La Russie à la conquête du continent africain : nouvelle aire d’influence de Moscou

A l’heure où la menace russe attire l’attention de l’OTAN, des Etats-Unis et de l’Union Européenne, à l’heure où Moscou est pris en étau entre les manœuvre occidentales sur son flanc Ouest, et la Nouvelle Route de la Soie chinoise au Sud-Est, la Russie réinvestit son champ de bataille idéologique en Afrique.

Le retour de l’influence russe sur le continent africain

La France est présente traditionnellement sur le continent Africain. Elle y assure une partie du maintien de la sécurité et lutte contre le djihadisme qui gangrène certaines régions. Paris intervient et est intervenu en Côte d’Ivoire avec l’opération Licorne (depuis 2002), en Libye via Harmattan (2011), au Mali avec Serval (2013-2014) puis Barkhane (depuis 2014), au Tchad avec l’opération Epervier (1986), en Somalie avec Atalante (depuis 2008) dans la lutte contre la piraterie, ou encore en Centrafrique au travers de l’opération Sangaris (2013-2016). Durant la Guerre Froide, les possessions françaises étaient jalousement défendues face à l’emprise grandissante des soviétiques s’immisçant lors du coup d’Etat en Somalie en 1969, ou en Ethiopie suite à la guerre de l’Ogaden en 1977. Moscou avait su se rendre indispensable auprès des mouvements de libération nationale à forte inspiration marxiste et prônait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à condition d’être à la disposition du nouveau grand-frère slave. Les officiers russes étaient présents dans tous les brasiers du grand continent. Les émissaires du communisme s’insinuaient auprès des groupes armés de libération, comme Che Guevara qui tenta d’exporter la révolution en RDC en 1965. Les cas du Mozambique et de l’Angola illustrent parfaitement ce partenariat noué sur fond de guerre de décolonisation et d’émancipation face à l’ancienne puissance tutélaire, le Portugal. L’ancien empire soviétique savait organiser et former les cadres des futures révolutions en les invitant étudier à l’Université Patrice Lumumba de Moscou.

Une nouvelle multipolarisation des relations internationales :

Dans cette optique de favoriser le développement des pays les plus pauvres d’Afrique, Moscou a marqué les esprits en effaçant 20 milliards de dollars de dette de ces Etats. Cet acte avait pour objectif de s’attirer les louanges de pays africains, considérant que le FMI serait plus hésitant à faire preuve d’autant de mansuétude. Mais le geste de Vladimir Poutine n’était en rien désintéressé.

Sur fond de multipolarisation des relations internationales et de realpolitik exacerbée, l’Afrique redevient un théâtre de jeux d’influence comme au temps de la Guerre Froide.

La Chine s’invite quant à elle au concert des nations en Afrique afin de profiter d’un sous-sol riche en matières premières et minerais (diamant, bauxite, or, lithium, cuivre …). Pour ce faire, Pékin promeut un développement rapide des territoires, par la construction de ponts, autoroutes et chemins de fer facilitant l’acheminement des richesses collectées. Les Russes se focalisent davantage sur la sécurité et le maintien de l’ordre. Leur présence se matérialise par la conclusion d’accords militaires et l’envoi de conseillers militaires et instructeurs des troupes. Moscou n’en n’oublie pas pour autant son approvisionnement en matière premières à coût modique. L’extraction minière semble avoir la préférence de la Russie qui, par le biais du géant Rusal, exploite les mines de bauxite de Dian-Dian en Guinée. Bien que riche en diamants, la Russie rencontre des difficultés pour son exploitation compte-tenu de la rudesse du climat à l’Est de l’Oural. Dans ces conditions, l’accès privilégié au marché de l’Angola offert à la société Alrosa permettra un approvisionnement important du pays. De plus, l’implantation de la société s’étend au Zimbabwe où elle est prête à « partager toutes ses technologies et son savoir-faire avec ses collègues afin que le Zimbabwe se fasse une place dans le marché mondial de l’extraction de diamants », selon les mots du président Serguei Ivanov.

Les liens unissant le continent africain à Moscou sont anciens. Ils remontent au début du 18ème siècle avec l’ascension d’un jeune prince né sur les bords du Lac Tchad vendu comme esclave aux Turcs et finalement affranchi par le Tsar Pierre Le Grand qui en fera son conseiller particulier : Abraham Hannibal. L’homme passera à la postérité pour avoir été le père spirituel du Maréchal Souvorov.

Une nouvelle emprise russe :

Loin de ces souvenirs, la Russie se déploie aujourd’hui en Afrique, par la conclusion de près d’une vingtaine d’accords militaires au sein du continent.

Un des accords les plus ambitieux fut conclue entre Moscou et l’Angola sur la fourniture à Lunanda d’un satellite de télécommunications, le premier du pays. Mais suite à des problèmes techniques lors du lancement en décembre 2017, un nouveau modèle l’Angosat-2 devrait être lancé depuis le cosmodrome de Baïkonour d’ici 2020.

La place cruciale des partenariats énergétiques :

Les partenariats russes conclus avec des pays d’Afrique ne se limitent pas aux domaines aérospatial et militaire, afin de sécuriser certains pays du continent. Les accords commerciaux sont une option permettant de conserver une certaine emprise. C’est le cas des accords touchant les approvisionnements pétroliers et leur protection. Moscou a porté son attention sur l’Algérie. En effet, en 2018 l’entreprise d’Etat Sonatrach et la société Transneft ont conclu deux contrats comprenant la sécurisation des infrastructures de transport et de stockage des hydrocarbures liquides.

