Les lois extraterritoriales américaines sont plus que jamais redoutables et redoutées par tous. Leur grand point fort : les lourdes sanctions qu’elles causent à des entreprises françaises et étrangères mettant ainsi en péril leur activité. Dans ce contexte de guerre économique internationale, où les Américains sont parvenus à mettre l’outil législatif au service de leur puissance, la France cherche à s’armer, difficilement, pour protéger ses entreprises.
Depuis plusieurs décennies, les Américains ne cessent de s’armer législativement pour conserver la mainmise sur les échanges économiques mondiaux. Cette stratégie leur permet à la fois de préserver leur place en tant que “gendarme du monde” et de protéger au mieux leurs intérêts économiques. Ici, il s’agit d’étudier trois grandes lois extraterritoriales américaines – les plus impactantes envers les entreprises étrangères.
Un arsenal juridique américain propice à la domination et prédation
Premièrement, le FCPA « Foreign Corrupt Practices Act », loi votée en 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger, est sûrement la plus redoutable des armes législatives américaines. Au nom de la corruption, les Américains parviennent à justifier leur stratégie par l’éthique. En effet, ils se sont arrogés le droit de sanctionner toutes les activités de corruption des sociétés étrangères implantées aux États-Unis et effectuant des transactions en dollars ou communiquant à travers des réseaux hébergés sur le sol américain.
Renforcée en 1998 par l’«International Bribery Act », cette loi est aujourd’hui plus forte que jamais. Au travers de celle-ci, les Américains peuvent exercer une pression sur les entreprises étrangères. Elle leur permet à la fois de superviser leurs activités et de les sanctionner à leur gré. Ces atouts législatifs utilisés à bon escient octroient aux Américains un avantage stratégique sans précédent en termes de prédation économique. Ces derniers sont alors en capacité d’affaiblir une entreprise visée par ces lois pour pouvoir s’en emparer à un prix défiant toute concurrence. Cela a été le cas pour Alstom, qui a dû baisser son prix de 300 millions d’euros, sous pression européenne, au nom de la concurrence et qui a été finalement cédé à General Electrics. Les Américains se sont encore une fois retrouvés dans une position favorable. Ainsi, ils ne laissent aucune place au doute, à la concurrence et se positionnent avec force pour faire valoir leurs intérêts.
Au FCPA, s’ajoute le Patriot Act. Cette loi votée à la suite des attentats du 11 septembre n’avait pour but de s’imposer sur le long terme. Prévue au départ pour 4 ans, son objectif est de faciliter l’accès à l’information pour les agences gouvernementales américaines dans le cadre d’enquêtes judiciaires à caractère terroriste. Toutes les entreprises américaines, peu importe leur localisation et toutes les entreprises étrangères présentes sur le territoire américain sont dans l’obligation d’accorder le libre accès à leurs données aux instances gouvernementales américaines. Sous couvert de la protection contre le terrorisme, les États-Unis peuvent s’immiscer au sein-même des entreprises étrangères, collecter leurs données et gagner ainsi des avantages considérables leur permettant de cerner au mieux les tendances et envies des consommateurs. À titre d’exemple, Microsoft s’est vu dans l’obligation de céder des informations confidentielles sur l’un de ses clients aux autorités américaines. Cela a eu lieu alors que les informations étaient hébergées par un serveur en Irlande mais le traitement des informations étant fait par un serveur américain, l’entreprise américaine n’a pu se soustraire aux demandes des autorités.
Mais les Etats-Unis, dans un dessein monopolistique, ne se sont pas arrêtés là. En mars 2018, le Cloud Act a été voté. Cette nouvelle loi permet aux États-Unis de récupérer directement auprès de serveurs américains ou étrangers – présents sur son sol ou non – des informations concernant des individus. Certes, cela n’est censé s’appliquer que dans un cadre d’enquête judiciaire mais il accorde encore une fois aux Américains des avantages, comme sauter des législations internationales dont le MLAT (Mutual legal assistance treaties). Cet acte est supposé permettre une aide judiciaire entre deux pays. La justification ici est à nouveau très éthique : réussir à rendre justice au mieux et plus rapidement.
Le Patriot Act et le Cloud Act sont donc de réelles armes économiques qui peuvent atteindre à la fois des entreprises et des individus français. Au travers de ces dites lois, les Américains parviennent à accéder facilement aux données stratégiques occidentales. Il est donc nécessaire et fondamental de développer en France et en Europe une réelle souveraineté numérique. Cela ne se réduit pas à de simples investissements dans des data centers ou à la création de serveurs européens. Il faut également protéger les entreprises françaises et européennes par le biais de lois et de sanctions permettant de lutter efficacement contre les risques d’agressions économiques américaines. Cela a été mis en exergue dans un rapport rédigé par Pierre Lellouche et Karine Berger en 2016.
Des armes juridiques françaises et européennes inefficaces
Toutefois, la France et l’Europe ne sont pas démunies face aux ingérences américaines. De nombreux projets de lois pour contrer ces incursions ont vu le jour depuis quelques années. Parmi ces dernières, il est possible de citer la loi Sapin II, pour la lutte contre la corruption et pour la modernisation de la vie économique, votée en 2017. Son objectif était simple : redonner à l’État français une place capitale au sein de l’espace juridique pour qu’il soit le seul acteur capable de sanctionner et réglementer les entreprises françaises.
