[JdR] Prospectives 2020 : les risques géopolitiques en hausse sous l’effet de la montée du populisme et de l’isolationnisme (Partie 1/2)

En 2020, le contexte géopolitique mondial est désormais davantage contraire aux intérêts des entreprises internationales qu’il ne l’a été depuis plusieurs années. De nombreux facteurs contribuent au climat d’incertitude qui règne dans le monde des affaires.

Dans le cadre du Mois du Risque, Karima ALAMI et Lorenzo NEUMANN dressent un panorama des grands enjeux de 2020. Ce jeudi, découvrez la première partie de ce JdR. La suite sera disponible dès jeudi prochain.

 

La hausse du populisme et du protectionnisme dans certains pays en est surement un. Parmi ces pays, les États-Unis sous la présidence Trump ont joué un rôle fondamental dans la propagation de ces idéologies. Leurs décisions se répercutent inévitablement sur la sphère économique, en affectant les grands pays exportateurs comme la Chine ou l’Allemagne et affectent par extension les sphères sociales et politiques. En Europe, le Brexit, dont la nature et les effets demeurent inconnus, en est un exemple. Plus que jamais, les risques politiques dans une partie ou une région du monde sont susceptibles d’avoir un impact sur d’autres régions, ce qui entraîne souvent des dommages inattendus. Enfin, la crise du multilatéralisme met à mal l’idée d’une réalisation collective de progrès et de développement face aux défis mondiaux.

 

La raison de la montée du populisme est en partie à retrouver dans le sentiment d’inégalité croissant produit par le capitalisme et accéléré par la diffusion d’Internet. Dans le sillage des « gilets jaunes » en France, 2019 a vu monter une révolte des classes moyennes tant dans les pays développés que dans les pays émergents. Déclenché souvent par une augmentation des prix de produits de base, le phénomène traduit un profond malaise des classes moyennes, dont les plus fragiles apparaissent comme les laissés-pour-compte de la mondialisation. Cela pose un véritable défi aux gouvernements qui n’ont pas suffisamment anticipé les effets de la numérisation et de la robotisation. Elle a déjà perturbé en profondeur le quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle pourrait demain reconfigurer les démocraties occidentales au profit de pouvoirs plus autoritaires. Les manifestations – nombreuses et violentes – par lesquelles les révoltes sont accompagnées, affectent directement les entreprises.

Il sera donc essentiel de faire preuve de vigilance et d’effectuer des analyses globales des risques systémiques pour atténuer ces menaces.

 

Le clivage politique augmente considérablement aux États-Unis

 

L’année 2020 sera une année chargée sur le plan des élections pour les marchés émergents et certains Etats développés, ce qui pourrait renforcer le climat de volatilité politique. Parmi ces derniers, les élections législatives et présidentielles états-uniennes de novembre sont probablement les plus idéologiques depuis 40 ans.

 

En effet, les sondages indiquent une forte augmentation du clivage politique sous Trump, en plus de la consolidation partisane des schémas de vote. Même si les démocrates choisissent finalement un candidat plus fédérateur, plus éligible aux yeux des électeurs hétérogènes des « swing states », le parti a déjà été tiré vers la gauche progressiste sur des questions politiques clefs. Notamment sur les questions de l’accès aux soins et la mise en place d’un système de santé universel. Pour autant, Trump et sa base perçoivent les ambitions démocratiques dans les soins de santé, la fiscalité, l’écologie, l’immigration et d’autres politiques comme des menaces existentielles.

 

Par conséquent, Trump misera sur un nouveau conflit idéologique entre les soi-disant « patriotes » et les « socialistes démocrates radicaux ». La radicalisation de l’électorat pourrait être bénéfique aux deux partis en 2020, mais elle comporte des risques considérables pour les entreprises : du coup de fouet règlementaire aux hausses d’impôts, en passant par la perturbation des échanges commerciaux. Sur ces questions et sur d’autres, la campagne 2020 signalera aux entreprises dans quel sens souffle le vent idéologique.

