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Les communs numériques, solution pour une autonomie stratégique française et européenne durable

Le degré de prise en compte de l’autonomie stratégique, qui peut être défini comme la faculté d’action politiquement indépendante, n’est pas la même selon les pays européens. Par exemple, la France se veut pionnière sur la question de son autonomie stratégique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale là où des pays transfèrent volontairement l’intégralité de la défense de leur territoire (ou presque) à l’OTAN. La France a d’ailleurs fait de la dissuasion nucléaire la clé de voûte de son autonomie stratégique.

Vers une autonomie stratégique qui intègre davantage l’espace numérique

Pour autant, cette nécessité de concevoir une liberté d’action doit être menée dès aujourd’hui sur plusieurs fronts et dans une sphère plus haute, notamment européenne,  l’espace numérique jouant un rôle crucial. Autrement dit, un Etat indépendant (ou une organisation internationale comme l’Union européenne) dans sa prise de décision ne peut pas l’être sans prendre en compte le cyberespace. Œuvrer au niveau européen permettrait de regrouper les synergies pour en faire une force. Si certains Etats ou entités se donnent pour objectif d’être hégémoniques dans le monde numérique (Les Etats-Unis ou la Chine par exemple à travers leurs géants du numérique), d’autres choisissent le protectionnisme. La France, comme le rappelle Henri Verdier actuel ambassadeur du numérique, souhaite une 3ème voie pour elle et ses voisins européens : celle de l’autonomie stratégique.

Le projet de cloud souverain en est l’une des émanations d’un regain d’intérêt pour concevoir une véritable autonomie stratégique dans le numérique à l’échelle européenne. Le règlement général sur la protection des données en est une autre. Celui-ci permet à la fois de protéger les données des européens et de mettre en avant la vision européenne sur la protection des droits, un élément du soft power européen. La donnée est devenue une ressource particulièrement prisée dans tous les domaines (économique, militaire, sanitaire) et sa maîtrise l’est tout autant. Si demain, l’Europe et la France veulent pouvoir agir sans avoir les mains liées pour intervenir à leur gré dans les affaires du monde, il est indispensable de sauvegarder cette faculté de décider et cela passe indéniablement par la maîtrise des données et de leur analyse.

Au regard de la situation actuelle, plusieurs pistes sont à envisager afin de permettre de sauvegarder une autonomie numérique stratégique qui, de par son importance présente et future, conditionnera probablement notre autonomie globale.

Les communs numériques, une solution alternative aux géants du numérique

Henri Verdier voit ainsi dans les « communs numériques » les prémices d’une alternative aux grandes plateformes numériques, devenues trop imposantes dans notre vie quotidienne. 

Les communs numériques, ces fameux logiciels « open-source » comme Wikipedia ou Open Street View, constituent une piste prometteuse. Fondés sur l’usage de données libres et partagées, ils sont les garants de la neutralité d’internet et d’une indépendance vis-à-vis des entreprises américaines ou chinoises, omniprésentes dans le paysage numérique.

Les applications massivement utilisées aujourd’hui sont, à l’inverse, les outils de la dangereuse collecte de nos données par des puissances étrangères, parfois alliées certes, mais qui ont intérêt à capter nos données. L’exemple des GAFAM est souvent cité mais les BATX sont également une menace pour notre souveraineté. Leur business model, basé sur la captation de données en tout genre (industrielles, personnelles et stratégiques) effrite chaque jour un peu plus notre capacité à décider par nous-même et à éviter toute influence contraire à nos intérêts. L’alternative consiste à développer des « communs numériques » élaborés de façon collaborative par des communautés libres. Leur développement est fondé sur le principe du partage d’idées, les rendant ainsi encore plus sécurisés et efficients. Si des « communs » à l’échelle de l’Europe sont ainsi créés, ils devront embrasser les principes qui font de l’Union européenne, une organisation à part entière : la liberté, la protection des droits fondamentaux, la sécurité des données personnelles dans le cyberespace. Grâce à ces outils, l’Europe pourra ainsi garantir davantage son autonomie stratégique grâce à la diminution mécanique de sa dépendance aux technologies étrangères.

A l’image de Linux, les communs numériques permettront également de renforcer la sécurisation du cyberespace, par le partage de la connaissance en cybersécurité. Enjeu majeur, rappelé par le Président Emmanuel Macron, lors de l’Appel de Paris

Permettre la création de ses communs numériques et les protéger

La réalisation de ces objectifs passe par la faculté de fabriquer ces outils numériques. Or, sur ce point, la situation actuelle ne joue pas en notre faveur. Les géants du numérique sont rarement français ou européens. Dans le même temps, les idées innovantes sortant des start-ups européennes sont souvent accaparées et rachetées par les GAFAM par exemple. Faciliter la croissance de ces start-ups d’un point de vue financier n’est pas suffisant, il est nécessaire de les protéger également contre les prédations étrangères.

Par ailleurs, les enjeux de la 6G, du cloud ou de l’informatique quantique sont autant de sujets sur lesquels il faut se pencher rapidement tant ils constituent des composantes de notre autonomie stratégique de demain.  

Œuvrer sur le plan normatif est également nécessaire à la préservation de notre autonomie stratégique. L’exemple du règlement général sur la protection des données de 2016 est à ce sujet très parlant. Ce règlement européen est devenu un standard pour l’Union européenne, mais également pour des pays du monde entier. La Californie a par exemple adopté une législation en se basant sur le RGPD. Sa force réside dans sa portée extraterritoriale puisqu’il s’applique à quiconque voudrait exercer une activité économique sur le sol européen. 

La France a, dans son histoire, toujours mis en avant sa volonté de souveraineté nationale. Demain, le sujet du numérique devra toutefois être nécessairement supranational si nous voulons peser dans le concert des nations. Cela passera nécessairement par un transfert de souveraineté pour mettre en place une réelle coalition européenne. 

 

Cet article s’est notamment inspiré de l’intervention de Monsieur Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique, au Cyber-day 2021, et a été rédigé avec la participation de Thierry MARCHAND, dirigeant fondateur de CALISTE.

 

Olivier Schoeffel et Clément Richet, Club Cyber de l’AEGE

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