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Accéder à l’information en Russie

Le Cercle Kondratieff, groupe de réflexion qui promeut la Russie, auprès des acteurs économiques, s’est réuni le 22 janvier dernier pour traiter de l’intelligence économique en Russie.

Le Cercle Kondratieff, groupe de réflexion qui promeut la Russie auprès des acteurs économiques, s’est réuni le 22 janvier dernier pour traiter de l’intelligence économique en Russie. Le cercle, présidé par Gérard Lutique, compte 285 membres dont 70 au sein du groupe Russie, il soutient les investisseurs français en Russie. A cet effet, plusieurs ouvrages ont déjà été publiés ou le seront prochainement : Bien communiquer avec vos interlocuteurs russes, Réussir vos négociations en Russie, Investir, travailler et vivre en Russie. L’association des juristes franco-russes participait aussi à cette conférence. Elle a été fondée il y a 10 ans pour promouvoir la mobilité, l’échange, entre les juristes russes et français, et pour permettre une meilleure connaissance des deux pays. Plusieurs orateurs se sont succédé pour présenter leur expérience de la Russie, pour la recherche de l’information et le soutien opérationnel aux sociétés étrangères.

Anne-Marie Libmann du cabinet FLA Consultants où elle dirige le pôle russe est revenue sur sa conception de l’intelligence économique (IE). Pour elle, l’IE n’est pas limitée au traitement de l’information et à l’analyse de ces informations issues de la veille ou de la recherche. Cette collecte intelligente permet la création d’un système d’information complexe, les fonctions de ce système sont d’abord informatives et préventives pour veiller la concurrence et l’évolution des marchés. Ce système d’information est aussi défensif (protéger le patrimoine, garantir la sécurité) et offensif (influence et lobbying). En Russie, de nombreuses informations de qualité sont accessibles librement, les sources payantes sont aussi très denses. La veille en Russie comporte plusieurs exigences essentielles : la maitrise du russe est nécessaire car les sources et les ressources locales sont très puissantes. Le secteur informatique russe est aussi très développé.

Elian Carsenat de RussoScopie a montré que les sources ouvertes en Russie étaient d’une teneur considérable. Pour les ressources externes à la Russie il faut privilégier la presse anglaise, italienne et allemande, à la presse française pour disposer d’informations économiques et locales précises. La presse russe est essentielle pour maitriser les informations utiles. Le Runet., l’ensemble de l’internet russe, est très développé, une bonne connaissance du net russe, à travers ses sites essentiels (Yandex, Lenta,…) est un soutien de poids dans la recherche d’informations. Russoscopie distribue Integrum, une base d’informations fondée sur plusieurs bases de données, soit plus de 9000 sources. Cette base est utilisée par l’ambassade de France en Russie, des cabinets d’intelligence économique, la COFACE, des banques. Mais la France est en retard dans cette maitrise de l’information notamment en raison de la segmentation française qui empêche les acteurs privés, publics et universitaires de mutualiser leurs connaissances et leurs informations dans une démarche d’intelligence économique. Après ce constat, le dirigeant de Russoscopie a précisé les informations, essentiellement issues de la presse, que son groupe a pour mission de déterminer pour ses clients : les signaux faibles et forts des grandes actualités, l’extraction de noms et réseaux d’influence, les réseaux de pouvoir, alerter pour diffuser l’information, l’information légale et financière, le filtrage, le routage et l’accessibilité de l’information.

Romain Bory de la société Informacorp, a insisté sur la notion d’« yvajenie », le respect en russe. Selon lui, même en disposant de la meilleure des informations, il faut prouver à ses partenaires russes son respect, le renseignement et l’information servent avant tout à gagner le respect des Russes. Après cette introduction, Romain Bory a précisé un cas concret de soutien à une entreprise voulant remporter un appel d’offre en Russie, des conseils opérationnels ont été donnés pour appuyer cette démonstration. L’entreprise est un industriel de construction d’infrastructures du secteur de l’énergie disposant de partenaires locaux, et fournissant du matériel lourd spécifique au secteur de l’énergie.

