A l’aube d’un conflit entre la Russie et l’Ukraine, la république du Kazakhstan, sous couvert d’enjeux de pouvoir, a été le cadre de violentes manifestations. Selon les médias russes, certaines auraient été orchestrées afin d’affaiblir l’influence de Vladimir Poutine sur la région de l’Asie Centrale. Le Kazakhstan a dû mettre en place des politiques de sûreté et de sécurité sous l’égide russe.
Chronologie des émeutes
Les manifestations de masse au Kazakhstan ont débuté dans l'ouest du pays où les habitants des villes de Janaozen et de Aktau se sont opposées à l’augmentation du prix du gaz naturel liquéfié. Souhaitant un retour au calme dans les villes, le gouvernement a consenti à baisser et à fixer le prix à 50 tenges (0,1 euros), pour une durée de six mois, contre 120 tenges décidé initialement début janvier 2022.
La décision économique n’a cependant pas eu les effets escomptés, loin de là. Des émeutes en nombre se sont créées partout dans le pays, exigeant l’expulsion du gouvernement. En réponse, le président a imposé l’état d’urgence. Les émeutiers ont attaqué certaines résidences présidentielles, des dépôts d'armes, et même l’aéroport pour marquer leur vif mécontentement. La logique a évidemment incité le gouvernement à empêcher l’accès à Internet et donc aux réseaux sociaux au Kazakhstan. La république du Kazakhstan est ainsi bloquée et coupée du monde.
Soft power russe: une possible forme d’allégeance kazakh par le biais de l’OTSC
Lors de sa première réunion au Conseil de sécurité du 6 janvier, le président Tokayev a décrit la situation du pays comme portant atteinte à l'intégrité de l'État et a déclaré l’intervention du maintien de la paix de l’OTSC (l’Organisation du Traité de Sécurité Collective) "pour surmonter la menace terroriste" et soutenir les forces locales. Cette intervention démontre une perte de contrôle de la part de l’Etat Kazakh.
La Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan ont tous répondu et envoyé des soldats. La Fédération de Russie a été le premier pays membre de l’OTSC à être favorable à l’intervention des forces collectives pour le maintien du pays. Au total, environ 3 000 militaires ont été déployés sur le territoire, dont un important contingent de parachutistes russes. Ces mêmes parachutistes avaient déjà été déployés dans le cadre du conflit en Haut-Karabagh, démontrant ainsi la position dominante russe dans la zone. Mise de côté suite à la chute du bloc soviétique dans les années 1990, l’Asie Centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) a acquis depuis les années 2000 une importance croissante dans les politiques étrangères et de sécurités russes.
Partenaire économique, politique et énergétique, le Kazakhstan est un pays stratégique pour la Russie. Par sa situation géographique, il lui permet de préserver son leadership et de représenter un point de contact direct avec les pays d’Asie centrale ex-soviétique. La Russie a fort intérêt à y maintenir une mainmise forte car elle y possède entre autres son unique cosmodrome : Baïkonour. L’objectif de Moscou semble être de court-circuiter le développement de la Chine en établissant des relations avec les pays d’Asie centrale par l'intervention de l’OTSC et non de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). En effet, la Fédération de Russie est membre des deux organisations à la différence de la Chine. A la différence de Pékin, il semblerait que Moscou ne concentre pas uniquement ses efforts sur une politique économique, mais sur une politique globale de voisinage.
Également, l’OCS a été créée pour des raisons sécuritaires et économiques, strictement régionales. L'Organisation est progressivement devenue l’une des tribunes privilégiées de la Russie et de la Chine pour manifester leur solidarité politique face à l’hégémonie des Etats-Unis. Elle sert largement les intérêts de Moscou en ce qu'elle pérennise son influence en Asie centrale et lui permet de ne pas laisser Pékin développer seule une politique de leadership régional.
Entre action et surveillance: Pékin a pris parti
Suite à l’initiative d’intervention de l’OTSC, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré dans une conférence de presse tout son soutien à l'envoi des troupes collectives de maintien de la paix sous l’égide de Moscou en république du Kazakhstan. Il a également rappelé que la Chine et l'Organisation de Coopération de Shanghai, dont le Kazakhstan est membre, suivaient de près l’évolution de la crise. En effet, l’OCS est l'une des nombreuses organisations intergouvernementales à caractère politique et économique actives en Asie. Ses pays membres sont la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Depuis l'effondrement de l’URSS, la Chine n’a cessé d’étendre son influence économique en Asie centrale.
Après avoir été élu président, Kassym-Jomart Tokayev a souligné que le développement des relations avec la Chine resterait la principale priorité de la politique étrangère du Kazakhstan. Par la mise en place de leviers financiers, selon Les Echos, de projets logistiques, énergétiques (gazoducs, oléoducs) et commerciaux, le Kazakhstan est à la fois un partenaire économique et politique majeur, notamment dans son projet de “ceinture et route de la soie”. Néanmoins, il n’est pas anodin que la Chine ait préféré se positionner verbalement et offrir l’assistance sans engager ses troupes. En effet, sa non-intervention résulterait certainement de ses politiques de sécurité extérieure qui sont réticentes à déployer des troupes de l’Armée populaire de libération en dehors du territoire chinois, sauf dans des missions onusiennes.
En réponse à la crise ukrainienne de 2014 et celle du Kazakhstan en 2022, il va sans dire que Moscou a réussi à structurer la défense et la sécurité collectives au sein de l’OTSC. Néanmoins, Moscou doit tenir compte des liens particuliers qu’entretiennent la Biélorussie avec l’Ukraine ou encore le Kazakhstan avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. L’utilisation des forces de maintien de la paix de l’OTSC, dirigées par Moscou, a permis à la Russie de maintenir et de montrer sa présence militaire et sa réactivité. Cette organisation permet au pays de légitimer et d’assumer son ambition de leadership stratégique en Eurasie post-soviétique. Ce leadership ne semble pas être critiqué ou remis en cause par le voisin chinois bien que ce dernier surveille attentivement toutes les décisions prises par Moscou sur cette zone. Aussi, il est possible que le choix du président kazakh de faire intervenir l’OTSC et non l’OCS soit lié aux sanctions faites sur les Kazakhs ethniques et aux autres minorités musulmanes dans la région de Wuhan par les autorités chinoises. Cette succession d’évènements remet-elle donc en cause la politique étrangère chinoise dans la zone ?
Ambre Jeanjean pour le Club Sûreté de l’AEGE
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