Depuis 13 ans la France ouvre son marché énergétique à la concurrence. Cet appel d’air économique a pour effet de faire émerger de nouveaux acteurs installés, dont l’actionnariat comme le fonctionnement doivent être surveillés pour maintenir autant que faire se peut une indépendance énergétique.
Comme dans tout marché qui s’ouvre et se développe, de nouveaux entrants ont profité de l’ouverture concurrentielle du marché de l’énergie en 2007 pour proposer une offre compétitive à celles des acteurs historiques. Bénéficiant d’un marketing client efficace et n’ayant pas à financer la recherche ou les infrastructures, ces acteurs économiques s’installent durablement sur le marché.
Les conséquences de cette ouverture se font aujourd’hui sentir sous un angle inattendu : en entraînant la remise en cause des monopoles historiques, l’ouverture à la concurrence à également entamée les capacités de R & D des leaders français de l’énergie – comme EDF qui éprouve aujourd’hui des difficultés à mettre au point de nouveaux réacteurs nucléaires, alors que la concurrence mondiale s’accentue avec l’arrivée des acteurs chinois.
Autre conséquence, la tentation de l’externalisation vers des spécialistes de niches : EDF peut ainsi être tentée de sous-traiter certains de ses services auprès de jeunes entreprises, ne pouvant plus en supporter les coûts. Générant ainsi une cascade de responsabilité importante auprès d’entreprises dont l’activité devient alors critique pour la Nation. Il faudra alors faire attention à l’actionnariat de ces start-ups, sous peine de voir notre secteur énergétique dépendre d’acteurs étrangers.
Le dynamisme entrepreneurial : la planche de salut du secteur des énergies renouvelables français
La course à l’indépendance énergétique mondiale est lancée. Que cela soit grâce à la lutte contre le changement climatique, ou dans un but d’affranchissement des contraintes pétrolières, les énergies renouvelables sont maintenant massivement soutenues par les populations et leurs États. Un problème se pose pourtant : les recherches entreprises dans ce domaine sont principalement Chinoises et Américaines. L’Europe, qui ne cesse de vouloir investir plus dans les énergies renouvelables, produit 20% moins d’énergie verte que la Chine, pourtant premier pollueur mondial.
Par ailleurs, 7ème puissance économique, la France n’apparaît dans aucune tête de liste dans la production des énergies renouvelables malgré la prépondérance du nucléaire dans notre mix énergétique.
Ainsi, l’ouverture du marché à la concurrence peut s’analyser comme une des causes du retard français en termes de R & D : en effet, les producteurs historiques doivent pallier les pertes économiques dues à l’ouverture du marché tout en poursuivant des programmes onéreux décidés avant cette même ouverture. Les acteurs historiques ne s’étant pas spécialisés dans la recherche de nouvelles énergies et ayant perdu, malgré eux, une partie de leurs compétences d’innovation dans le nucléaire, nous allons sans doute devoir nous passer du label made in France sur nos moyens de production et d’utilisation de l’énergie. L’EPR de Flamanville en est un exemple : décidé en 2006, le coût devait avoisiner les 3 milliards d’euros pour un chantier de 4 ans. 12,4 milliards et 14 ans plus tard, on peut constater un échec industriel.
La solution à ce défi se trouve peut-être dans les start-ups, ces nouvelles entreprises qui, loin d’être des chimères, permettent d’organiser différemment les énergies et les capitaux.
S’affranchissant de la pesanteur des entreprises historiques, elles permettent à la France d’obtenir des savoir-faire domestiques dans de nombreux domaines liés à l’énergie, comme la pose de panneaux photovoltaïques flottants, ou encore dans le suivi de la consommation énergétique des particuliers par exemple. Ces nouveaux entrants fournissent par ailleurs un effort important en recherches et développement. Acteurs privés, souvent axés sur l’écologie et la facilité d’utilisation, ils disposent de l’agilité nécessaire pour pouvoir innover sans restriction. On peut citer Dracula Technologies, qui s’occupe de l’impression à l’encre de modules photovoltaïques, ce qui pourrait permettre d’adapter toutes les surfaces à la production d’électricité. On peut aussi parler d’Arkolia Énergies qui propose des solutions de production d’énergie photovoltaïque, éolienne ou à base de biogaz.
Ouverture du marché : quel impact pour l’exportation des technologies françaises ?
