La culture, la production et la vente des produits à base de l’huile de palme renvoient en Occident à la déforestation des forêts tropicales. Cette image n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt les conséquences d’une campagne de lobbying ayant conduit à cette assimilation dans l’esprit des consommateurs occidentaux. Au-delà de la guerre informationnelle qui se déroule en Europe, les entreprises asiatiques se sont tournées depuis quelques années vers l’Afrique
La guerre informationnelle contre l’huile de palme, cheval de Troie du soja américain
D’un point de vue écologique, un hectare de palmiers à huile produit environ cinq à six fois plus d’huile qu’un hectare de colza. La culture du palmier à huile est la culture oléagineuse qui occupe le moins d’espace puisqu’elle nécessite sept à dix fois moins de superficie que le soja pour une production égale. Enfin, elle possède un avantage concurrentiel par rapport aux autres oléagineux : la tonne d'huile de palme coûte 200 dollars de moins que celles de toutes les autres huiles végétales.
L’huile de palme est l’huile végétale la plus produite et la plus consommée au monde : en 25 ans, sa production a été multipliée par quatre et cette croissance devrait se poursuivre à un rythme soutenu. Pourtant, la culture de cette huile et sa consommation divisent. La controverse ne date pas d’aujourd’hui, elle a été initiée fin des années 1980 au nom du patriotisme économique par les lobbys américains du soja. Les multinationales de l’agroalimentaire aux Etats-Unis, soucieuses de ne pas perdre leurs parts de marchés face à des nouveaux concurrents, ont lancé une croisade anti-huile de palme, accusée d’être un danger de santé publique. En France, dès 2009 la question de la consommation de cette huile est devenue un sujet sensible, au point qu’en 2012, le sénateur Yves Daudigny a proposé de surtaxer les ingrédients fabriqués à partir de cette huile – la taxe Nutella – mais en vain. Cette campagne de dénigrement manichéenne atteint son paroxysme en juin 2015 lorsqu’au sommet de l’État français, Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, a mis en parallèle la déforestation massive et la consommation de la pâte à tartiner de Ferrero.
Dans la même veine, l’Union Européenne émet en décembre 2018 la directive « Red II ». Cette dernière dispose que les biocarburants à base d’huile de palme n’entreront pas en compte dans les objectifs fixés par l’Union Européenne concernant l’utilisation d’énergies renouvelables en 2030. En outre, elle accepte en janvier 2019 d’importer du soja américain destiné à fabriquer du biocarburant, en lieu et place de l’huile de palme. Les grands États producteurs de cette huile n’ont pas tardé à répondre coup pour coup à cette guerre commerciale qui s’annonce. L’Indonésie, premier producteur mondial et chef de file du camp adverse, saisit fin 2019 l’Organisation Mondiale du Commerce pour l’ouverture d’une consultation avec l’UE au motif que certaines dispositions de la directive seraient discriminatoires – la procédure est toujours en cours.
Bruxelles pour parer et rendre les coups de ses adversaires, sait qu’elle peut toujours compter sur son ex-allié et simple partenaire, les États-Unis du président Donald Trump. L’administration de ce dernier, en décembre 2020, saisit l’opportunité de faire une pierre deux coups. Elle apporte son soutien à l’Europe dans la guerre de l’huile de palme et en même temps, continue l’expédition contre les entreprises asiatiques en restreignant l’accès à son marché.
Ayant clairement conscience de ses intérêts, la riposte du deuxième producteur mondial de l’huile de palme, ne s’est pas fait attendre. La Malaisie qui représente 28% de la production et 33% des exportations mondiales d'huile de palme, s’engouffre officiellement dans cette bataille juridique le 19 janvier 2021. Pour les mêmes motifs que l’Indonésie, elle engage à son tour une procédure de règlement des différends devant l’OMC contre Bruxelles. Cette guerre commerciale en Europe est loin d’être terminée et les pays asiatiques ont l’avantage de l’expérience dans ce domaine, acquise sur un autre champ de bataille, le continent africain.
