L’OSINT dans le journalisme et le fact checking

Les fake news constituent aujourd’hui une large partie des informations publiées sur les réseaux sociaux, au risque de diviser notre société. Afin de faire face à ce phénomène, les médias mettent dorénavant en place des cellules de fact checking, pour se garder de propager ces fausses informations et ternir leur image. Par sa nature, l’OSINT constitue une solution de choix au fact checking, grâce à sa méthodologie et ses outils probants. Retour sur les réponses techniques qu’apporte l’OSINT au journalisme.

Pour apporter des réponses à cette question, le club OSINT & Veille de l’AEGE a organisé, mardi 25 octobre 2022, à l’École de Guerre Economique, une conférence intitulée « L’apport de l’OSINT dans le journalisme », durant laquelle deux journalistes sont intervenues : la première, Linh-Lan Dao, exerce à France Info pour l’émission Vrai ou Fake qui a lieu tous les samedis et dimanches. Elle est aussi la fondatrice des Révélateurs de FranceTV

La deuxième intervenante était Aude Favre. Elle est notamment la propriétaire de la chaîne YouTube WTFake (environ 85 000 abonnés) qui traite des fake news et de leur débunkage (démythification en français). Outre cette activité, elle est aussi la présidente de l’association Fake Off et dirige le projet Citizen Facts.

 

OSINT et journalisme

L’OSINT, acronyme d’Open Source Intelligence, ou renseignement en sources ouvertes, est, dans le journalisme, le moyen d’arriver au fact-checking et au debunking d’information. Cette discipline touche à toutes les informations disponibles légalement, que ce soit sur Internet ou par le biais d’archives papier. Ces recherches demandent de la patience et une certaine gymnastique. Il ne faut cependant pas voir l’OSINT comme une discipline demandant une maîtrise de centaines d’outils et donc compliquée à apprendre. Parfois, un simple appel ou un appel à témoin peut suffire à réfuter une fausse information (on appelle d’ailleurs cela l’Humint, acronyme d’Human Intelligence). A l’OSINT s’ajoutent aussi des méthodes de recherche comme la méthode STAR (Sources, Travail, Auteur et Rigueur) créée par Aude Favre. Cette dernière sert à rapidement identifier les données à collecter afin de vérifier une information. Utilisée par son association Fake Off, elle fonctionne également avec des élèves de CM2, comme l’a démontré la journaliste sur sa chaîne YouTube WTFake.

 

Lutter contre les fake news : les raisons de la désinformation

Dans une société marquée par un flux d’informations en continu, phénomène dit “d’hyper-connectivité”, la lutte contre les fake news est extrêmement importante. Les sources accessibles sont toutes différentes, mais les utilisateurs peuvent avoir tendance à les mettre sur un même pied d’égalité. Les dires du voisin deviennent ainsi aussi fiables que ceux d’un chercheur spécialisé dans le domaine en question. Parallèlement, la polarisation que subit la société crée un phénomène qui voit les chiffres et les statistiques tordus pour coller aux idéologies.

Si les fake news sont des contenus à la popularité fulgurante et massivement partagés, cela s’explique notamment par le fait que ces dernières jouent sur l’émotion produite ; et à l’émotion s’ajoute que le récit plaît, convainc : un phénomène du ressort des biais cognitifs. L’exemple du biais de confirmation permet d’illustrer cette notion. Dès lors qu’un individu s’est fait une idée sur un sujet, son esprit ne sélectionne que les informations qui le confortent dans cette pensée. L’effet de bulle qu’il est possible d’observer sur les réseaux sociaux en est un autre exemple. 

Cependant, il convient d’être vigilant à ne pas incriminer les réseaux sociaux uniquement. Certaines grandes entreprises ont pu, par le biais de publicités notamment sur les sites internets, financer la désinformation.

 

Il est aussi intéressant d’observer que ce phénomène de fake news, faisant parfois tomber dans le complotisme, touche tout type de personnes. Il serait faux de considérer que les personnes en situation de précarité forment la base permettant à la désinformation d’exister : la réalité est que cette dernière touche n’importe qui, et ce indépendamment de son niveau d’études. 

 

