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[Conversation] L’intelligence minérale du BRGM : interview de Pierre Toulhoat (Partie 1)

Le Portail de l’IE a eu la chance de s’entretenir avec Pierre Toulhoat, directeur général délégué du BRGM, à l’occasion des 60 ans du bureau. La première partie de cet échange traite du positionnement actuel du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et de ses enjeux stratégiques. Le Portail de l’IE remercie Monsieur Toulhoat de sa confiance.

Pierre TOULHOAT -  Directeur général délégué du BRGMPortail de l’IE : Pourriez-vous nous décrire le BRGM, son histoire, son rôle, ses activités ?

Pierre Toulhoat : Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières est un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial), sous tutelle principale du ministère de la Recherche, mais également sous tutelle des ministères en charge de l’Environnement et de l’Économie pour le volet mines. À l’origine, le BRGM est l’instrument principal de l’État pour la prospection de l’industrie minière au service de la nation. Afin de mener celle-ci, l’État avait besoin d’affiner les cartes géologiques pour confirmer le potentiel minier. C’est ce que nous faisons, sur le territoire national et partout dans le monde. La cartographie reste l’une de nos principales activités, mais nous avons aujourd’hui d’autres sujets qui nous occupent beaucoup, comme la gestion des ressources en eaux souterraines – qui, pour rappel, constituent les deux tiers des ressources en eaux potables. Le BRGM travaille par ailleurs sur les ressources liées à la géothermie, c’est-à-dire hors hydrocarbures ; ainsi que sur la question des risques naturels : séismes, etc.

Concernant les métaux, le BRGM a joué un grand rôle dans la prospection et la compréhension mondiale des stocks. Nous sommes à l’origine d’à peu près la moitié des découvertes de grands gisements métalliques à travers le monde. Cette expertise a forgé une réputation mondiale au BRGM. Paradoxalement en France, notre appétit pour la réouverture de mines est très modéré alors que notre potentiel d’exploitation est intéressant.

PIE : Pouvez-vous nous dire quelques mots vous concernant. Qui êtes-vous, que faites-vous, quel est votre parcours ?

Pierre Toulhoat :  J’ai fait l’École normale supérieure, suivi des études en géologie, obtenu un doctorat d’État et effectué une partie de ma carrière au CEA. Par la suite j’ai travaillé à la création d’un institut de chimie analytique en lien avec le CNRS. J’ai créé et dirigé cette structure pendant quelques années. Il faut comprendre que la gestion de l’exploitation, comme la gestion des déchets nucléaires d’ailleurs, nécessite une bonne connaissance de la migration des éléments chimiques dans les sous-sols. J’ai donc cette double casquette entre la chimie et la géologie. Je suis géochimiste de métier. J’ajoute que j’ai pu, en continuant mes activités avec le CNRS, travailler en tant que directeur scientifique au sein de l’Institut national de l'environnement industriel et des risques.

Au BRGM je suis directeur général délégué et directeur scientifique depuis 2016, donc en charge de la stratégie et en particulier des questions scientifiques. Aujourd’hui, à côté de Michelle Rousseau, PDG, je m’occupe des grands partenariats scientifiques. Nous fêtons par ailleurs les soixante ans du BRGM cette année !

PIE : Comment travaillez-vous avec les services de l’État et les industriels lors de vos recherches ? Les industriels profitent-ils de ces dernières ?

Pierre Toulhoat : Lorsque nous intervenons sur des prospections à l’étranger, c’est le plus souvent sur des financements apportés par de grands bailleurs de fonds internationaux. De fait nous sommes en amont du processus d’exploitation. Nous sommes aujourd’hui sur des études cartographiques du potentiel minier, mais à larges mailles. C’est une information plutôt à destination des États qui vont, plus tard, se tourner vers des industriels et ouvrir des possibilités de concessions. Contrairement à ce que faisait le BRGM jusqu’à il y a une quinzaine d’années, nous ne sommes plus impliqués dans les questions d’exploitation minière, en France ou à l’étranger. C’était une volonté de l’État de désengager le BRGM de l’exploitation « directe ». Par contre le bureau reste compétent sur la géologie minière, les gisements minéraux… A ce titre nous conseillons les services de l’État, notamment le bureau des ressources minérales non énergétiques, hébergé par le ministère de la Transition écologique et solidaire.