L’industriel voulait savoir quelle était la réalité de deux nouveaux projets de constructions d’infrastructures énergétiques en Russie, l’état d’avancement de ces infrastructures, les responsables de la construction, les délais, les financements, et quelles étaient les sociétés concurrentes missionnées. La réponse du groupe d’intelligence économique a été précise : le maitre d’œuvre russe disposait bien d’un budget clair pour un délai fixé. Concernant les équipements projetés, les installations sont précisées, un concurrent est aussi signalé.

La question du décideur final, chargé de délivrer l’appel d’offre, fut la question la plus difficile. Au niveau central de la prise de décision, il y avait le client final, le donneur d’ordre de Moscou et sa filiale locale, le maitre d’œuvre de Moscou et sa filiale. A la périphérie : les institutions russes de sureté, les administrations locales (oblast et district). Pour identifier de l’acteur qui prend la décision finale: une cartographie schématique des structures de décision a été menée. Cette cartographie comprenait le profil détaillé de chaque acteur : son âge supposé de la personne, sa formation (technique, commerciale, politique) ses fonction précédentes, sa reconnaissance, et sa fonction actuelle, et tout cela afin de placer, face à cet acteur la meilleure personne capable de discuter et de convaincre.

Il est ainsi apparu que deux structures étaient chargées de prendre la décision concernant cet appel d’offre. Une structure technique, correspondant à groupe opérationnel de la direction des travaux compose de 4 personnels du client, 2 personnels du donneur d’ordre et 2 personnels du maitre d’œuvre. Une structure politique correspondant à un groupe de coordination régionale : un personnel représentant le maître d’œuvre, un personnel représentant le donneur d’ordre, représentation de la région et de l’oblast, qui décide du choix des travaux et qui choisit le groupe d’appels d’offre. Tous les personnels cités ont été rencontrées par le groupe européen qui a pu remporter un des deux appels d’offre.

Georgi Akopov, président de l’association des juristes franco-russes, avocat associé et co-fondateur du cabinet AK Avocats, créé il y a 6 ans, a décrit les possibilités d’obtention d’informations indispensables pour la conclusion d’un contrat, les négociations à poursuivre, pour s’opposer à un débiteur, pour collecter des preuves lors d’un procès, la protection du patrimoine informationnel (ne pas laisser connaitre ses secrets) et les protections des brevets ou du know how.

Les premières sources de publications légales sont rassemblées par Egrul, notamment pour le Kbis, les représentants légaux, le capital social, les procédures collectives et tous les bilans annuels. Kommersant (à compter de mars 2013 il s’agira de Rossiskaia Gazeta) fournit les informations relatives aux procédures collectives, à la publication des délais de déclaration de créances.

Sur demande d’avocat ou sur ordonnance d’un juge plusieurs autres informations sont disponibles. Ainsi, l’accès est libre dans les centres des impôts qui disposent aussi de nombreuses informations, l’historique des modifications (boite postale, domiciliation), des fusions-acquisitions, et les contrats de fusion y sont répertoriés. Dans les banques apparaissent la tenue des comptes, les virements et les effets de commerce. Auprès des Douanes, il y a un accès à tous les dédouanements (produits, prix, quantités, entités déclarantes, vendeurs, certificats), aux autorisations d’instructions sur le marché russe.

Dans les tribunaux de commerce, les litiges en cours peuvent être consultés, et recherchés par nom. Il existe des possibilités de veille auprès des tribunaux lorsqu’un nom apparait, auprès des journaux aussi. Pour ce qui concerne la protection des informations, le système des brevets est protégé, la protection fonctionne correctement (équivalent européen), le know-how est protégé par le code civil (art 1465) avec une définition très large – données techniques économiques et organisationnelles il y a une possibilité d’interdire l’utilisation et de sanctionner la violation Les accords de confidentialité sont reconnus et appliqués par les tribunaux.

Les quatre intervenants ont décrit la facilité de trouver l’information utile, en Russie, que cela soit dans la presse, ou auprès de nombreuses institutions russes. La maîtrise de la langue russe apparait comme indispensable pour avoir une démarche d’intelligence économique en Russie. L’intelligence économique doit aussi, être associée, et c’est ce qu’a révélé Romain Bory, au respect dû aux partenaires russes, c’est une garantie pour les comprendre et travailler en bonne intelligence avec eux.

Remy Berthonneau