En novembre 2018, le Tribunal de la Libre Competencia (TDLC) chilien a permis à l’entreprise chinoise Tianqi de racheter 24% des parts de SQM (Sociedad Mineria y Quimica de Chile) au canadien Nutriem. Depuis juin 2018, une enquête était en cours afin de vérifier que cette vente n’allait pas entraver la libre concurrence dans le pays et créer un monopole chinois sur le marché du lithium.
Le Chili représente 28% de la production mondiale de cuivre et possède 54% des réserves mondiales de lithium. À travers une politique économique très libérale, le pays a signé 25 accords commerciaux qui lui permettent de commercer avec 64 pays de manière privilégiée. Les pays sud-américains ont signé deux accords économiques majeurs l’Alliance du Pacifique et le MERCOSUR. Cependant la juxtaposition de ces deux outils ne permet pas une véritable intégration économique pour les pays Sud-Américians. De ce fait, ces pays, et notamment le Chili, privilégient les accords bilatéraux qui leurs confèrent une plus grande liberté et une plus grande autonomie.
Les signaux faibles d’un pays sinisé
La région de l’Amérique latine a été au siècle dernier, une région sous l’influence des États-Unis. Cette action s’est caractérisée par les différentes ingérences politiques réalisées lors de l’Opération Condor au Chili, en Argentine, au Brésil, au Paraguay et en Uruguay dans le cadre de la lutte contre le communisme. Mais également via le rôle d’entreprises comme la United Fruit Company, par exemple, qui jouissait d’un quasi-monopole sur le marché des fruits exotiques. Les attaques du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak ont cependant entrainé un changement dans la politique américaine. Elle se manifesta par un retrait et la fin du contrôle de la région. Les Américains ont perdu une partie de leur influence (refus de la région de participer à la guerre en Irak), et une part de leurs activités privilégiées (création de l’Alliance du Pacifique entre la Colombie, le Chili, le Mexique et le Pérou). L’espace vacant fut récupéré par de nouveaux acteurs grâce aux différents sommets organisés avec les nations africaines ou les pays arabes mais également par la Chine. (Voir la thèse de Russell et Tokatlian. América Latina y su estrategia : entre la aquiescencia y la autonomía, 2013)
En 2005, la Chine et le Chili ont signé le Free Trade Agreement (FTA), premier accord entériné entre Pékin et un pays d’Amérique du Sud. En 2016, Xi Jinping s’est rendu sur le territoire chilien pour y amorcer de véritables échanges. La signature en 2015 d’un traité réciproque de non taxation (DTA), ainsi que la mise à jour du FTA sont deux éléments qui permettent à la Chine de se positionner sur le marché chilien. Le FTA permet aux produits chinois à faible valeur ajoutée de bénéficier de conditions d’importation simplifiées, tandis que le Chili peut exporter à moindre coût ses produits agricoles.
Ces partenariats économiques permettent aux deux nations un échange commercial fiable et puissant : la Chine est le premier marché d’exportation chilienne. Le Chili exporte à hauteur de 28% en Chine, laissant les États-Unis derrière (14,5% en 2017), tandis que 24% de ses importations sont chinoises. Pour constater ce fort partenariat, les chiffres montrent qu’en 2005 les échanges entre les deux pays s’élevaient à 7 milliards de dollars alors qu’en 2016 ils représentaient 31 milliards de dollars. La Chine a su s’imposer comme le partenaire économique privilégié qui permet au Chili d’exporter sa production agricole mais également du cuivre et ses produits dérivés. À l’inverse, la Chine exporte au Chili des produits manufacturés comme des voitures. Les échanges commerciaux sont asymétriques entre ces deux pays. Le Chili a besoin de vendre ses produits agricoles (fruits, vin et viande) tout en important des produits manufacturés et/ou technologiques, son industrie n’étant pas suffisamment développée.
