Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

[ENQUÊTE] – Comment limiter la portée du message de contestation à Hong-Kong : l’utilisation présumée de comptes Twitter suspicieux par le camp pro-Pékin.

Cette enquête met en lumière un réseau de comptes Twitter très probablement automatisés – ou du moins fabriqués – utilisés par le camp favorable à Pékin pour véhiculer un message pro-gouvernemental, à la fois sur la question de Hong Kong, que sur le sujet épineux du nombre de décès liés au Covid-19 en Chine.

Le jeudi 21 mai 2020, le parlement chinois a indiqué qu’il se saisira « ces prochains jours » d’une loi sur la « protection de la sécurité nationale » à Hong Kong. En 2019 déjà, des manifestations spectaculaires avaient éclaté en protestation face à l’annonce d’une loi d’extradition, qui, validée, permettait à Pékin d’extrader pour des raisons judiciaires les hongkongais vers la Chine continentale. Le principal argument des opposants à cette loi reposait sur le risque d’incarcérations et de jugements arbitraires concernant notamment les critiques politiques et autres formes de protestations. C’est donc dans un contexte particulièrement tendu qu’un nouveau projet de loi controversé apparaît, alors que des appels à manifester pour le 22 mai sont déjà en cours de circulation. 

 

Cette situation a fait monter le « hashtag » (#HongKong ) sur la plateforme Twitter, signifiant ainsi un attrait des utilisateurs à l’utiliser dans leurs publications, commentaires et partages. Des études précédentes menées sur les techniques employées par Pékin dans le but de noyer la contestation et partager de l’information favorable au régime ont prouvé l’utilisation parfois massive de comptes Twitter automatisés, ou encore de bots. 

 

Benjamin Strick, un journaliste de la BBC et contributeur de Bellingcat a publié de nombreuses études à ce sujet, sur les opérations chinoises contre les critiques de sa réponse face au Covid-19 notamment ainsi que sur des opérations de propagande en Indonésie via l’utilisation de comptes automatisés sur Twitter. La Russie n’est pas non plus novice dans ce type d’action : l’IRA (Internet Research Agency) basée à Saint-Pétersbourg semble avoir joué un rôle direct dans l’interférence russe sur la campagne présidentielle américaine de 2016. Le rapport rendu par Robert Mueller est très parlant et décrit précisément les types d’opérations menées dans ce contexte. La guerre de l’information menée par la Russie sur Twitter employait d’une part des comptes fabriqués incarnant des citoyens américains, et d’autre part, des réseaux de bots dans le but « d’amplifier du contenu déjà existant sur Twitter » grâce aux « hashtags » notamment.

 

L’enquête a été conduite à partir du vendredi 22 mai 2020, lors du regain de tension à Hong-Kong. En premier lieu, des informations sur le réseau d’utilisateurs de Twitter gravitant autour du sujet #HongKong ont été récoltées. Les données se comprennent sur une période de 15 minutes, et ne sont pas totalement exhaustives. Ci-dessous, la représentation graphique de cet échantillon (2149 nœuds, 8424 liens) :

Le réseau des utilisateurs Twitter utilisant le #HongKong utilisé dans cette étude.

 

Un nœud, c’est-à-dire un point rouge, représente un utilisateur ; un lien dirigé (ici en gris) représente une mention d’un autre utilisateur dans une publication ou un retweet. Après mise en forme partielle, nous avons repéré une structure singulière, qui ne semble pas interagir avec le reste du réseau :

A gauche, la majeure partie de l’échantillon. A droite, une partie du réseau d’utilisateurs qui semble n’interagir qu’entre eux. La formation à droite de l’image attire l’attention car elle n’est pas reliée au reste des utilisateurs : cela signifie que dans le réseau de droite, les interactions se limitent aux membres définis de ce réseau (les comptes se mentionnent et se retweetent entre eux). C’est d’autant plus parlant que les deux formations utilisent le même « hashtag » et que les médias internationaux sont exclus du réseau d’intérêt. Voici le réseau d’intérêt qui semble se comporter indépendamment du reste des utilisateurs :

Les comptes Twitter du réseau d’intérêt n’interagissent qu’entre eux.

Première remarque : la très grande majorité de ces utilisateurs ont un nom qui semble aléatoire et qui ne ressemble pas à une identité personnelle. 

Deuxième remarque : l’étude de ces comptes montre que ceux-ci sont apparus sur Twitter très récemment (avril et mai 2020) :

Il est à noter que certains de ces comptes se sont domiciliés aux États-Unis et que la totalité utilise une photo de profil émanant d’un site qui héberge des photos (pbs.twimg.com), à disposition du grand public. Cet argument tend à confirmer la suspicion à propos de la « fabrication » de ces comptes.