La domination des entreprises asiatiques en Afrique de l’Ouest dans l’industrie de l’huile de palme
La population africaine étant en constante augmentation, la demande et la consommation d’huile de palme et d’autres produits provenant des palmiers se développent de manière exponentielle. L’industrie de l’huile de palme a un poids économique significatif dans cette région. Au Nigeria, ce secteur emploie des millions de travailleurs ; au Ghana, au Liberia et en Sierra Leone, elle constitue une source majeure de revenus et d’échanges commerciaux dans les districts transfrontaliers. Les entreprises asiatiques ont bien saisi ce potentiel africain tant pour la culture que pour la commercialisation de cette huile végétale. C’est une stratégie offensive que les multinationales appliquent à la lettre. Elle est fondée sur le renforcement des économies d’échelle, par l’acquisition des entreprises concurrentes et l’industrialisation de la production de l’huile de palme.
Dans les années 60, le Nigeria était le premier producteur et exportateur d'huile de palme représentant près de 40% du marché mondial. Actuellement, le premier pays le plus peuplé d’Afrique avec 209 millions d’habitants, compte parmi les plus gros consommateurs de ce produit et occupe la cinquième place en termes de production, loin des leaders que sont l'Indonésie et la Malaisie. En effet, ces deux tigres asiatiques n’ont fait qu’une bouchée du marché de l’huile de palme avec 85 % de la production mondiale ; tandis que l’Afrique de l’Ouest récolte que les miettes de ce gâteau très rentable, soit 3,5% de cette production.
En 2050, plus de 50 millions d’hectares supplémentaires pourraient être nécessaires à la culture d’huile de palme, soit quatre fois plus que les superficies d’hectares de terres dédiés à cette filière en 2015. Après des années d’expansion, les producteurs asiatiques sont à court de terres exploitables. Mais leur volonté d’expansion demeure et pourrait se faire en grande partie en Afrique, dont la surface potentielle de plantation sur le continent noir est
gigantesque : environ 275 millions d’hectares.
Ces circonstances ont permis la conclusion des accords commerciaux tous azimuts entre les multinationales de l’huile de palme et les États africains. Les investisseurs promettent aux gouvernements les rentrées d’argents dont ils ont cruellement besoin pour combler leur manque de devises étrangères, ainsi que de nombreux autres avantages à l’échelle locale tels que des emplois, des services de santé ou des logements pour les employés. Ces partenariats « gagnant-gagnant », slogan d’accords commerciaux asiatiques, semblent pourtant cacher une relation déséquilibrée entre ces deux acteurs. La demande en huile de palme étant de plus en plus forte dans les pays africains, corrélativement l’importation et l’achat de produits à base de cette huile augmentent. Ces États se trouvent alors dans une situation de totale dépendance des multinationales asiatiques pour des produits de première nécessité pour leur population. D’une part, ils importent davantage qu’ils n’exportent : les exportations malaisiennes d’huile de palme vers l’Afrique sub-saharienne représentent environ 15% des exportations totales du pays en 2020 avec comme principales destinations le Nigeria, la Tanzanie et l’Afrique du Sud. D’autre part, la Malaisie et ses multinationales dont la Sime Darby Plantation, détiennent une part capitale du marché de l’huile de palme en Afrique sub-saharienne, soit 37%. Le rapport de force dans ces contrats internationaux penche naturellement en faveur des industries agroalimentaires asiatiques.
Sans rien changer aux rôles dans ces échanges, en 2007, deux multinationales asiatiques, Olam International et Wilmar International ont annoncé leurs plans d’expansion en Afrique de l’Ouest par la création d’une joint-venture, Nauvu Investments, pour investir 160 millions d’euros dans Palm-Ci du groupe SIFCA. En 2018, Olam vendait ses parts au premier producteur mondial d’huile de palme, Wilmar International. Ce dernier est présent dans 16 pays africains, c’est le plus grand producteur d’huile raffinée et le premier propriétaire de plantation de palmiers à huile sur le continent. D’autant plus, ils affirment dans leur rapport annuel de 2019, qu’ils n’ont pas l’intention de s’arrêter en bon chemin, au contraire Wilmar va « continuer à renforcer ses usines installées en Afrique ».
En définitive, la demande grandissante en huile de palme de la population africaine et la grande surface cultivable à sa disposition ne doivent pas être le talon d’Achille des États africains. L’alarme en vue d’un rééquilibrage de ces relations commerciales doit sonner, pour éviter d’avoir les pieds et poings liés à court, à moyen et à long terme, par des entreprises prédatrices. À défaut, cette stratégie systémique des pays asiatiques pourrait se répéter sur le continent africain pour d’autres matières premières.
Daniel BEYENE pour le Club Afrique de l'AEGE
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