 

L’économie tourne au ralenti en Amérique latine

 

Au Mexique, la première année de gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a été mouvementée sur de nombreux fronts. Malgré le mandat le plus fort de tous les présidents au cours des deux dernières décennies, AMLO n’a pas réussi à tirer parti de son pouvoir politique pour améliorer bon nombre des problèmes persistants du Mexique – principalement une économie atone et un environnement sécuritaire difficile. L’économie mexicaine n’a évité de justesse la récession qu’au cours du premier semestre de 2019, tandis que les perspectives de croissance pour 2020 ont été encore réduites et tournent désormais autour d’un maigre 1 %. Parallèlement, 2019 a été l’année la plus violente de l’histoire récente du pays, le taux de meurtres ayant dépassé 25 pour 100000 habitants. Bien que certaines des causes profondes de ces problèmes remontent aux administrations présidentielles précédentes, AMLO a déjà commis de graves erreurs. Le manque de pragmatisme d’AMLO affiché au cours de sa première année de mandat a conduit à un scepticisme sur son projet économique et politique et à des risques accrus pour les activités commerciales dans la deuxième économie d’Amérique latine.

 

Au Brésil, la position du gouvernement favorable aux affaires restera inchangée en 2020, tout comme son engagement à rééquilibrer les finances publiques. L’administration du président Jair Bolsonaro devrait en revanche avoir du mal à mettre en œuvre de larges pans de son programme de réforme face à une coalition de gouvernement de plus en plus instable au Congrès. Même la croissance économique prévue pour 2020 est peu susceptible d’améliorer considérablement ses faibles notes d’approbation, qui ont plongé depuis qu’il a pris ses fonctions. Bolsonaro lui-même déplacera également son attention vers d’autres priorités, telles que la création d’un nouveau parti politique (le neuvième) pour participer aux élections locales d’octobre.

Cependant, le climat des affaires devrait s’améliorer en raison d’initiatives dirigées qui ne nécessitent pas l’approbation législative, telles que les privatisations, la libéralisation des échanges et les mesures visant à réduire les formalités administratives. Les taux de criminalité devraient continuer de baisser, en particulier les homicides, mais la présence généralisée de groupes criminels organisés continuera de créer des conditions de sécurité difficiles pour les entreprises, y compris les risques liés au vol de marchandises. Alors que la menace de troubles sociaux restera latente, les groupes capables d’organiser de grandes manifestations restent fermement divisés entre les côtés opposés du spectre politique.

Sur le plan extérieur, l’administration Bolsonaro maintiendra une approche conflictuelle dans les forums mondiaux, s’éloignant du multilatéralisme et se concentrant sur le renforcement des liens avec un petit nombre d’alliés internationaux, dont le président américain Donald Trump. L’augmentation probable de la déforestation en Amazonie brésilienne pourrait à nouveau attirer l’attention mondiale sur la politique environnementale controversée du gouvernement et pourrait nuire à la poursuite par le Brésil de nouveaux accords commerciaux, y compris l’accord UE-Mercosur. Il sera enfin important de surveiller l’évolution des relations bilatérales avec Buenos Aires, qui vient d’élire un gouvernement de gauche. La relation de Bolsonaro avec le président argentin Alberto Fernández a commencé du mauvais pied, avec une confrontation verbale désagréable entre eux.

 

Moyen-Orient : manifestations et lutte pour la maîtrise des zones de confluence

 

Le potentiel du vaste marché algérien, largement inexploité, continuera d’être entravé par l’incertitude politique en 2020. Si 2019 était l’année du changement par rapport au système politique d’Abdelaziz Bouteflika, 2020 devrait être marqué par le renouvèlement de la classe politique. Les conséquences que cela aura pour les investisseurs étrangers qui envisagent d’investir en Algérie reste très incertaine.

Ce qui est certain, c’est que l’armée maintiendra son influence dans les coulisses et veillera au maintien de la stabilité et de la sécurité politique. Il est également certain que le mouvement de contestation (le Hirak), qui a forcé l’ancien président Bouteflika à démissionner en avril 2019, persistera en 2020 et continuera d’exiger une rupture plus radicale avec le passé. Cela est particulièrement probable si d’autres mouvements de protestations anti-etablishment continuent de proliférer aux niveaux régional et mondial.

