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Veille et OSINT au service de la traçabilité dans le marché de l’art

Détective privé, enquêteur privé ou agent de recherche privé : nombreuses sont les appelations pour nommer ceux qui investiguent dans le marché de l’art. Durant leurs recherches, les cabinets spécialisés utilisent la veille et l’OSINT pour remonter à l’origine des œuvres d’art et préparer leurs enquêtes terrain. Pour nous parler de son métier, Camille Dolé a récemment donné une conférence à l’École de Guerre Économique.

Le métier de détective privé

Régi par le Code de la sécurité intérieure (d’où découle un code de déontologie), le détective privé est une « profession libérale qui consiste, pour une personne, à recueillir, même sans faire état de sa qualité, ni révéler l'objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts » (article L621-1 du Code de la sécurité intérieure). L’enquêteur privé n’a donc pas à présenter ou décliner son identité et a même la possibilité de la cacher pour recueillir de l’information. Il peut d’ailleurs en créer une factice, sans toutefois usurper celle d’une personne existante. Contrairement aux policiers, le détective privé n’a pas besoin de donner l’objet de sa mission et peut le transformer. L’information qu’il collecte est destinée à des tiers, et non à sa propre personne. L’agent de recherche privé sert donc des intérêts privés et défend ceux d’autrui. Une instance supérieure, le CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), contrôle et rattache aussi la profession au ministère de l’Intérieur. 

Le détective privé intervient dans des domaines très variés, généralement en lien avec la justice pour aider dans des procédures judiciaires. S’il peut intervenir lors d’une procédure de divorce afin de prouver un adultère et donc acter le divorce « pour faute », le détective intervient aussi dans le droit social, dans le droit des entreprises ou encore dans les contre-enquêtes pénales (lorsqu’une personne cherche à contrer le verdict du tribunal). Son rapport est recevable en justice et sert à un avocat comme preuve officielle. 

Nombreux sont les acteurs qui ont besoin de « recherches de provenance ». Une grande majorité est constituée de musées qui achètent des œuvres et ont besoin de mener des recherches sur le passé – plus ou moins récent – de ces dernières. S'ils font régulièrement appel à leur service interne, souvent tenu par des historiens, il est tout aussi intéressant de faire appel à des chercheurs externes. Marchands, collectionneurs, institutions (notamment pour les prêts entre institutions) sont aussi des clients potentiels des enquêteurs privés.

 

La veille sur le trafic d’œuvres d’art

Afin de rester informé à propos des œuvres faussées ou volées sur le marché de l’art, le meilleur moyen consiste à mettre en place une veille. Le projet ATHAR, ciblant principalement le réseau social Facebook, en est un excellent exemple. L’objectif était de démontrer que les réseaux sociaux participent de manière intensive au trafic de biens culturels. Publié en 2019, le projet s’est notamment concentré sur les groupes Facebook qui s’intéressent aux œuvres antiques et archéologiques provenant du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Il est possible d’y trouver des offres d’achat et de revente d’objets provenant de ces deux régions, parfois même des vidéos dans lesquelles une œuvre est déterrée pour être présentée en direct aux potentiels acheteurs. Ainsi, il est possible d’acquérir un objet provenant d’Iran, dont les photos sont postées par un groupe localisé en Syrie et publiées par un turcophone, ce qui démontre l’interconnexion du marché de l’art illégal. 

Parmi les autres réseaux sociaux, Instagram n’est pas en reste : au moyen de certains mots-clés, des vidéos montrant des individus qui creusent, déterrent et exposent des objets peuvent être visionnées. S’il existe certainement une part de  mise en scène dans ces extraits, mettre en place une veille pour se renseigner sur ces personnes demeure tout de même intéressant en ce sens qu’il devient possible d’avoir un suivi sur les potentiels revendeurs. Ce phénomène de vente sur Facebook a connu une explosion à partir de 2011, soit durant le « Printemps arabe ». Il était à son apogée entre 2016 et 2017 où ce sont presque 160 000 membres qu’il était alors possible de retrouver sur certains groupes « privés » où il suffisait de répondre à de simples questions pour les intégrer.

 

L’importance de la veille pour mener des enquêtes

Pour commencer une veille, il faut d’abord sélectionner des bases de données à suivre. À titre d’illustration, Interpol dispose d’une base de données sur les œuvres d’art (Works of Art database) accessible avec  un compte. Il n’en reste pas moins que les œuvres d’art les plus recherchées (The most wanted works of art) sont disponibles en source ouverte sur le site de l’organisation. Sur son application gratuite, ID-Art, il est aussi possible d’avoir accès aux données de l’organisation concernant les objets déclarés comme volés. 

