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Normes internationales et conquêtes de marchés: le cas des normes balistiques

Les calibres 7.62 (7.62 x 51) et 5.56 (5.56 x 45) constitue les deux normes balistiques standards des pays membres de l’OTAN. Leur histoire a été marquée par des évolutions techniques, mais également par des intérêts géoéconomiques bien définis. Le lien entre l’établissement de ces normes internationales et le renforcement de l’industrie d’armement américaine peut apparaitre plus important que le souci d’efficacité des normes otaniennes.

Pour comprendre l'élaboration du calibre 7.62, un détour par l'histoire est nécessaire. Avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne débute des recherches sur le développement d’un calibre intermédiaire afin de remplacer le 8mm qu’elle utilisait depuis la fin du 19ème siècle. Dès 1934, ses recherches portèrent sur le développement d’armes automatiques capables de lui conférer une supériorité sur le champ de bataille comme cela fut le cas durant la première guerre mondiale avec le Maschinenpistole 18 (mitraillette équipée en 9mm) qui s’était révélé extrêmement performant sur le terrain. L’Allemagne brave donc l’interdiction qui lui avait été faite dans le cadre du Traité de Versailles concernant le développement d’armes automatiques et cherche à développer des cartouches permettant d’établir une catégorie d’arme intermédiaire entre les mitraillettes (jugées trop lourdes et manquant de précision) et les fusils dont la cadence de tir ne satisfaisait pas l’Etat-major. Ces recherches aboutissent en 1938 à la production du calibre 7.9 Kurz (7.9 x 33) qui va équiper le MP43, fusil d’assaut notamment employé sur le front de l’Est, et particulièrement en Russie.
Mettant la main sur des stocks de MP43 et de 7.9 Kurz durant la guerre, les autorités soviétiques développent alors à leur tour des cartouches basées sur la technologie allemande. En 1943, les ingénieurs russes aboutissent finalement au développement d’un nouveau calibre: le  7.62 x 39. Deux ans plus tard, l’ingénieur russe Mikhaïl Kalachnikov développe un fusil d’assaut adapté à cette cartouche : l’AK 47 (Avtomat Kalashnikov). Il va devenir l’arme de référence de l’armée rouge dès 1947, date à laquelle il commence à être produit. Cette arme et ses cartouches se répandent très rapidement sur le marché de l’armement mondial du fait de sa grande fiabilité et surtout de son faible coût et représente une menace de taille pour le complexe militaro-industriel du bloc occidental. Il est aujourd’hui encore considéré comme le fusil d’assaut le plus répandu dans le monde puisque sa production est estimée entre 70 et 100 millions d’unités depuis 1947.

Le développement outre-Atlantique et la norme transatlantique

Les Etats-Unis décident également de développer des cartouches intermédiaires pendant la seconde guerre mondiale. Les recherches aboutirent à la production du calibre .30.06  équipant le M1 Garand, fusil réglementaire de l’armée US durant la seconde guerre mondiale, puis durant la guerre de Corée. Mais ce fusil ne satisfaisait pas l’infanterie américaine qui désirait une arme plus légère et capable d’emmagasiner plus de munitions.

L’Ordnance Technical Commitee fut alors en charge de développer le nouveau calibre qui allait succéder au .30 dans l’armée américaine. La nouvelle cartouche  fut le 7.62 x 51, qui s’apparente à une cartouche de type .30 raccourcie. Mais son adoption par l’armée US dépendait de son acceptation par les pays membres de l’OTAN qui devaient se prononcer sur une norme liant toutes les armées de l’organisation. Les britanniques proposèrent un calibre de type .280 (7mm), projet appuyé par la Belgique, un autre important pays producteur d’armement et de munitions. Les américains s’opposèrent farouchement à la proposition Européenne, déclarant qu’ils n’accepteraient pas un calibre inférieur à 30 pouces (.30).
Et pour cause, si la norme transatlantique adoptée avait été la norme britannique, l’industrie américaine entière aurait dû adapter sa production au marché européen afin de pouvoir continuer d’exister à l’export. Cette situation aurait de surcroit entrainé une distorsion des normes entre, d’un côté le continent américain, et de l’autre le continent européen. L’écoulement de la production américaine aurait de ce fait était dépendante de la demande européenne alors que l’objectif américain était d’utiliser le marché européen pour écouler la surproduction des ses usines. C’est tout l’esprit du Plan Marshall qui a permis de soutenir la croissance américaine grâce à la transformation de l’Europe occidentale en un « deuxième marché intérieur ».

Ainsi, après de nombreuses tractations politiques, l’OTAN adopta, en 1953, le format 7.62 x 51 NATO (résolution STANAG 2310) comme référence standard pour toutes les armées otaniennes. L’armée américaine adopta elle ce format en 1959 avec le fusil M14 qui fut employé massivement durant la guerre du Vietnam.



Le développement du calibre 5.56 : american history x
Malgré l’adoption du standard OTAN en 1953, le complexe de défense militaro-industriel américain poursuit ses études concernant l’optimisation de l’efficacité de ses fusils d’assaut. Durant les années 50, deux rapports commandés par l’armée américaine et conduit par l’ORO (Operation Research Organization) sont publiés, les rapports HALL et HITCHMANN. Ceux-ci pointent le fait que durant les phases de combat les soldats touchant leurs cibles sont à environs 300 mètres de celles-ci et qu’afin d’augmenter les chances de toucher la cible, il faut multiplier les projectiles de petits calibres à forte vélocité et à dispersion limitée.