PIE : Quelle part prend l’Intelligence économique au sein du BRGM ? Quelle est votre sensibilité à cette discipline ?

Pierre Toulhoat : Nous développons, notamment via nos échanges avec les services de l’État, une véritable dynamique d’intelligence minérale. Par exemple nous communiquons via un site : Minéralinfos.fr. Cette communication a véritablement vocation à partager la connaissance entre les acteurs de la filière. Nous y produisons des fiches de criticité, par pays, par métaux… Nos recherches stratégiques d’intelligence minérale pure servent aussi au Comité pour les métaux stratégiques, qui a pour mission d’assister le ministre chargé des mines dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de gestion des métaux stratégiques.

L’Intelligence économique est donc une discipline que nous pratiquons depuis longtemps, sans en utiliser directement le nom. Une démarche de ce type est indispensable. Cette intelligence minérale s’applique aussi bien aux ressources minières dites primaires, mais aussi secondaires, c’est-à-dire issu du recyclage notamment. Cette ressource secondaire est aujourd’hui de plus en plus importante en volume et en valeur.

PIE : Le BRGM, par sa position et son expertise mondiale, représente un levier de puissance pour l’État français. Comment travaillez-vous avec les services de l’État ?

Pierre Toulhoat : Prenons l’angle du recyclage. Nous avons beaucoup d’opérations de recherche sur le sujet, financées pour la plupart par des projets européens. Nous travaillons également de concert avec les équipes du CEA dans ses différents laboratoires. L’État français, via de telles interactions, peut croiser son expertise de niveau mondial. Nous avons un véritable savoir-faire. Récupérer des terres rares sur une carte électronique n’est pas forcément si différent que récupérer des terres rares issues de la dissolution issue de combustion.

Évidemment nous avons d’autres acteurs en France, mais le BRGM et le CEA sont vraiment en pointe sur ces sujets. Néanmoins, malgré le très gros travail que nous fournissons, ce secteur est encore insuffisamment développé.

PIE : Quelle est la cause de ce « retard de développement » ?

Pierre Toulhoat : Ce n’est pas encore rentable. Cela coûte encore plus cher de mettre sur le marché un métal issu du recyclage plutôt qu’un métal issu de l’extraction primaire. Pour optimiser le développement de ce marché, il pourrait être pertinent de le contraindre, ou simplement de l’encadrer au niveau européen. Pourquoi pas des incitations réglementaires par ailleurs ? Il pourrait être absolument pertinent de conserver ce que l’on appelle les mines secondaires, c’est-à-dire nos déchets électroniques, mais plus largement ceux issus des différentes branches de nos industries, qui sont aujourd’hui pour une partie rachetée par des pays comme le Japon et ne sont pas du tout optimisés ni recyclés.

Retenez que cette situation, en plus de la domination chinoise sur les terres rares, est un frein majeur au développement du recyclage industriel. Il est indispensable de reprendre la main sur nos chaînes de valeur. En France, nous avions une usine de recyclage des terres rares contenues dans les ampoules, elle appartenait à Solvay avant qu’elle ne soit vendue à BASF. L’irruption des LED a fait s’effondrer le marché des terres rares qui avait beaucoup cru suite aux différents blocages chinois des années 2010. L’activité s’est arrêtée et l’usine a été vendue.

Finalement, il faut comprendre qu’à un horizon assez court, avec les pénuries et les tensions que nous allons connaître sur certains métaux, les ressources secondaires vont devenir rentables. Mais il est toujours dommage de se trouver pousser dans un extrême sans avoir pu prévoir et anticiper. Les problématiques sont aujourd’hui moins techniques que liées aux marchés et à leurs régulations et régulateurs.

Il y quand même de grandes tendances au-delà de ça. Le cas des batteries de voiture est intéressant. Le volume produit à venir va générer de nouvelles problématiques en termes de stockage et de recyclage. De même pour les trottinettes électriques. Il ne semble pas raisonnable de laisser ces concentrés de matières dans des décharges et de ne pas les recycler.

Suite de l'interview à suivre prochainement.

Jean-Baptiste Loriers