Il existe également des listes rouges de biens culturels en péril, comme celles du Conseil international des musées (ou ICOM, International Council of Museums), qui « répertorient les catégories d’objets culturels exposées au vol et au trafic ». Ces objets sont donc inventoriés et se trouvent dans les collections d’établissements reconnus. L’objectif de ces listes est d’aider les individus, les organisations et les autorités à identifier clairement les objets en danger et à assurer leur sécurité, par une description détaillée et des photos de ces derniers. En France, une base de données similaire existe sous la responsabilité du ministère de la Culture.

La recherche d'images inversée est également un outil indispensable à l’investigation dans le domaine de l’art. En retrouvant l’image de l'œuvre en question sur d’autres sites, elle permet de récolter un grand nombre d’informations sur les propriétaires, anciens ou actuels, de l’objet recherché. Les photos de biens culturels disposant d’un numéro unique, il devient dès lors plus aisé de savoir si la photo identifiée est officielle ou non. Lorsque le détective découvre un objet vendu, il peut aussi tenter de contacter son propriétaire pour connaître le précédent vendeur, les modalités d’acquisition, etc… La recherche inversée peut également être utilisée pour savoir si le certificat d’authenticité fourni correspond bien à l’objet vendu. La veille permet ainsi de soulever des doutes et des suspicions, qui seront éclaircis grâce à l’OSINT.

 

L’OSINT afin de préparer une enquête de terrain

L’investigation en sources ouvertes permet de documenter ses propos et de récolter des sources. Pour la réussir, il est nécessaire d’établir une méthodologie solide permettant de définir des étapes : la veille permet, dans un temps délimité, de récolter des informations qui seront ensuite approfondies via l’OSINT. Il faut alors savoir hiérarchiser les informations trouvées sur les objets et prioriser ses recherches, tout se rapprochant de certaines institutions clés pour affiner les grands axes de l’enquête. À la suite de la première phase constituée de la veille et de l’OSINT, s’ouvre celle de l’enquête de terrain, qui permet de vérifier la véracité des informations récoltées. Le rapport final doit, par une solide documentation chronologique, retracer l’histoire de l’objet dans son entièreté.

À titre d’illustration, Camille Dolé raconte comment un homme a un jour découvert une statuette d’Élie Nadelman nommée Standing Nude Women dans une maison récemment achetée. Il lui demande alors de se renseigner sur son histoire. L’enquête, menée durant le confinement, est un parfait exemple de recherche en sources ouvertes sur Internet. Après s’être renseignée sur la vie de l’artiste, il a été nécessaire de se rendre aux  archives pour chercher une trace de l'œuvre dans les photos et documents d’époque. C’est par cette méthode que l’intervenante trouva une photo de la statuette chez les Stein, une famille de grands collectionneurs qui ont aidé à faire connaître des artistes comme Picasso. En s’appuyant sur les dossiers d’archive, notamment ceux numérisés, ainsi que la recherche Internet par les opérateurs booléens, certains doutes ont pu être dissipés sur la petite statuette. Cette dernière, en plâtre, représente Gertrude Stein et se révèle être ainsi l’originale d’une série de statues de bronze calquées sur son modèle – que l’on peut notamment retrouver à New York. 

Lors d’une enquête sur un bien culturel, il faut également étudier les différents propriétaires et leur famille. L’enquête terrain permet alors de remonter aux liens, souvent familiaux, qui ont mené à l’arrivée de la statue en ces lieux. C’est notamment grâce aux Archives Nationales que ce travail de généalogie peut se faire, tout en permettant d’obtenir des informations sur les biens fonciers et immobiliers. Contacter le notaire pour les ventes est donc à privilégier : lié à la famille acheteuse et aux différents acheteurs, ce dernier peut fournir des informations précieuses. Tout ceci permet de remonter la chronologie de l’objet, et donc d’établir sa traçabilité, afin d’identifier si l'œuvre n’a pas été volée.

L’un des vols les plus célèbres au sein du monde de l’art est celui du tableau intitulé « Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée », datant de 1633 et peint par Rembrandt. Actuellement, 10 millions de dollars sont proposés pour retrouver le tableau, pièce maîtresse de 13 œuvres disparues, puisque ce dernier a été volé avec 12 autres œuvres au musée Isabella-Stewart-Gardner, à Boston, le 18 mars 1990. Encore aujourd’hui, ces tableaux sont introuvables, sachant que l’ensemble est estimé à 428 millions de dollars. Cependant, la somme proposée en récompense peut justifier certaines motivations à chercher le tableau, à la manière des bug bounty (prime aux bugs) qui récompensent les individus trouvant des failles permettant un hack du système et qui en font part aux entreprises concernées. Peut-être serait-ce une piste à creuser pour permettre de lutter efficacement contre le trafic d’art ?

NB : La conférence de Camille Dolé à l’EGE est visionnable à cette adresse : L'apport des sources ouvertes (OSINT) dans la lutte contre le trafic d'œuvres d'art

 

Ronan Le Goascogne pour le club OSINT & Veille de l’AEGE

 

Pour plus aller plus loin :