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Quand la souveraineté numérique s’invite dans les conseils d’administration européens

Fin mars, la société DiliTrust, leader français des solutions de gouvernance éponymes, annonçait son alliance avec l’éditeur italien de logiciels Dromedian pour sa solution IMeetingRoom. Moins d’un an auparavant, c’était l’américain Diligent qui rachetait l’allemand Brainloop, sur le même segment de marché.

Deux rapprochements croisés dans le secteur de la gestion des documents stratégiques des entreprises, qui illustrent bien la montée en puissance de la protection des données sensibles des conseils d’administration, dans un contexte mondial où des mots tels que “Cloud Act” ou “RGPD” pèsent désormais de tout leur poids sur les décisions des instances dirigeantes.

Rapprochement franco-italien

Le rapprochement opéré par DiliTrust et Dromedian marque la naissance d’un nouveau leader sur le marché italien : DiliTrust iMeetingRoom. « Cette alliance est une excellente opportunité pour toutes les parties prenantes impliquées. En combinant nos talents et nos ressources, nous sommes en mesure d'offrir des solutions enrichies pour relever pleinement les défis de la digitalisation des salles de conseil. De plus, iMeetingRoom renforcera notre base clients et nos capacités d’implantation dans un marché européen majeur, conformément à notre stratégie pour devenir le leader international dans le domaine des solutions de gouvernance d'entreprise. » a déclaré le PDG de DiliTrust, Yves Garagnon. 

La solution franco-italienne offrira un service renforcé aux clients de iMeetingRoom, qui auront également accès à une offre élargie avec la gamme complète des produits DiliTrust. « Cette union stratégique profitera à l'ensemble de notre clientèle, grâce à une offre de produits étendue, bénéficiant d’une équipe de Recherche & Développement très experte et d’un service client multilingue accessible 24h/24 et 7j/7 » précise Adriano Valente, CEO de Dromedian.

Un contexte de guerre économique larvée

Cette union n’est pas sans rappeler celle qui s’est opérée l’an dernier entre l'américain Diligent et l'allemand Brainloop et qui avait fait couler beaucoup d'encre. Le 10 juillet 2018, la société allemande Brainloop, qui protège les données de 70% des entreprises cotées au DAX (Adidas, Allianz, Bayer, BMW…) et d'autres groupes européens (Suez, Vallourec, Crédit Suisse…), a fait l’objet d'une OPA de la part du groupe américain Diligent, spécialisé dans le partage et la sécurité de l'information.

Quelques mois à peine auparavant, le gouvernement Trump avait promulgué son « Cloud Act » selon lequel toute filiale d’une entreprise américaine peut se voir contrainte, en cas d'enquête pénale, à communiquer les données de ses clients européens aux instances américaines. Une nouvelle disposition de la législation américaine à laquelle Brainloop est désormais soumise. Le résultat inquiète : ses plus fervents détracteurs craignent une ingérence, voire une remise en cause du principe de la souveraineté juridique des États. De quoi agiter le spectre, maintes fois évoqué, d’une “guerre économique” larvée.

Une souveraineté numérique qui se dessine ?

Désormais, la protection des données confidentielles est devenue une préoccupation de premier ordre. L’expression « souveraineté numérique » est sur toutes les lèvres, du monde politique à celui des chefs d’entreprise. Pour un continent technologiquement avancé comme l'Europe, le risque de mainmise de l’administration américaine sur le « big data » qui est à la base de l'économie de la connaissance devient réalité.

Prise en étau entre la puissance des GAFAM américains (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et bientôt des BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), l’Europe est en quelque sorte à la croisée des chemins – et nul ne peut vraiment prédire la direction qu’elle va prendre.

Une première étape a toutefois été franchie en mai 2018 avec l’entrée en vigueur dans l’ensemble de l'Union Européenne du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Un élan supplémentaire a aussi été donné le 13 mars dernier, après la présentation par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) d’un rapport intitulé « Pour une politique de souveraineté européenne du numérique ». Ce document d’une soixantaine de pages dénonce la dépendance des européens en matière d’infrastructures dans les nombreux domaines du numérique (recherche, e-commerce, réseaux sociaux, etc.). Il décline 17 préconisations, parmi lesquelles, une taxe européenne sur les revenus des plateformes numériques issus du traitement et de l’utilisation des données des utilisateurs, la lutte contre les abus de position dominante et les entraves à la libre concurrence, et la création d’un acteur européen de la société civile pour assurer la défense du modèle émancipateur européen d’utilisation des données.

Une alerte lancée à l’Union européenne pour « reprendre nos destins collectifs numériques en main » a déclaré son rapporteur Benoît Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique (CNNum), « et se doter des moyens d’une concurrence équitable ».

Ce qui nous ramène au rapprochement DiliTrust iMeetingRoom. Cette alliance stratégique s’inscrit dans l’air du temps et, bien malgré elle, prend de fait une importance capitale, qui dépasse celle de la simple acquisition d’entreprise. Elle démontre, en outre, qu’en termes de souveraineté numérique, le salut pourrait aussi venir du privé.

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Doriane de Lestrange, 

Française, basée à Bruxelles,

Ancien avocat, devenue journaliste, rédacteur et analyste. Elle se concentre sur les questions européennes, stratégiques et macroéconomiques