Deux cas de l’utilisation de l’OSINT dans le journalisme

Récemment, “le cas Adrien Bocquet” est un bon exemple de l’utilisation de l’OSINT dans le journalisme. Adrien Bocquet, se présentant comme un militaire français, a fait le tour des plateaux télé réputés comme étant « sérieux » (CNEWS et BFMTV) lors desquels il a raconté avoir vu des crimes de guerre ukrainiens aux alentours de Kiev en étant passé par Boutcha. Comme preuve de ses accusations, il a posté une photo de lui à Kiev, prouvant qu’il était bien sur place. CheckNews, le « service de journalisme à la demande » de Libération, s’est alors penché sur son récit. Les « factcheckers » ont d’abord remarqué, par un traçage de ses mouvements, que le militaire français a uniquement fait des allers-retours entre la frontière ukraino-polonaise et Lviv, sans aller à Kiev. De plus, grâce au logiciel InVid, l’équipe s’est rendu compte qu’il y avait une anomalie sur l’une des photos postées par Adrien Bocquet. Le panneau annonçant l’entrée dans la ville s’affichait en surbrillance sur le logiciel, indiquant qu’il y a eu une potentielle modification. Une personne de l’équipe de France Info a alors décidé de remonter sur Google Maps, vie Browse Street View Images, toute la route qu’a dû emprunter Adrien Bocquet. Utilisant une autre photo que ce dernier avait posté avec son équipe en mission humanitaire et en comparant l’arrière-plan d’une photo avec une autre afin de retrouver les similitudes (placement d’une maison, angle d’une rue ou d’un poteau électrique), l’équipe a pu retrouver l’endroit où la photo avait été vraiment prise. Adrien Bocquet n’a donc jamais mis les pieds à Kiev : il diffuse donc de fausses informations, servant au passage les intérêts russes. Interrogé par l’émission dans le cadre du reportage, Adrien Bocquet a nié avoir modifié l’image : “C’est totalement faux. Je vous réponds officiellement. Moi, je n’ai photoshoppé aucune photo.”

 

Mais ce n’est pas l’opération qui peut être considérée comme « la plus grande enquête du monde ». Cette dernière fut réalisée par la BBC, qui se pencha sur une vidéo où des soldats camerounais exécutaient deux femmes et deux enfants par balle dans un village. La BBC, afin de trouver des informations, a décortiqué seconde par seconde l’extrait. Grâce à cette méthode, les journalistes ont pu retrouver le village où la vidéo a été capturée, notamment en transcrivant les images du village et d’une route en trois dimensions sur la vidéo à un format en deux dimensions, sur plan, pour l’identifier sur Google Maps. L’ombre des individus est aussi exploitable sur la vidéo et est un important élément d’information. En utilisant SunCalc, l’équipe anglaise a ainsi pu définir, approximativement, l’horaire à laquelle elle a été enregistrée. Enfin, le treillis et les armes de la vidéo sont analysés et des correspondances apparaissent avec les armes et treillis utilisés par l’armée camerounaise. Lors de cette phase analytique, les réseaux sociaux où les soldats sont parfois bavards ont également servi. L’identité de trois soldats camerounais est ainsi découverte et l’ensemble de ces informations a été déposé au gouvernement camerounais. Si les autorités ont, à la diffusion brute de la vidéo, assuré que son contenu était faux, le travail mené par la BBC a finalement abouti, grâce aux preuves avancées, à l’arrestation de sept soldats. Ce travail fut même utilisé comme preuve dans une résolution parlementaire européenne condamnant les abus des droits de l’homme au Cameroun.

 

Bien évidemment, les cas ici présentés nécessitent, pour les équipes de journalistes, de disposer de temps afin de mener à bien ces investigations et ces vérifications. Au quotidien dans les médias traditionnels, les équipes de fact-checking ont peu de temps (entre un et deux jours) pour s’atteler à la vérification. En effet, la visibilité accordée au travail de débunkage d’une information erronée et massivement relayée bénéficient généralement d’une visibilité moindre, l’information débunkée arrivant quelques jours plus tard alors que la polémique est déjà retombée.

 

Les raisons poussant à la vocation de fact-checker

Ces enquêtes demandent de nombreuses heures de travail, empiétant souvent sur le temps libre. Quelles sont les raisons qui poussent des personnes à autant s’investir dans la vérification des faits ? Pour certains, le sentiment de faire quelque chose de juste est un moteur. Contrer la désinformation peut aussi donner le sentiment de rétablir la vérité. De plus, une information vérifiée puis transmise aux médias permet à certaines personnes de ne pas se faire manipuler ; s’ajoute donc le sentiment d’être utile à la société.

Enfin, l’OSINT se pratique en équipe, et bien plus encore, elle se pratique en communauté. Impulsée par la croyance dans le travail collectif, l’entraide rythme les enquêtes. Ceci explique que la communauté internationale d’OSINT fait preuve de pédagogie, permettant à tous de s’initier à la discipline. Il suffit de naviguer sur les blog et serveurs Discord d’OSINT pour le constater. 

 

Ainsi, il est grandement utile de suivre et se référer aux vulgarisateurs présents sur YouTube et Twitter, qui sont bien souvent des experts, spécialistes, chercheurs dans leur domaine et qui font, bénévolement, de la vulgarisation sur leur temps libre. Cela permet, sur des sujets de niche, de trouver de solides informations. Parfois, ce sont parfois des autodidactes, tout comme pour l’OSINT, qui suite à de longues recherches sur un sujet, avec les méthodes et outils expliqués précédemment, se sont renseignés au mieux. Bien souvent, la communauté qui les suit et s’intéresse à ce sujet va apporter des précisions, permettant d’améliorer toujours plus l’argumentation et ainsi de toujours mieux éduquer la masse des utilisateurs, tout en luttant contre la manipulation et la désinformation.

 

Ronan Le Goascogne

 

Retrouver la conférence sur le sujetL’apport de l’OSINT dans le journalisme

 

Pour aller plus loin :