dans les aéroports du monde entier.

Une nécessité d’évolution déjà connue

Dès 2002, l’OACI, l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, a mis au point un programme universel d’audits de sûreté afin de veiller au respect et à la mise œuvre de ces dites mesures. L’Union Européenne a aussi répondu à cette menace avec la mise en place d’un règlement spécifique (règlement CE n° 2320/2002 puis règlement n° 300/2008 de mars 2008), destiné à donner une base commune à la sûreté aérienne dans l’Union Européenne. Des mesures de sûreté plus pratiques ont elles aussi été requises.

Le 13 septembre 2001, les couteaux et autres objets tranchants sont interdits dans les bagages à main. En 2006, les flacons ayant plus de 100 ml de liquide, gel ou gaz sont interdits. Les scanners corporels ont vu leurs acquisitions et leurs utilisations s’accroitre fortement dans les aéroports. L’intérieur des avions a aussi été renforcé. Une porte blindée et des systèmes de vidéosurveillance protègent le cockpit. Aux Etats-Unis, les pilotes peuvent même être autorisés à porter une arme et les équipages sont parfois accompagnés par les membres du Federal Air Marshal Service, eux aussi armés, afin d’empêcher les actes hostiles à bord des avions.

Cependant des vulnérabilités subsistent et les risques sont encore trop importants. Le 22 mars 2016, l’aéroport de Bruxelles à Zaventem est frappé par un attentat-suicide. Le 28 juin de la même année, c’est l’aéroport Atatürk d’Istanbul qui est touché par une attaque terroriste. Dans les deux cas, c’est le « landside » qui a été attaqué, la partie ouverte au public, par opposition au « airside », partie plus contrôlée car point de passage nécessaire pour accéder aux avions. En France, des agents travaillant dans les différents aéroports de Paris se sont vu retirer leurs badges d’accès pour des zones sécurisées, notamment à cause « de phénomènes de radicalisation ». L’évolution de la menace terroriste depuis 2001 nécessite ainsi de nouvelles réponses plus adaptées.

La « défense en profondeur ».

C’est par ce terme que le rapport du sénateur Vincent Capo-Canellas du 12 octobre 2016 préconise un renforcement des contrôles à différents niveaux. L’adaptation de la sûreté aérienne face aux menaces émergentes comme les drones malveillants, les cyberattaques et les missiles sol-air est ainsi fortement recommandée. Au niveau des passagers, les rédacteurs appellent à un renforcement des contrôles à l’intérieur des aéroports. Cette démarche, appuyée par l’innovation technologique induite par le programme Vision sûreté, cible principalement les risques traditionnels (bombes, armes, etc.). Elle est également complétée par une veille afin d’anticiper au mieux ces menaces.

Le rapport insiste beaucoup sur le contexte de radicalisation et la nécessité de renforcer le contrôle des employés de l’aéroport : filtrage aux entrées des zones sensibles, renforcement de l’habilitation du personnel et retrait des badges si nécessaire. Le système de sûreté doit ainsi faire l’objet d’une importante adaptation à raison de ce nouveau type de menace.

Enfin, l’utilisation de sociétés de sûreté privée, l’exploitation des données de réservation, enregistrement et embarquement (API-PNR) des passagers détaillant les trajets effectués, et l’organisation d’entretiens afin de déceler les intentions de ces derniers viennent compléter la liste de recommandations de ce rapport.

On retrouve ainsi cette notion de « défense en profondeur » avec la mise en place de systèmes de sûreté à tous les niveaux d’un aéroport par le biais de différentes lignes de défense, soutenues par l’implantation de nouvelles technologies de contrôle.

 

L’innovation technologique grâce au programme Vision sûreté.

Le programme Vision sûreté a été lancé par la DGAC en juin 2014. D’une durée initiale de 3 ans, ce programme a été renouvelé pour une seconde phase le 3 avril 2018, pour 5 ans. Cette démarche est destinée à améliorer, tant aux niveaux économiques qu’au niveau de l’efficacité, le contrôle et le filtrage dans les aéroports par le biais de l’innovation. Sous forme d’expérimentations réalisées par des acteurs locaux, plusieurs nouvelles méthodes ont été testées telles que :

  • Un nouveau type de scanner de sûreté permettant le ciblage plus précis des zones suspectes sur les passagers, mais de manière non intrusive avec l’emploi d’un avatar pour représenter le corps humain.
  • L’analyseur de chaussures, permettant d’éviter le déchaussement des passagers lors du contrôle.
  • Le multiplexage qui place l’agent chargé de vérifier les bagages et les passagers grâce aux scanners hors de la zone de fouille.
  • Un logiciel d’aide à la décision qui permet un meilleur repérage des armes ou liquides lors des contrôles, facilitant ainsi le travail des agents de sécurité.

Le renouvellement de ce programme a aussi pour objectif d’étendre ces expérimentations au contrôle des bagages en soute et du fret, dont les mesures de sûreté seraient encore trop négligées.

Ces innovations doivent permettre de fluidifier les contrôles dans la partie « airside » afin d’éviter le plus possible des regroupements trop importants de personne dans tout l’aéroport. Au niveau sécuritaire, l’efficacité apportée a globalement répondu aux attentes à tel point que des démarches ont déjà débuté afin de commencer l’exploitation au niveau national de certaines d’entre elles.

Un nombre d’acteurs potentiellement problématique.

Ces réponses et ces nouvelles technologies n’apportent pas de solutions à une autre problématique soulevée par le rapport qui est le nombre trop important d’acteurs dans la sûreté aérienne. Ministère des Transports avec la Direction Générale de l’Aviation Civile, Ministère de l’Intérieur avec l’action des préfets, des services de renseignements, de la police et de la gendarmerie. On retrouve aussi le Ministère des Armées, responsable de la sécurité de l’espace aérien national, les services douaniers pour les mesures de sûreté relatives au fret, les aéroports, les compagnies aériennes, etc.

Leur nombre peut ainsi engendrer un manque de réactivité et une fragilisation du système de réponse aux menaces. Délais de traitement trop long, manque d’échanges d’informations, réactions trop unilatérales par certains organes sont autant de risques qui fragilisent le système de réponse aux menaces, couplé avec un manque d’effectif et de budget pour certains d’entre eux.

Cette doctrine de « défense en profondeur » restera ainsi limitée tant qu’il n’y aura pas plus de coordination entre les acteurs. La création de nouveaux organes de coordination pourrait répondre à cette problématique, mais aussi ajouter encore plus de complexité. Une « concentration des forces » en parallèle à la « défense en profondeur » serait peut-être plus adaptée. Il s’agirait de concentrer les compétences et organes de direction et d’analyse au sein d’un nombre très limité d’acteurs, afin de gagner en réactivité et en efficacité. Ainsi, des efforts sont faits et doivent être poursuivis afin de répondre à l’évolution des menaces, l’aviation civile étant un secteur bien trop stratégique pour être négligé.

Elies Guilllemin, pour le Club Sûreté de l'AEGE