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Dépendance sanitaire : une vulnérabilité de la France qui peut mener à des rapports de forces

La France connaît de nombreuses tensions dans l’approvisionnement de certains médicaments ainsi que des ruptures de stock. Ces difficultés d’accès peuvent avoir des effets néfastes sur la santé des patients. Cet état de fait a déjà donné lieu à des rapports de force dans le passé, notamment avec la Chine.

En France, la Loi dispose que chacun a le droit à la protection de la santé. Celle-ci doit être mise en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Cette disposition peut voir ses effets diminuer lorsque les moyens disponibles pour les professionnels de santé sont réduits. La crise de Covid-19 ainsi que les difficultés d’approvisionnement récentes sur le paracétamol et l’amoxicilline, ont bien montré les conséquences que pouvaient avoir un manque d’approvisionnement en médicament. Dès lors, l’aspect stratégique autour des médicaments ainsi que la dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger est devenu incontestable pour la population ainsi que pour les responsables politiques. En effet, selon les données de l’ANSM de 2019, la France a importé environ 71 % de ses médicaments. Ses principaux fournisseurs étaient la Chine (22,7 %), l’Inde (19,9 %), et les États-Unis (8,3 %). L’évolution du nombre de signalements pour rupture de stock ou risque de rupture relevée par l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) entre 2008 et 2020, représente assez bien les risques auxquels est exposée la France.

Source : Données de l’ANSM (rapports d’activité de 2019 et 2020)

Entre 2008 et 2020, le nombre de signalements recueillis par l’ANSM a été multiplié par 55. Même si l’augmentation de ces chiffres est en partie due à un décret de 2016 obligeant les entreprises pharmaceutiques à prévenir directement l’ANSM en cas de ruptures d’approvisionnement, elle s’explique avant tout par une réalité qui se constate en France et chez ses voisins européens.

Ces ruptures d’approvisionnement sont d’autant plus grave lorsqu’il n’existe pas de traitement alternatif pour les patients.En 2020, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir a réalisé une étude sur un petit échantillon de produits en rupture montrant que dans 18% des cas « les laboratoires ne proposent tout simplement aucune solution de substitution, laissant entrevoir pour les malades une terrible impasse, des annulations de traitements, et in fine, des conséquences médicales qui peuvent être lourdes ».

 

Le véritable enjeux : les principes actifs des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) 

Afin de déterminer les médicaments les plus « sensibles », l’ANSM utilise le terme de médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui sont définis par le Code de la santé publique comme les « médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie »

Le principal risque pour la chaîne d’approvisionnement se trouve dans les laboratoires produisant le principe actif car ce sont ces derniers qui ont été délocalisés et sans principe actif il est impossible de faire le médicament. En effet, la production des principes actifs de 80 % des médicaments passés dans le domaine public a été délocalisée en Inde et en Chine  depuis plusieurs années pour des raisons de moindre coût. Le Haut-Commissariat au Plan avait estimé que, sur 3645 MITM analysés, 49 % des sites de fabrication des principes actifs se trouvaient hors d’Europe, principalement en Chine et en Inde.

Source : Haut Commissariat au Plan

Le manque d’approvisionnement en principes actifs entraîne, outre la mise en danger des citoyens français, la mise à l’arrêt de l’ensemble de la chaîne de production et in fine de la distribution. 

Pour donner un exemple concret, en 2017 la Chine avait limité l’alimentation énergétique de certaines de ses zones industrielles où étaient produits l’amoxicilline (un antibiotique) et d’acide clavulanique qui sont des biens complémentaires. L’Académie nationale de pharmacie en observa les conséquences : une pénurie mondiale. Autre exemple, en 2019 des lots d’irbésartan et de candésartan, deux médicaments utilisés pour traiter l’hypertension avaient été rappelés car on y avait détecté des impuretés potentiellement cancérigènes. Les pénuries se sont prolongées pendant un an. Au-delà de la délocalisation, on voit ici que c’est aussi la concentration trop importante de la production qui cause des problèmes. Cette stratégie de haute concentration de la production permet certes de maximiser les économies d’échelle mais elle revient à mettre tous ses œufs dans le même panier. Il suffit d’un problème sur une infrastructure pour mettre à mal toute la chaîne d’approvisionnement.

La concentration de la production est donc un élément majeur faisant porter un risque sur la chaîne d’approvisionnement en médicament. « Quand bien même vous avez des génériques, le fait d’avoir une usine ou deux qui produisent la matière première, dès qu’il y a un problème de production ou de qualité, cela a d’importantes conséquences », relève Yann Mazens, de France Assos Santé. Pour comprendre l’origine de ces ruptures d’approvisionnement, le British Medical Journal (sur la base des chiffres de l’ANSM) a réalisé une étude sur les 3530 signalements qu’elle a reçus entre 2012 et 2018 et on y voit que 63,4 % des médicaments manquants étaient dotés d’une autorisation de mise sur le marché de plus de 10 ans. Or, le prix d’un médicament, fixé par le CEPS, baisse avec le temps, baissant ainsi la rentabilité pour l’entreprise. En effet, le prix initial d’un médicament est fixé en considérant son apport thérapeutique, mais ensuite son prix d’achat baisse sans que les coûts ne soient pris en compte. Comme le disait aussi l’Académie nationale de pharmacie en 2018 : « Le prix de certains anticancéreux ou antibiotiques anciens n’étant pas actualisé voire non soutenu dans un marché compétitif pour les produits nouveaux, cela conduit à des marges trop faibles pour que les industriels investissent dans les structures de production, ce qui peut amener parfois à l’arrêt de la commercialisation ».

 

Délocalisation et concentration de la production : des facteurs sur lesquels il est très difficile de faire marche arrière

Il sera très difficile de revenir à une production nationale pour plusieurs raisons. Tout d’abord produire à l’étranger (notamment en Asie) présente plusieurs avantages pour une entreprise. Cela lui permet de bénéficier de coûts de production plus faibles ainsi qu’à des contraintes environnementales moins importantes. Un autre paramètre important est celui des compétences. Il existe en Inde et en Chine des régions qui disposent de main d’œuvre qualifiée et des compétences nécessaires pour fabriquer des principes actifs ainsi que des médicaments. Autant de compétences qu’il est aujourd’hui compliqué de trouver en France en grand nombre.

Comme l’expliquait Gérard de Pouvourville, professeur d’économie spécialisé dans la santé à l’Essec, « [pour relocaliser] il ne suffit pas d’avoir une usine, il faut l’environnement autour ». Fabriquer les médicaments en France induirait forcément une hausse de prix de ces derniers, se répercutant sur les dépenses de la Sécurité sociale qui devra réduire ses autres dépenses.

 

Un secteur stratégique qui peut être utilisé dans des rapports de force

La situation de dépendance dans laquelle se trouve la France peut donner de mauvaises idées à certains acteurs. La Chine essaie souvent de jouer de son poids économique pour chercher à instaurer un rapport de force avec d’autres pays. Récemment, la Chine a instauré des restrictions commerciales en Lituanie car cette dernière avait autorisé Taïwan à ouvrir une représentation officielle à Vilnius. Une attitude très agressive qui est loin d’être la première pour l’Empire du Milieu. L’aspect critique que représentent les médicaments pourrait être utilisé à l’avenir pour instaurer un rapport de force contre la France. Un paramètre qui devrait pousser encore plus les autorités ainsi que les entreprises pharmaceutiques – françaises comme européennes – à définir une stratégie pour s’extirper de l’emprise chinoise.

 

Mathéo Quenault et Anthony Ghosn

 

Pour aller plus loin :