Les partenariats énergétiques s’étendent également au nucléaire, puisque Moscou a signé avec le gouvernement de Zambie, un accord fin novembre 2018 portant sur la construction d’un réacteur de recherche, dont le début de la construction est prévu pour l’année 2019. Cette signature était précédée par la conclusion d’un contrat de coopération concernant la construction d’un Centre de sciences et de technologies nucléaires, intervenu en février 2018. Enfin la Russie supplante Washington au pays des pharaons en construisant la première centrale nucléaire du pays, marquant un changement de posture des égyptiens. En effet, le gouvernement avait été abandonné par Barack Obama lors de la révolution de 2011, dans le sillage du Printemps Arabe qui aboutira à la chute du président Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans. La Russie a aussi soutenu le Nigéria dans son ambition de développement nucléaire, puisque les deux partenaires ont signé des accords portant sur la construction, la gestion d’une centrale ainsi que d’un centre de recherche. Le complexe sera conçu par la firme russe Rosatom. Le nucléaire se révèle être le sujet majeur des accords-cadres signés par Moscou avec des pays tels que le Rwanda, ou le Kenya, dont il assure le développement énergétique, ce qui offre de fructueux débouchés au géant Rosatom.

Deux exemples édifiants :

Deux pays illustrent cette nouvelle politique ambitieuse de la Russie sur le continent, ce qui inquiète les anciennes puissances coloniales : Le Soudan et la Centrafrique. Historiquement, le premier se trouvait sous giron britannique depuis  la bataille d’Omdurman le 2 septembre 1898, le second se situait au sein de l’AEF.

Le Soudan se révèle en effet être actuellement un point stratégique pour Moscou dans sa reconquête d’influence en Afrique. La présence russe se décline sous deux formes, énergétique et militaire. Un plan a été signé en décembre 2018 avec Khartoum pour la construction d’une centrale nucléaire confiée à Rosatom. De plus le régime du général El-Béchir, fortement critiqué au niveau international, peut compter sur le soutien du régime de Vladimir Poutine pour assurer un certain ordre, et profite de ses entrées pour entrainer sur place les troupes de la société de mercenaires Wagner. Les chiens de guerre sont notamment accusés de soutenir le pouvoir qui fait face depuis décembre 2018 à d’importantes manifestations demandant le changement d’un régime, en place depuis la fin des années 1980.

La Centrafrique, ancien empire de Jean-Bedel Bokassa 1er, proche du président Giscard d’Estaing, est aujourd’hui en train de devenir le principal allié de la Russie dans la région. Depuis l’opération Sangaris menée par Paris, le calme n’est pas complétement revenu à Bangui et une forte portion du territoire national n’est pas sous contrôle total de l’Etat. Les milices armées continuent d’exercer une menace et se livrent à de nombreuses exactions. La Russie est arrivée au sein du premier cercle du président Faustin-Archange Touadéra. En effet, la sécurité du chef de l’Etat avait été confié aux casques bleus, agissant dans le cadre du mandat de la MINUSCA (mission de l’ONU en Centrafrique).

Ce sont à présent les forces spéciales russes qui escortent le président. Afin de sécuriser le régime contre toute tentative de coup d’Etat, Moscou a adjoint au président un conseiller à la sécurité, Valery Zakharov. La France perd progressivement pied sur ce territoire. L’exemple le plus éloquent étant le blocage initié par la Russie à la livraison d’armement par la France à destination de Bangui. Les armes en question, des AK-47 qui avaient été saisies en Mer Rouge au large des côtes Yéménites par la frégate « La Provence », seront finalement livrées en retard. Face à la situation que connait le pays depuis la Troisième guerre civile débutée en 2013, l’ONU avait voté un embargo sur le commerce des armes à destination de la Centrafrique afin de prévenir de possibles massacres. Néanmoins, suite à d’habiles négociations diplomatiques, Moscou est parvenue en décembre 2017 à obtenir une exception pour faire parvenir de l’équipement militaire à destination des Forces Armées Centrafricaines (FACA). Les premières livraisons sont intervenues en janvier 2018. Le pays, déchiré entre milices Seleka (majorité musulmane) fidèles au président Michel Djotidia, et milices anti-balaka (majorité chrétienne et animiste) soutenant le président François Bozizé, a été laissé seul et la Russie a su profiter de la situation. La ministre française des Armées soulignait même « la contribution positive de la Russie ». Moscou a dépêché près de 300 instructeurs chargés de former les FACA, un symbole fort. Les livraisons russes d’armes intervenues entre janvier et février 2018 se composèrent de : « 6 200 Ak-47, 900 Makarov, 270 RPG 7 et 20 canons anti-aérien ».

Comme à l’époque de l’empire soviétique, les officiers africains sont formés dans les académies russes. La Centrafrique, le Burkina Faso, l’Angola, le Rwanda et le Congo ont signé des accords, comprenant fourniture d’armes russes et formation de leurs officiers. L’Afrique attire 42% des exportations d’armes russes.

La Russie exerce un véritable pouvoir sur le continent africain, par des partenariats militaires, énergétiques, commerciaux, et affirme son influence face à des régimes soutenus par la France, tel le Tchad.