Après avoir mis en concurrence de nombreux producteurs américains, l’armée retient son attention sur l’AR15 développé par la société ARMALITE en 1957. Ce fusil d’assaut expérimental se base sur une cartouche de type 5.56 x 45 (ou M193) développée conjointement avec REMINGTON qui a pour cela développé un nouveau type de calibre, équivalent civil du 5.56 x 45: le .223 Remington. Cette cartouche est aujourd’hui l’une des plus vendues dans le secteur privé de l’armement au Etats-Unis, notamment en ce qui concerne la chasse et le tir sportif. Elle équipe la plupart des armes légères vendues sur le territoire américain, le plus important au monde, l’export ne concernant qu’à peine 10% du secteur des munitions dans les années 1980, il convient de prendre en compte l’importance du marché domestique pour les entreprises américaines.

REMINGTON n’est pas une entreprise d’armement comme les autres. Leader sur le marché américain de la production de munition, elle a établie en 1941 l’usine d’Etat de Lake City Army Ammunition Plant qu’elle dirigera jusqu’en 1985. Aujourd’hui encore, plus de 99% des munitions d’armes de petits calibres utilisées par l’armée américaines sont manufacturées dans cette usine. Il existe donc un lien commercial évident entre les intérêts de REMINGTON et ceux de l’armée américaine.

Suite à des essais se révélant positifs, bien que ceux-ci aient fait l’objet de nombreuses contestations par la suite laissant planer le doute sur leur objectivité, le Département de la Défense américaine ordonne la cessation de la production de M14 en 1963 au profit de l’AR15 (rebaptisé M16 par l’armée américaine). Plus de 100 000 unités sont commandées à Colt, qui a racheté la licence de l’AR15 à ARMALITE. L’armée US se retrouve alors dans une situation délicate car elle possède désormais deux standards. De plus, elle a cessé de produire des fusils utilisant le 7.62 au profit du 5.56 ce qui rend sa situation logistiquement incompatible avec celle de l’OTAN. Mais ayant constaté une certaine efficacité du M16 et du 5.56 lors de la campagne américaine au Vietnam, d’autres pays développent la production de fusils d’assaut utilisant du 5.56. Devant cet état de fait, la standardisation d’une nouvelle norme devient une nécessité pour l’OTAN qui s’aligne sur la position américaine le 28 octobre 1980 en adoptant comme second standard le 5.56 x 45 NATO (STANAG 4172) basé sur la cartouche belge SS109.


Malgré les nombreuses critiques qu’il essuie, le 5.56 demeure le calibre le plus produit par les 324 compagnies américaines produisant des munitions. De son côté, l’usine de Lake City Army Ammunition Plant a produit, entre 1999 et 2008, 7 450 millions de munitions de type 5.56 contre seulement 1 200 millions de 7.62. Cet ordre de grandeur souligne un point clé :

A travers l’établissement des normes atlantiques, les Etats-Unis ont su imposer aux 28 signataires du Traité de l’Atlantique Nord une standardisation et un alignement de leurs équipements sur la production, et par là même, sur l’économie américaine.
Ce système est complété par le rôle joué par le SAAMI (Sporting Arms and Ammunitions Manufacturers Institue), organisme américain à raisonnance international établissant la compatibilité des cartouches avec les fusils. Il s’agit de la seule organisation établissant de telles normes. Son rôle ne se limite donc pas qu’aux Etats-Unis, mais s’exerce mondialement. Selon ses recommandations, l’équivalent civil du 5.56 x 45NATO, le .223 Rem peut tout à fait être utilisé par des fusils prévus pour du 5.56 NATO, mais l’inverse n’est pas possible. Autrement dit, il est fortement déconseillé pour tout utilisateur, de charger un fusil prévu pour des cartouches OTAN avec des cartouches Remington américaine, mais les entreprises américaines peuvent exporter leurs cartouches civiles vers des armes otaniennes. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que si les Etats-Unis sont favorables à l’inscription des armes de petits calibres dans l’Arms Trade Treaty, ils s’opposent farouchement à l’inscription des munitions au sein de ce même traité.

Ces normes ont servi les Etats-Unis à s’imposer comme l’acteur principal du marché de l’armement léger. Si l’AK 47 et les cartouches 7.62 x 39 sont largement répandus dans le monde, c’est en majorité grâce au marché gris et noire d’occasions. On est donc en mesure de dire aujourd’hui que les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires financiers du marché des munitions d’armes légères. Ayant la mainmise sur l’OTAN, les américains ont pu développer leur marché économique intérieur en imposant une nécessité de standardisation extérieure, ceci concernant en premier lieu les armées européennes. De plus, certains pays non-OTAN ont également dû se conformer à ces standards de par leurs liens trop importants avec les économies et armées occidentales. C’est le cas d’Israël qui ne produit du 5.56 que depuis 2000. Fonctionnant jusqu’ici majoritairement sur des cartouches 9 mm (tout comme la Chine), elle fournie désormais les cartouches de l’armée française et s’est totalement standardisée sur les normes OTAN depuis l’abandon de son fusil mitrailleur UZI en 2005. Preuve encore que l’adoption de normes internationales dépend fortement des contraintes que celles-ci font peser sur les industries nationales.