 

Enfin, troisième remarque, ces comptes semblent avoir un comportement uniformisé, visant à retweeter (republier) le contenu d’un utilisateur et le mentionner par la même occasion :

L’utilisateur @4amgodv202004 interagit avec les autres utilisateurs du réseau en suivant le schéma mention et retweet. Les autres utilisateurs suivent le même schéma.

 

Ces premières remarques peuvent laisser penser qu’une opération informationnelle est mise en œuvre. Pour en savoir plus, nous proposons d’analyser les comptes les plus actifs du réseau. Par ailleurs, beaucoup ont déjà été épinglés par Twitter, qui affiche le message suivant à l’ouverture de la page d’un des comptes du réseau : Caution : This account is temporarily restricted. You’re seeing this warning because there has been some unusual activity from this account. Do you still want to view it ? 

 

Ci-dessous, un exemple de retweet de l’utilisateur précédemment mentionné d’une publication d’un autre membre du réseau :

L’utilisateur à l’origine du tweet ne suit aucun compte et n’est suivi par personne mais affiche 24 retweets et 63 mentions « j’aime ».Ainsi, le sujet couvert par ces comptes est bien « Hong-Kong », avec un tropisme pour la dénonciation des violences, la manipulation des étudiants manifestants et le soutien aux forces de l’ordre Hongkongaises. Les autres exemples ci-dessous en attestent :

 

Sur l’exemple ci-dessous, l’utilisateur à l’origine de cette publication ne suit aucun autre compte et n’en suit aucun autre également mais affiche 18 retweets et 188 mentions « j’aime ».

 Une image contenant capture d’écran

Description générée automatiquement

En outre, cet autre utilisateur a créé son compte le 22 mai 2020 et n’a publié que ce tweet. Il n’est suivi par personne et ne suit personne, mais totalise 19 retweets et 38 mentions « j’aime ».

Ainsi, l’échantillon d’intérêt étudié montre des signes d’inauthenticité en termes d’activité et d’identité. Cela peut être pensé comme une opération informationnelle du camp pro-Pékin à l’encontre des contestations Hongkongaises. Son indépendance vis-à-vis du reste de l’échantillon non étudié n’en fait pas moins groupe relativement influent. En effet, bien qu’il ne représente que 2% des utilisateurs de l’échantillon total, il concentre plus de 5% des échanges sur le sujet, au moment de la capture des données pour l’enquête. 

 

En outre, des éléments tendent à prouver que ce réseau est plus large et que la durée de capture des flux Twitter ait restreint la visibilité et le champ des possibles de l’enquête.  Le nombre de retweet ou de mentions « j’aime » dépasse parfois les 51 utilisateurs d’intérêt identifiés. Ainsi, il est raisonnable de soutenir qu’il y ait davantage de comptes prenant part à cette opération.

 

24 heures après l’analyse, il a été remarqué que des comptes ont temporairement fermés, alors que certains semblent avoir totalement disparu. Un premier compte a été définitivement suspendu par Twitter pour violation du règlement de la plateforme.

 

Par ailleurs, la majeure partie de ce réseau d’intérêt est devenue muette 24 heures après leur « pic » d’activité (hors suspension de compte). Aux vues de leur création récente, ces comptes ont-ils été créés en vue d’opérations informationnelles ponctuelles ? Deux comptes retiennent l’attention : ils ne sont suivis par personne et leurs publications en anglais cumulent 327 mentions « j’aime » et 55 retweets. Ces publications dénoncent la violence de l’opposition de Hong Kong, le rôle des professeurs dans la radicalisation des étudiants et affichent tous les deux l’hashtag Hong Kong en mandarin (« 香港 »). Il est probable qu’un nouveau réseau se soit mis en place, à partir de certains comptes du réseau analysé ici.

 

L’activité du réseau étudié se résume en la décrédibilisation du mouvement de contestation de Hong Kong face à la Chine continentale. Nous avons remarqué une utilisation ponctuelle de publications allant à l’encontre de Guo Wengui, farouche opposant à Pékin exilé aux États-Unis et hautement critique sur le nombre officiel de décès chinois dus au Covid-19. Cet homme a par ailleurs été la cible d’une campagne menée également sur Twitter en vue de le décrédibiliser, quand celui-ci affirme, sans preuves, que le nombre de victimes du Covid-19 en Chine dépasse les 50 000 morts.

 

Adam Thongsavarn