Face aux défis économiques importants auxquels l’Algérie est confrontée, le nouveau gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune cherchera probablement à améliorer certaines parties de l’environnement règlementaire du pays afin d’attirer les investissements étrangers dont il a un besoin urgent. Le secteur pétrolier nécessite ainsi une refonte rapide pour stimuler les niveaux de production qui ont chuté par manque d’investissement et font face à une demande croissante de la consommation intérieure. Les efforts pour faciliter les investissements étrangers seront toutefois ralentis par la résistance du mouvement de protestation et des éléments de la bureaucratie d’État où l’étatisme et l’hostilité aux investissements étrangers restent ancrés. La persistance du Hirak alimentera également l’incertitude quant au degré de tolérance du régime vis-à-vis de la contestation. Une augmentation de la violence impacterait directement et négativement l’activité commerciale.

 

Au Liban – théâtre lui aussi d’un vaste mouvement de contestation sociale contre le pouvoir en place, qui a poussé le Premier ministre Saad Hariri à la démission le 29 octobre dernier, sur fond de grave crise économique – après un essoufflement qui a coïncidé avec les fêtes de fin d’année, les manifestations populaires ont repris depuis samedi 11 janvier. Contrairement à son début, de plus en plus de heurts éclatent entre les manifestants et les forces de l’ordre.

 

La dangereuse montée en puissance de la Turquie

 

Déterminée à renforcer coûte que coûte son rôle sur les plans régional et international, la Turquie s’est lancée dans une guerre d’influence tous azimuts visant à sécuriser ses frontières et l’accès aux ressources énergétiques.

 

Dans la province syrienne frontalière d’Idleb, la Turquie, qui appuie des groupes rebelles syriens, a installé début février une douzaine de postes d’observation pour prévenir une offensive des forces gouvernementales syriennes. Le régime de Bachar el-Assad et le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, les deux alliés de la Russie, se disputent ce territoire du Nord-Ouest de la Syrie et dernier grand bastion des jihadistes et rebelles. La victoire de l’un ou l’autre champ aura des conséquences directes sur la répartition des territoires syriens à la fin de la guerre. L’affrontement met déjà dans l’embarras le président russe Vladimir Poutine. 

 

En Méditerranée orientale également, la position de la Turquie restera probablement un problème insoluble dans les différends relatifs aux revendications concurrentes sur l’espace maritime – et le gaz qui s’y trouve. Elle a déployé des navires de guerre pour soutenir les opérations d’exploration et de forage dans les eaux de l’île de Chypre (dont le Nord est sous occupation turque depuis 1974) et se trouve dans une position de force vis-à-vis de la moitié sud de l’île (soutenue par la Grèce et les États-Unis), qui ne peut compter que sur peu de moyens de pression, principalement diplomatiques.

D’autre part, dans la lignée de sa stratégie, Ankara a signé avec le gouvernement libyen de Sarraj un accord de délimitation maritime afin de mener des activités d’exploration conjointes le 27 novembre dernier. En effet, la Turquie soutient politiquement et militairement l’islamiste Fayez Al Sarraj dans le pays nord-africain, qui est ébranlé par une guerre civile depuis la mort de Kadhafi en 2011.

Les tensions sont vives et les mouvements des navires de guerre dans la région pourrait venir entraver la libre circulation des navires commerciaux et gêner les échanges dans la région. 

 

La vulnérabilité des États du Golfe Persique face à la détermination iranienne

 

Dans le golfe Persique également, la géographie joue un rôle fondamental. Un peu plus de 30 % de l’approvisionnement mondial en pétrole par voie maritime passe par le détroit d’Ormuz, et le goulot d’étranglement du transport maritime est devenu un protagoniste clef de la stratégie de « pression maximale » contre l’Iran adoptée par le président américain Donald Trump. La République islamique est consciente du fait que toute tentative de fermer le détroit entraînera probablement une réponse militaire majeure, mais elle semble aussi avoir compris que toute action militaire dans le détroit fait grimper les tarifs d’expédition et d’assurance des États arabes du Golfe.

