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L’Union Européenne en route vers l’indépendance dans l’Internet spatial

Les projets de constellations de satellites pour déployer un Internet mondial haut débit en tout point du globe, représentent des enjeux de puissance géostratégique et d’indépendance numérique majeurs. L’Union Européenne, qui a toutes les capacités pour atteindre sa triple ambition, est en passe de se donner les moyens de disposer des clés de son avenir.

 

L’américain OneWeb passe sous pavillon britannique

Le premier projet de constellation de satellites est lancé en 2012 par la société américaine OneWeb. Forte de 74 satellites déjà en orbite au 27 mars 2020, la société subit la crise économique liée à la pandémie du coronavirus, ainsi que les difficultés de son principal actionnaire, le japonais SoftBank Group. À cette même date, OneWeb dépose le bilan et se place sous la coupe du Chapitre 11 du Code fédéral des faillites américain. La société disposait alors d'actifs valorisés entre 1 et 10 milliards de dollars.

Le 10 juillet 2020, OneWeb est racheté 1 milliard de dollars par un consortium composé du Royaume-Uni et de l’entreprise Bharti Airtel du milliardaire indien Sunil Bharti Mittal (3ème groupe télécom mondial en nombre d’abonnés), détenant chacun 45% de l’entreprise. Passé sous pavillon britannique, OneWeb reprend avec succès son 4ème lancement le 18 décembre 2020, portant à 110 sur 648, le nombre de satellites en orbite.

La reprise d’activité de OneWeb était très attendue pour deux acteurs majeurs en Europe et principaux créanciers du projet, Airbus et Arianespace. En effet, la production des satellites est assurée par la joint-venture entre Airbus Defence and Space et OneWeb (OneWeb Satellites), dont la production actuellement réalisée en Floride à la cadence de 2 satellites par jour, devrait être rapatriée chez Airbus en Angleterre. Enfin, les 16 prochains lancements de satellites seront opérés par Arianespace, tout comme les 4 premiers déjà réalisés avec succès.

La mise en service opérationnelle prévue mi-2022, débutera fin 2021 dans les zones de latitude supérieure à 50 degrés nord. OneWeb prévoit de commercialiser son offre sur des segments liés à la mobilité (automobile, aéronautique, maritime, défense) et dans les zones peu couvertes, auprès d’opérateurs, d’entreprises mais aussi auprès de gouvernements. Si ces activités sont bénéfiques pour l’Union européenne, l’implication du gouvernement britannique représente néanmoins un risque non négligeable en matière de sécurité.

En effet, le Brexit ayant contraint le Royaume-Uni à quitter le programme européen de navigation par satellite Galileo, le gouvernement britannique crée le National Space Council en même temps qu’il place ses pions avec OneWeb. Associé à une entreprise d’un pays membre du Commonwealth, le Royaume-Uni faisant partie intégrante de l’organisation des Five-Eyes, l’utilisation de la constellation à des fins militaires n’est pas exclue. A ceci s’ajoute le risque d’un espionnage de masse, comme cela a été le cas en 2013 avec le programme TEMPORA (équivalent de PRISM), sous couvert de la loi RIPA 2000, qui autorisait les services de renseignement britanniques à intercepter toute information ou communication relative à la sauvegarde du « well-being » de l’économie britannique. Dans ce contexte, l’Union européenne n’a pas d’autre choix que celui de disposer de sa propre constellation.

L’Union Européenne ambitionne de créer sa propre constellation pour 2027

Début juillet 2020, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, écarte la proposition de résolution relative à la stratégie européenne dans l’Internet spatial, visant le rachat de OneWeb.

Toutefois, alors que l’Union Européenne aurait pu bénéficier des forces de l’entreprise américaine, l’ancien PDG d’Atos ne perd pas de vue la nécessité d’un tel programme spatial. Les enjeux impliquent autonomie stratégique, souveraineté, mais aussi maîtrise de l’information, de l’économie et des infrastructures numériques. La triple ambition de Thierry Breton est de disposer d’un système opérationnel en 2027, combinant l’Internet haut débit, le programme de navigation Galileo ainsi que le programme d’observation et de surveillance de la Terre, Copernicus. Il s’agit là d’un véritable défi technologique, utilisant des « satellites géostationnaires et une constellation LEO (orbite basse) équipés de systèmes cryptés et de technologies quantiques ».

L’Union Européenne a toutes les compétences pour mettre en œuvre un tel système à savoir un réseau d’ingénieurs qualifiés, un savoir-faire incontestable dans la construction de satellites avec Airbus Defence and Space, une maîtrise reconnue de l’accès à l’espace avec Arianespace et enfin des opérateurs télécom performants, tels que Deutsche telekom ou encore Orange. Le 23 décembre 2020, la Commission Européenne débloque 7,1 millions d’euros et missionne 9 entreprises européennes pour mener une étude de faisabilité sur un an. La volonté de l’Union Européenne veut se mettre à la hauteur des enjeux et de ses ambitions, non seulement face à OneWeb qui renaît de ses cendres, mais aussi face à deux autres programmes, tous deux américains, Starlink et Kuiper.

Elon Musk et sa constellation Starlink, dominent le marché de l’Internet spatial

Alors que l’Union Européenne débute ses études de faisabilité, Elon Musk commercialise déjà son offre « Better Than Nothing Beta ». Avec près de 900 satellites en orbite, les habitants du Nord des États-Unis et du Canada ont pu souscrire des contrats d’Internet haut débit directement auprès de Starlink.

Positionné sur un segment d’Internet fixe non itinérant dans les zones reculées où la connexion est instable, trop chère ou inexistante, Starlink envisage d’étendre son offre sur un segment d’Internet mobile, en visant à terme une constellation de 42 000 satellites. Annoncé dans un tweet le 28 septembre 2020, Starlink pourrait faire son introduction en bourse dans les prochaines années. La banque Morgan Stanley estime que SpaceX serait alors valorisée 100 milliards de dollars et pourrait lever 30 milliards de dollars par an.

Jeff Bezos et Kuiper, autorisés à quitter les starting-blocks malgré des failles de sécurité

Dans ce contexte concurrentiel, Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, s’active également. L’autorisation de production de la constellation Kuiper est délivrée le 30 juillet 2020 par la Commission fédérale des communications (FCC), alors même que le design des satellites n’est pas terminé et que des failles de sécurité ont été soulevées par son rival Elon Musk et des entreprises du secteur spatial.

Jeff Bezos ayant investi 10 milliards de dollars dans sa constellation prévoyant plus de 3 200 satellites, la banque Morgan Stanley estime également à 100 milliards de dollars la valorisation de Kuiper. Directement positionné sur le même segment de marché que OneWeb et en autorisant hâtivement la poursuite de Kuiper, les États-Unis ne voudraient-ils pas mettre toutes les chances de leur côté, pour concurrencer la reprise de OneWeb au travers de l’influence exercée sur la FCC ?

Face à la menace que représentent Starlink, Oneweb et Kuiper pour l’autonomie de l’Union Européenne, cette dernière semble avoir compris l’impérieuse nécessité d’agir ; le lancement des études de faisabilité étant la première étape vers le succès. En outre, l’Union Européenne dispose de toutes les compétences pour relever les défis technologiques de son ambitieux programme. Cependant, seule une volonté affirmée lui permettra d’assurer son indépendance numérique et d’incarner une puissance géostratégique dans l’Internet spatial.

 

Marion REY