Le mois de novembre 2018 a marqué un tournant dans la relation commerciale Chili-Chine. Ces semaines furent marquées par de nombreux événements qui avaient pour but de rapprocher de façon significative les deux pays. Les Chinois ont organisé « China International Import Expo (CIIE) qui rassembla les délégations des différents pays exportateurs en Chine. Le Chili y a envoyé 15 entrepreneurs afin de présenter leurs produits phares prisés des Chinois, tels les cerises, le crabe royal et le saumon. Puis, toujours en Chine, quelques jours après cette exposition, le Chili fut mis à l’honneur pendant une semaine afin de favoriser des échanges entre investisseurs. Ces rencontres entre délégations économiques s’achevèrent avec la visite au Chili de Ma Biado, Vice-Président de la Conférence Consultative de la Politique du Peuple Chinois.
Des relations bilatérales de plus en plus fortes
Lors de la Semaine du Chili à Beijing, après l’exposition chinoise (CIIE), le ministre des Affaires étrangères chiliennes a annoncé l’intégration du pays à la Nouvelle route de la soie chinoise. Cette initiative, One Belt, One Road , lancée en 2013 par Xi Jinping, doit intégrer le Chili à la nouvelle route commerciale. Le rattachement du pays à ce projet est capital puisqu’il est considéré comme la porte d’entrée de l’Amérique latine et de ses richesses. Le retrait américain depuis l’élection de Trump permet aux chinois d’investir massivement (250 milliards de dollars dans la prochaine décennie). Lors de la dernière rencontre entre les Etats-Unis et le Chili en novembre 2018, le président américain a principalement parlé de la beauté du pays andin, et non des futurs échanges économiques. À l’inverse, la Chine, par ses différents investissements, met en place des relations économiques privilégiées qui seront un atout pour les enjeux futurs dans les domaines stratégiques chiliens : l’énergie, la production agricole et le lithium.
Suite aux événements du mois de novembre, Roberto Ampuero, ministre des Affaires étrangères, a considéré que le Chili et la Chine ont les mêmes rêves de développement et travaillent à une meilleure coopération stratégique. L’économie du Chili est basée sur ses exportations, le développement économique est tributaire de partenaires à forte consommation régulière. La Chine répond à ces critères et souhaite participer au développement impulsé par le président actuel M.Piñera, notamment à travers des investissements, de la technologie et du savoir. Le ministre chilien des Affaires étrangères souhaite attirer les investisseurs chinois notamment dans de nouveaux domaines. Il souhaite ouvrir le marché de la protection de l’environnement et celui de l’utilisation écologique des ressources naturelles afin de développer les investissements plus technologiques.
Le rapprochement sino-chilien fait en partie suite à la chute des prix du cuivre, dont l’économie chilienne était tributaire. Les nouveaux liens créés avec ce partenaire permettent de diversifier les revenus économiques du pays et de s’assurer – à long terme – un grand marché d’exportation.
Les éléments d’une nouvelle collaboration
Afin de pénétrer le marché chilien, les groupes et investisseurs chinois ont dû apprendre à répondre aux habitudes commerciales locales. Ce marché est caractérisé par les oligarchies familiales qui possèdent les différents groupes industriels à la tête du pays. L’obtention des marchés fonctionne via le système des appels d’offre publiés par le Ministerio de las Obras Publicas. Les règles du marché chilien sont très formalisées et les entreprises chinoises ont du apprendre à les respecter. Par exemple, le Chili protège ses emplois et limite l’utilisation de travailleurs étrangers sur les chantiers. L’année 2018 a marqué un véritable changement de relation avec la Chine. Ces 12 derniers mois, InvestChile a organisé 27 réunions et a reçu trois grandes délégations, ces rencontres montrent une volonté réelle d’adaptation au système chilien.
Ainsi, la compagnie chinoise CRRC a remporté en novembre 2018 son premier appel d’offre dans le ferroviaire, qui lui permettra d’équiper la région de Concepción et le sud du pays. Le Chili a commandé 13 trains ; 10 électriques et 3 diesels à CRRC. Jusqu’à présent, la France grâce à Alstom et l’Espagne à la CAF, étaient les partenaires privilégiés du pays : c’est elles qui sont actuellement en charge du métro de Santiago.
