Quelques jours après les élections présidentielles, le club cyber AEGE en collaboration avec plusieurs consultants en cybersécurité du cabinet Onepoint, s’est posé la question de la place et l’impact des données personnelles dans la communication politique. L’objectif était de comprendre comment en 15 ans, les candidats politiques se sont emparés des nouveaux modes de communication pour atteindre cette partie des citoyens qui s’informent et communiquent désormais essentiellement au travers des réseaux sociaux.
A l’ère du “tout-numérique” et de l’utilisation massive des réseaux sociaux, il était naturel que les campagnes électorales mobilisent ces nouvelles plateformes. Aujourd’hui, une grande partie des citoyens français utilise les réseaux sociaux comme source d’information au même titre que les médias traditionnels (radio, presse écrite, télévision). Dès lors, les candidats à l’Elysée ont compris que leur communication passe désormais en grande partie au travers de la sphère numérique et des plateformes qu’elle accueille. Des interviews enregistrées à la création de contenu, le nouveau terrain de jeu n’est aujourd’hui plus réduit aux débats télévisés. Mais les risques que représentent ces plateformes sont nombreux.
Entre stratégies de communication, risques et tensions croissantes sur le cyberespace, besoin de transparence et besoin de protection des citoyens, où se situent les élections à venir ?
Stratégie des équipes de campagne : entre influence et utilisation des réseaux sociaux
Internet et les réseaux sociaux sont devenus depuis 15 ans, pour les candidats, un nouveau moyen de faire la promotion de leur campagne auprès des militants et des sympathisants. Les bases de données deviennent alors le nouvel « or noir » leur permettant d’avoir un profil électoral type de leurs sympathisants comme de leurs opposants et d’influencer certaines catégories d’électeurs proches de leurs convictions. Plusieurs antécédents historiques rendus visibles à l’aune de campagnes électorales ont accentué l’utilisation de ces bases de données par les candidats et partis politiques.
Un nouveau mode de campagne présidentielle : l’utilisation des « data analytics » par Barack Obama
Barack Obama a été un des premiers candidats à une élection à se distinguer des autres participants en axant sa communication au travers des réseaux sociaux lors des campagnes présidentielles de 2008 et 2012. Il avait à ses côtés une équipe de communication qui utilisait la stratégie de webmarketing (développement du programme et des idées d’Obama via toutes les opérations de communication digitales possibles et sous toutes les plateformes). En effet, il a pu utiliser différents canaux de communication au travers des réseaux sociaux : Pinterest, Flickr, Instagram, Facebook, Spotify (publication de sa musique de campagne), Tumblr (blog), Twitter.
Son équipe se servait également d’autres réseaux sociaux moins connus comme BlackPlanet ou AsianAve utilisés en majorité par des personnes d’origine afro-américaines et asiatiques. Ces plateformes étaient utilisées pour distribuer des kits de campagne, des programmes détaillés, annoncer les événements locaux et organiser les actions de démarchage. A ce titre, la campagne américaine de Barack Obama en 2008 est perçue aujourd’hui comme le point de départ de l’utilisation des « data analytics » en contexte électoral.
Mieux connaître ses électeurs, convaincre les réfractaires, et augmenter son électorat, désormais inspirera la nouvelle manière de faire de la politique via Internet et les réseaux sociaux.
Donald Trump : Influence de l’opinion au travers d’une campagne présidentielle
Beaucoup de questions se sont posées concernant la victoire de Donald Trump durant l’élection présidentielle de 2016. La société américaine Facebook de Mark Zuckerberg aurait alimenté l’entreprise britannique Cambridge Analytica avec les données personnelles d’utilisateurs.
Cette technique nécessitait une quantité de données personnelles conséquente. Cambridge Analytica était dirigée par Robert Mercer, milliardaire mécène de la campagne de Donald Trump. Mercer était suppléé dans ses fonctions par Steve Bannon, ancien directeur de campagne du président élu. Cambridge Analytica a permis le profilage des 240 millions d’électeurs américains pour identifier les profils électoraux, et influencer l’élection de 2016.
Grâce à ses outils et algorithmes, Cambridge Analytica pouvait cerner un profil psychologique et sociologique ainsi que les appétences politiques des utilisateurs. L’entreprise a donc mis au point un « profil électoral » pour chaque personne en âge de voter. Les données anonymes achetées légalement à Facebook furent la source la plus importante pour Cambridge Analytica dans la constitution de ses profils d’électeurs. La mise à disposition par Facebook de ses données a contribué au profilage des citoyens américains et par la même occasion a favorisé le jeu d’influence de la campagne de D. Trump. Laisser ces données à des entreprises du numérique, dont le modèle économique (gratuité financière pour les utilisateurs) repose sur la commercialisation des données anonymisées issues des activités de ses utilisateurs, ne garantit pas une protection totale de la vie privée. En effet, ces données peuvent ainsi être revendues à des entreprises qui les contextualisent et les analysent au service d’une cause politique.
La campagne web chez les Français
Les leçons des campagnes présidentielles américaines sur le cyberespace ont été relativement bien retenues en France. Mais cela ne fonctionne pas toujours, notamment avec certains acteurs de campagne qui surfent sur un nouveau phénomène : la viralité et le buzz, au travers de messages chocs et parfois agressifs.
