En 2001 la Russie publiait les fondements de sa politique de domination de l’espace arctique. Aujourd’hui, la construction de brise-glaces à propulsion nucléaire, vaisseaux indispensables à la navigation dans cette zone, témoigne de la concrétisation de sa volonté inchangée en la matière.
Le canal de Suez représente 7% du transport mondial et rapporte à l’Etat égyptien plus de 5 millions de dollars par jour. Ce passage stratégique permet de raccourcir de 20% le temps de trajet entre Tokyo et le Havre, comparativement à la route maritime du Cap de Bonne Espérance. Ce canal est, de plus, marqué par la présence des bases navales françaises, américaines, japonaise et chinoise.
Un passage le long des côtes arctiques Russes, serait une alternative rentable et donc hautement stratégique. En effet, il permettrait concomitamment de raccourcir les temps de trajet entre l’Asie et l’Europe d’une dizaine de jours, et de se prémunir contre une condamnation du canal de Suez. La question des ressources (gaz, pétrole) de l’Arctique suscite l’intérêt et la convoitise. C’est pourquoi la Russie renforce sa présence sur 1,2 million de kilomètres carrés d’îles arctiques, et revendique leur souveraineté, depuis 2001, auprès des Nations Unies.
En attendant la fonte des glaces annoncée, la banquise n’est actuellement pas prête de disparaître dans l’immédiat, même s’il est possible de constater une baisse de la recomposition de la banquise en hiver. C’est pourquoi certains pays ont également saisi tout l’intérêt stratégique de la maîtrise de la navigation en zone arctique. La Chine, l’Allemagne, la Norvège le Royaume-Uni et la France ont prévu et, pour certains, déjà mis à l’eau de nouveaux vaisseaux de support polaire, au cours de ces trois dernières années. La marine américaine, quant à elle, malgré quelques difficultés politiques, a maintenu son programme de 10 milliards de dollars pour la fabrication de brise-glaces polaires afin de garantir ses « intérêts souverains » face à la « concurrence ».
Mais, c’est bien la Russie qui possède la plus importante flotte apte à naviguer dans les eaux froides. En effet, il s’agit du seul pays à posséder une marine conséquente et adaptée : 39 brise-glaces dont 6 à propulsion nucléaire. Elle souhaite ainsi se doter de navires de nouvelle génération tant pour des besoins militaires que civils, notamment via le programme 22220. Ce projet, bien qu’ayant pris du retard, prévoit de construire les plus gros et puissants brise-glace à propulsion nucléaire jamais conçus, avec la livraison en 2016 du premier d’une nouvelle série, l’Arktika qui aura couté plus de 1,5 milliard d’euros. Ces navires seraient capables de naviguer à travers de plus de 3 mètres de glace et pourraient rester opérationnels par -50°C. Ces caractéristiques hors-normes témoignent de la volonté russe de contrôler ces nouvelles routes commerciales polaires toute l’année et pourraient même avoir d’autres objectifs tels que ceux permettant l’exploration et l’exploitation de ressources dans les fonds arctiques.
Ce programme de renouvellement de la flotte civile et militaire n’est qu’une partie de la stratégie russe de maîtrise la route du Nord dans cette zone. Les récents exercices de tirs sur des cibles navales le long des côtes russes, la communication autour de la première brigade d’infanterie arctique dépendant du commandement de la Flotte du Nord sont autant de démonstration de force que des mises en pratique concrètes des fondements de la politique de la Fédération de Russie dans l'Arctique. Depuis 2001 cette dernière développe une doctrine d’opposition à la mise en place d'infrastructures militaires en Alaska, au Canada, au Groenland, en Islande et en Norvège. La Russie met ainsi en place un arsenal politique et stratégique global visant à asseoir sa présence en zone polaire. Outre le renouvellement des matériels adaptés à l’environnement arctique, l’Etat russe soutien activement le développement d’infrastructures industrielles, de logements et de transport sur ses côtes nord, tout en finançant l’approvisionnement de vivres, pétrole et de matières premières et en mettant en place une stricte politique de protection environnementale. Ainsi, la Russie fait état volonté active de mainmise sur la zone arctique, politique qui ne semble pas avoir d’équivalent dans les pays de l’alliance pour la zone de l’arctique.
Jean-Etienne Dubin-Mouchotte pour le Club Défense de l'AEGE