Toujours en novembre 2018, le groupe chinois Joyvio a annoncé avoir signé une promesse de vente avec l’entreprise chilienne Australis, leader dans la production du saumon, pour un montant de 880 millions de dollars. Avant la signature définitive, Joyvio, qui appartient à Lenovo, devra répondre positivement à de nombreux critères de due diligence avant avril 2019 afin de pouvoir effectuer l’OPA.
Depuis début 2018, la présence chinoise dans le pays s’intensifie. En janvier dernier plus de 10 projets étaient lancés. Ces quelques exemples illustrent la prise de position dans les différents secteurs économiques chiliens : rachat de 27% de Transelec, entreprise génératrice d’électricité ; association entre Sigdo Koppers et China Railways Group Limites pour un projet de train entre Santiago et Valparaiso ou encore achat à hauteur de 12,5% de Fósforo, entreprise d’allumettes.
L’arrivée chinoise sur le marché chilien du lithium
Cette multiplication des activités chinoises au Chili peut s’expliquer de plusieurs façons. L’arrivée de Trump au pouvoir et la guerre commerciale entre les deux pays oblige la Chine à se tourner vers de nouveaux partenaires économiques. De plus, le développement de la nouvelle route de la soie s’étendra jusqu’en Amérique du Sud et aura pour partenaire privilégié le Chili.
D’un point de vue technologique, les Chinois maitrisent le marché des voitures électriques. Les batteries de celles-ci sont fabriquées à partir de lithium et le Chili est le deuxième pays après l’Australie à exploiter et à produire ce minerai. L’absence de la Bolivie sur le marché de la production de lithium incite le Chili à se positionner comme l’acteur principal de la région. La Bolivie possède en effet de grandes réserves de lithium. Pour des raisons politiques et économiques la production de ce minerai est en deçà de ses possibilités et reste fermée aux investisseurs étrangers.
Vue sous l’angle d’une volonté d’accès aux ressources de lithium, l’implantation chinoise au Chili apparait comme stratégique. Après de longues années sans véritable échange, le rapprochement chinois vers le Chili lui a permis petit à petit, par la création de liens et l’établissement d’une confiance réciproque, de s’implanter dans différents secteurs stratégiques des ressources chiliennes (énergie, ferroviaire, construction). La production de lithium est, depuis la fin de la dictature, exploitée par deux entreprises, la chilienne SQM et l’américaine Albemarle. L’accès au contrôle de cette ressource est limité et l’arrivée d’un nouvel acteur chinois pouvait paraitre impossible. Cependant, en créant une dépendance économique au Chili, la stratégie chinoise tient en tenaille le pays en s’imposant comme son premier partenaire économique.
Ainsi, en octobre 2018 après quelques mois d’enquête, le Tribunal de la Libre Competencia (TDLC), autorisa la prise d’action à hauteur de 24% de SQM par l’entreprise chinoise Tianqi pour un montant de 4 millions de dollars. Une plainte avait été déposée sur le principe de non respect de la concurrence et de possible concentration. Cet avis positif du TDLC laisse entendre que le Chili préfère favoriser un partenariat économique avec la Chine, quitte à perdre le contrôle de l’exploitation d’une ressource naturelle rare. Le doute subsiste sur la création d’un monopole puisque la Chine possède également des parts chez le concurrent américain Albemarle. Pour l’universitaire chilien Dr. Domingo Ruiz, expert en lithium, la vente d’actions à des entreprises étrangères hypothèque les bénéfices de cette ressource pour le Chili.
La Chine a placé ses pions de façon très stratégique. Par l’intermédiaire de l’entreprise Tianqi, le pays accède à une position dominante grâce au lithium chilien. En Australie, Tianqi possède également 51% d’une mine codétenue avec Albemarle. Comme l’écrit Philippe Escande dans Le Monde du 26 Octobre 2018, « cette situation aboutit de fait à créer un oligopole comme il en existe peu dans le monde pour une matière première aussi stratégique », ces trois entreprises contrôlant les deux tiers de la production de lithium. La Chine contrôle ainsi aujourd’hui près de 6O% de la production mondiale de ce minéral.