Téhéran a investi dans un large éventail de capacités asymétriques, clandestines et par procuration qui lui permettent de menacer les États qui dépendent du détroit et des actifs physiques qui le traversent. Le fait que ses adversaires aient une aversion au risque lui donne également une marge de manœuvre considérable pour provoquer et menacer sans encourir de châtiment substantiel. En 2020, l’Iran poursuivra probablement son jeu du chat et de la souris, exposant la vulnérabilité de l’approvisionnement énergétique mondial et faisant pression sur les États-Unis pour alléger les sanctions. Nous pouvons nous attendre à des attaques intermittentes de divers degrés de gravité, à la fois dans les mondes physique et cybernétique.

Les États-Unis et leurs partenaires seront confrontés à un test de leur patience et de leur engagement. Aussi petits que le détroit et le Golfe adjacent sont, il reste difficile de protéger pleinement toutes les infrastructures critiques qui le bordent et tous les navires qui y transitent. La guerre reste improbable. Cependant, chaque provocation iranienne supplémentaire est de plus en plus susceptible de recevoir une réponse militaire, bien que ciblée et calibrée. Trump devra repousser les négociations avec l’Iran s’il ne souhaite pas être prisonnier de la géographie de la région.

 

Le défi de Hong Kong

 

À Hong Kong, où la population manifeste depuis des mois, la résistance de l’opposition face aux menaces de Pékin pourrait entraîner une intervention militaire du pouvoir communiste. Initialement né contre un projet de loi favorisant l’extradition de ressortissants de Hong Kong en Chine continentale, le mouvement de protestation rejette aujourd’hui ouvertement le pouvoir personnalisé par l’omnipotence de Xi Jinping et appelle à une nouvelle gouvernance, comme l’ont montré les dernières élections législatives. 

 

L’isolationnisme de Trump ouvre de l’espace à des nouvelles alliances en Extrême-Orient

 

En Asie comme ailleurs, l’abandon des alliances traditionnelles américaines pourrait creuser le déficit de leadership mondial. Avec ses impulsions incontrôlées, la vision transactionnelle étroite de Trump sur les alliances pourrait le conduire en 2020 à « ramener les garçons à la maison », en retirant au moins 6 000 soldats et en dénouant l’alliance entre les États-Unis et la République de Corée. Une dynamique similaire menace l’alliance américano-japonaise, Tokyo établissant des liens avec de nouveaux partenaires économiques et de sécurité. 

 

Des tensions avec la Russie qui perdurent

 

Entre-temps, les relations entre la Russie et l’Ouest demeureront probablement tendues en 2020, notamment en raison des accusations d’ingérence du Kremlin dans les politiques nationales états-unienne et européenne des conflits se déroulant en Syrie et en Ukraine. Tous ces facteurs pourraient entraîner d’autres sanctions des États-Unis ou de l’UE à l’égard de la Russie. Par ailleurs, le retrait du président américain Donald Trump du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire conclu entre l’URSS et les États-Unis en 1987 favorise également le déploiement de nouveaux missiles en Europe.

 

Brexit : quelles conséquences politiques pour le Royaume Uni ?

 

Depuis le 31 janvier, le Royaume-Uni n’est plus membre de l’UE, mais ce ne sera que le début d’une longue période de changements alors que le pays cherche à redéfinir ses partenariats internationaux.

Le vote du Royaume-Uni en 2016 pour quitter l’UE a contribué à un changement fondamental de la stabilité politique du pays, qui devrait continuer de se développer en 2020. Avant le référendum, il était déjà prouvé que le système électoral du pays avait cessé de garantir une majorité stable aux gouvernements. Le Brexit a renforcé cela, fracturant les partis politiques traditionnels et créant de nouvelles lignes de démarcation entre les électeurs. Il semble peu probable que quelque chose se produise en 2020 pour inverser cette fragmentation de l’image politique du Royaume-Uni. Pendant ce temps, bien que Westminster reste au centre du drame politique au cours de l’année à venir, les parties constituantes du Royaume-Uni perdent patience et l’union de l’Angleterre, de l’Écosse, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord devrait continuer à paraître plus faible que jamais.

Karima ALAMI et Lorenzo NEUMANN

Suite et fin jeudi prochain