Pour y parvenir, la loi a créé plusieurs outils. Premièrement, l’Agence Française Anticorruption (AFA) devait reprendre le rôle que les Américains s’étaient octroyés et ainsi devenir le seul juge légitime dans l’émission de sanctions en cas d’infractions (fraude, corruption) de la part d’une entreprise française. Deuxièmement, la CIJP (Convention judiciaire d’intérêt public), nouvelle arme d’inspiration anglo-saxonne, a voulu contrer les réglementations américaines en les copiant. Dès lors, le procureur de la République est en mesure de proposer un accord au parti adverse le contraignant à reconnaître les faits sans admettre sa culpabilité. Ce dernier accepte en retour de payer une amende (inférieur à 30% de son chiffre d’affaires), de se soumettre à une surveillance accrue pendant trois ans de l’AFA. Par cette convention, l’État cherche à protéger les entreprises des convoitises américaines. Par ailleurs, elle vise aussi à protéger leur réputation en évitant un procès long et médiatique qui pourrait générer des conséquences néfastes.
Dernièrement, un programme de prévention à la corruption et au trafic d’influence a été mis en place. L’objectif du programme est de sensibiliser les grandes entreprises à investir massivement dans la mise en place de normes et de procédures de conformité. Cette dernière mesure cherche à agir en amont, à anticiper et à éviter les potentielles dérives en termes de corruption. L’idée étant de mettre en place des signaux d’alerte dans les entreprises pour les protéger des lois américaines sous lesquelles elles pourraient tomber. Cela concerne les entreprises de plus de 500 salariés et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros.
Avant cette loi défensive, l’État avait essayé de contrer les premières offensives américaines avec la loi dite de blocage de 1968. Cette dernière avait été édictée afin d'interdire aux entreprises françaises et à leurs salariés de communiquer des informations à leur sujet auprès d’autorités étrangères. Même si cette loi a connu des révisions, elle n’a jamais produit l’effet escompté. Face aux sanctions de la DOJ, les acteurs français sont restés immobiles, payant ainsi une amende aux pouvoirs publics américains.
Au-delà des frontières françaises, l’Europe a également cherché à mettre en place des pare-feux. En 1996, l’Union Européenne a voté le règlement de blocage. Cette nouvelle arme de l’arsenal anti-DOJ a pour but de neutraliser ou d’annuler toutes les sanctions pouvant être prononcées à l’encontre d’entreprises de pays membres au vu de leurs activités et échanges commerciaux avec des Etats sous embargo américain (Libye, Cuba, Iran). Malgré les efforts de l’UE concernant cette loi, elle reste toutefois impuissante face aux armes américaines. Son marché, son influence sont tout autant des leviers de puissance que les États-Unis n’hésitent pas à employer pour bloquer les entreprises allant à l’encontre de leurs directives commerciales. Une perte incommensurable pour certaines entreprises européennes qui choisissent alors de jouer selon les règles de l’Oncle Sam. Alcatel, la Société Générale, BNP Paribas ont tous accepté de payer des amendes aux pouvoirs publics américains. Une décision prise suite à un calcul très simple, l’amende même si exorbitante sera toujours moindre que le coût perdu par l’entreprise si elle ne commerce plus en dollars ou sur le territoire américain. La crédibilité et l’efficacité des lois européennes sont remises en question face à un géant intouchable prêt à tout pour garder le contrôle et continuer à fixer les règles du jeu économique mondial.
Face aux lois extraterritoriales américaines qui ne cessent de se multiplier, il est temps d’adapter des réponses appropriées. Plusieurs solutions potentielles ont été évoquées dans le rapport Gauvain. Dans un premier temps, une révision des sanctions semble nécessaire. Le rapport préconise un renforcement de la loi de blocage suivi d’un alourdissement des peines ainsi que de l’accompagnement des entreprises pour les protéger de la DOJ. Enfin, la mise en place d’un système de signalement auprès du SISSE pour prévenir des intrusions de certains pays pourrait clôturer le processus. Il est également recommandé de reconsidérer les sanctions liées au RGPD. Les hébergeurs doivent aussi être sanctionnés pour accroître la crédibilité du système juridique français.
Des mesures officieuses : les seules options de protection viables pour les entreprises françaises
Au-delà des solutions officielles proposées par les pouvoirs publics français, les entreprises, à leur échelle, ont commencé à réfléchir aux techniques à adopter pour éviter les sanctions américaines. Premièrement, pour tout ce qui se rapporte aux données, des entreprises ont pensé à chiffrer et à coder massivement leurs données. Cela, certes, ne leur permettrait pas de contourner les régulations américaines mais si besoin était de leur transmettre des données ces derniers ne pourraient pas les déchiffrer. Deuxièmement, une autre solution officieuse serait de passer par des institutions françaises pour effectuer des transactions avec des pays sous embargo américain. Un expert notable de l’intelligence économique et de l’extraterritorialité du droit, Ali Laïdi, a dans son livre Le droit une nouvelle arme de guerre économique, a pris l’exemple des transactions entre Total et l’Iran. Pour pouvoir continuer à commercer avec le pays, l’entreprise pétrolière française pourrait passer par un intermédiaire tel que la Banque de France pour éviter d’être sous la menace des lois extraterritoriales américaines. Ainsi par cette stratégie, la transaction ne serait pas effectuée en dollars et les Américains seraient plus réticents à attaquer une institution française. Cela protégerait donc l’activité de Total en Iran. Dès lors, utiliser des intermédiaires institutionnelles semblent être une option intéressante dans certains cas pour échapper aux radars américains.
Alizée Sentilhes pour le Club Sûreté de l’AEGE
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