Par le passé, la France a développé une expertise indéniable dans le domaine du nucléaire. Mais avec le départ de toujours plus d’usagers, et donc la diminution de ses revenus, l’industrie nucléaire française a de plus en plus de mal à supporter les coûts de recherche, ce qui mène à une baisse de compétitivité vis-à-vis des filières américaines et chinoises. Des années 50 à l’EPR d’Hinkley Point au Royaume-Uni en 2015, EDF a fait partie des principales compagnies capables d’exporter un tel savoir-faire en installant des centrales 100% françaises. Ce qui n’est plus possible de faire depuis la vente d’Alstom.
En 2016 ont été signés des accords pour installer la technologie chinoise Hualong dans les futurs réacteurs britanniques, en coopération avec EDF certes, mais sans partage de technologie. Et ce, alors même que ce nouveau modèle de réacteur chinois est basé sur la technologie nucléaire française CPY. Technologie qui a dû être transférée lors de la construction de réacteurs français en Chine par Framatome entre 1982 et 2007.
Qu’est-ce que cette baisse de régime peut signifier à long terme ? Sans doute que la France ne pourra plus exporter de centrales nucléaires clef en main seule, mais seulement à travers des partenariats avec des entreprises étrangères. Il ne faut donc pas être inutilement pessimiste : si le nucléaire Français s’est déjà mieux porté, la diminution des fonds allouables n’est pas pour autant une fatalité. C’est dans cette optique que le Comité de pilotage Stratégique de la Filière Nucléaire a été créé : gagner en cohérence grâce à une stratégie claire se basant sur nos forces et nos faiblesses afin d’assurer la pérennité du secteur. On peut à nouveau utiliser l’exemple d’Hinkley Point. Réacteur à technologie chinoise, les normes et équipements sont français, ce qui permet à CGN d’obtenir la certification de la centrale auprès des autorités britanniques et à EDF de pouvoir regarder où en sont les Chinois. Le fait que la future première industrie nucléaire au monde utilise des normes de sécurité françaises et non pas américaines nous permettrait de rester indispensables et de continuer à exporter notre savoir-faire.
Malgré ces difficultés, l’ouverture du marché de l’énergie a aussi eu des effets bénéfiques sur les technologies made in France. Bien que l’Europe ait laissé la majorité du marché des panneaux solaires partir en Asie, on assiste à la reformation de filières industrielles domestiques à partir de start-up. Ces savoir-faire permettent déjà de ne plus avoir à passer par des entreprises se fournissant à l’étranger, et donc de garder les capitaux en France tout en créant des emplois : Monkitsolaire propose ainsi un service d’installation de panneaux solaires pour l’autoconsommation. Établie depuis 10 ans à Lille, cette start-up a commencé son expansion en Espagne et veut s’affirmer comme un des leaders européens de l’énergie solaire pour les particuliers.
Les nouveaux fleurons de l’énergie française seront privés : quels risques de prise de contrôle par des acteurs étrangers ?
Le risque majeur avec les start-ups reste la prise de contrôle lors d’une levée de fonds ou lors de sa possible introduction en bourse. Le cas de l’Inde est un bon exemple, où 3,9 milliards d’investissements chinois ont permis de prendre des participations dans 95 start-up en 2019 et plus spécifiquement dans 18 des 30 jeunes entreprises indiennes valorisées à plus d’un milliard de dollars. CNIC Corp, un fonds d’investissement directement soutenu par l’état chinois, a aussi pris une participation de 10% au sein de Greenko Energy, fleuron local des énergies renouvelables.
Comme expliqué, si ces jeunes entreprises veulent continuer de grandir, il va être difficile pour elles de ne pas être tentées par une levée de fonds. Comment alors s’assurer qu’au cours de ces levées de fonds, la France ne voit pas passer sous pavillon étranger ses nouveaux fleurons de l’énergie ? Une réponse à cette question pourrait être une loi sur les investissements étrangers plus stricte, permettant de les vérifier et de les interdire en fonction du secteur ou du pourcentage de prise de participation, comme en Chine, aux États-Unis, en Espagne, en Italie, en Inde… Sans cela, les risques sont importants. C’est le sens de la loi PACTE.
Certes, nous n’aurons pas de coupures de courant brutales en cas de refroidissement des relations sino-françaises suite à une future crise, EDF est toujours contrôlée à 84% par l’État français. Mais laisser des start-ups détenues par des entreprises étrangères s’impliquer toujours plus dans notre secteur énergétique serait une menace pour notre souveraineté. Outre un soucis de protection des données et des brevets, cela induirait de lourds risques de déstabilisation en cas de conflit avec une puissance étrangère. Notre croissance se base plus que jamais sur l’énergie dans nos économies qui se dématérialisent, ce secteur doit donc être impérativement mis à l’abri des prédations étrangères, sans quoi notre résilience, dernier terme à la mode, ne restera qu’un élément de langage vite oublié.
Martin Everard