Derrière cette stratégie de communication, l’objectif est avant tout de faire interagir le public, stimuler une dynamique de partage et de diffusion de l’information autour de l’auteur, en impliquant les électeurs dans la campagne de manière plus active via les réseaux, et en jouant sur deux émotions : la colère et la frustration. Les équipes de campagne essayent ainsi de contrôler au maximum les émotions par l’information pour jouer sur l’influence électorale. Ils tentent d’atteindre les électeurs les plus réservés en ce qui concerne les questions politiques, en visant une population autour des 15-25ans, qui cherche leurs informations via d’autres types de médias de communication.
Il y a la mise en place progressive d’une nouvelle stratégie politique, qui utilise l’interaction avec le grand public, qu’elle soit en physique ou en ligne. A ce titre, nous pouvons aussi citer l’exemple de la campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007. Elle avait mis en place l’association “Désir d’avenir”, un réseau d’information, pour soutenir sa campagne en donnant la parole aux citoyens.
Emmanuel Macron, l’influenceur
Emmanuel Macron et ses équipes ont déployé une stratégie « social media ». Les événements importants de la présidentielle d’Emmanuel Macron ont été surtout publiés sur trois réseaux sociaux : Twitter, Instagram et TikTok.
Au travers de ces plateformes, les internautes peuvent mentionner directement le président ou commenter ses actions. Parmi les sujets qui ont suscité le plus de réactions nous retrouvons :
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Les Gilets jaunes (8,4 millions de tweets faisant mention au président).
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Les questions autour de l’Europe (8,1 millions de tweets).
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Le coronavirus (6,8 millions de tweets).
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L’emploi (4,9 millions de tweets).
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L’éducation (4 millions de tweets).
Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, utilise quant à lui la plateforme de streaming en direct Twitch dans un objectif de s’adresser à un public jeune, et répondre « sans filtre » aux questions qui leur sont posées.
Le nouvel or des équipes de campagnes : les bases des données
L’utilisation des données est ainsi devenue pour toutes ces équipes de campagne une vraie mine d’or. Dans la volonté de persuader et de convaincre, le ciblage reste une technique efficace et pertinente pour les candidats politiques. Mais comment les données sont-elles effectivement utilisées à des fins de ciblage électoral ?
Dans la volonté de persuader et de convaincre, le ciblage est loin d’être une stratégie récente. La circulaire confidentielle du 28 juin 1820 recommandait déjà aux préfets de « classer chaque électeur d’après ses opinions, en observant la distinction des trois opinions dominantes de l’époque connues sous le nom de royalisme pur, de royalisme constitutionnel et d’ultra-royalisme ».
Désormais sous l’égide numérique, les équipes de campagnes vont identifier et classer les électeurs avec une granularité plus fine grâce aux données qu’ils produisent sur Internet. Ces données sont collectées et commercialisées par les « data broker », véritables marchands de données sur le net.
Nous avons à un moment donné permis l’autorisation de l’exploitation de nos données en oubliant de décocher la case « j’autorise à ce que mes coordonnées soient confiées à des partenaires », donc on peut tous potentiellement recevoir quelques e-mails ciblés durant la campagne électorale et ce n’est pas illégal.
Au travers du consentement donné par l’utilisateur (parfois trop rapidement ou de manière déresponsabilisée), aux plateformes certaines de ses données d’activité sur les réseaux sociaux se retrouvent partagées ou commercialisées et permettent aux équipes de campagnes la mise en place de profilage électoral.
« Ce sont des données qui peuvent être facilement capturées pour affiner votre profilage », explique la chercheuse Anaïs Théviot. « Mais c’est interdit de récupérer des données personnelles issues des réseaux sociaux ».
Malgré la mise en place dès 2018 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), la délimitation entre données personnelles et données d’activité reste donc floue et leur protection rendue d’autant plus complexe. Cette dernière nécessite toujours plus de vigilance de la part des utilisateurs et des autorités publiques. Dans cette volonté de protection la CNIL met en place un « observatoire des élections ». L’idée est d’organiser une veille sur les pratiques de communication politique et de collaborer avec les équipes campagnes sur leurs utilisations des données personnelles. A l’issue des élections, la « CNIL dressera un bilan des actions qu’elle a menée ainsi que des pratiques observées ».
Le système législatif français sur l’espace numérique fait face à un paradoxe, il est à la fois très poussé, mais rendu complexe par la multitude de cas d’usages et de lois s’y appliquant. Les incriminations pénales ou civiles existent pour beaucoup d’actions, mais il n’y a pas assez de tribunaux ou de forces de régulation pour pouvoir tout faire respecter. Un autre paradoxe peut être mis en avant, celui de la facilité d’accès aux informations présentes dans des bases de données, malgré les restrictions d’utilisation garanties par le système réglementaire. Il ne faut pas oublier que “la gratuité et l’exploitation des données personnelles” ne garantit pas une protection de la vie privée. Les données anonymes vendues par Facebook ou d’autres plateformes sont toujours anonymes, mais peuvent être contextualisées par des entreprises tierces. Les enjeux du vecteur numérique utilisés dans le cadre des élections présidentielles sont donc majeurs, entre futures attaques et dérives éthiques et commerciales, les équipes de campagnes comme les citoyens doivent redoubler de vigilance.
Elise Boyer et Alésia Humbert pour le club Cyber de l’AEGE
Pour aller plus loin :