Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

L’Assemblée nationale veut encadrer par la loi les activités de renseignement

Lors d’un colloque de l’ANAJ-IHEDN, le mercredi 15 mai, Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, a présenté le rapport dont il est le co-auteur sur l’avenir des services de renseignement français. Il dresse un constat des activités de renseignement, en France, et décrit l’évolution qu’il entend donner à ces activités, dans les années qui viennent.

« Béotien sur les questions de renseignement », Jean-Jacques Urvoas est convaincu que la France doit disposer de tous les outils pour protéger sa population et préserver ses valeurs, le renseignement fait éminemment partie de ces outils. Depuis 1958, de nombreux projets de loi ont voulu réformer les services de renseignement, plusieurs rapports budgétaires sur les services militaires de renseignement ont été rédigés, en particulier par Bernard Carayon. L’ambition du Président de la Commission des Lois, lors de la rédaction de ce rapport, fut de comprendre la communauté du renseignement, pour évaluer les moyens des services. Urvoas a aussi voulu établir des préconisations pour valoriser la communauté du renseignement. Les services doivent être évalués, conformément à l’article 24 de la Constitution qui prévoit l’évaluation de toutes les politiques publiques.

Le rapporteur a observé les six services : trois dépendent du ministère de la Défense (Direction générale de la sécurité extérieure, DGSE ; Direction de la protection et de la sécurité de la défense, DPSD ; Direction du renseignement militaire, DRM). Un du ministère de l'Intérieur (Direction centrale du renseignement intérieur, DCRI). Et deux du ministère des Finances (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, DNRED ; Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, Tracfin). Manuel Valls a défendu, pendant son audition, le contrôle du renseignement par le Parlement. La communauté militaire était plus réservée. Soixante-trois personnes ont été auditionnées, à huis-clos. Des auditions qualifiées de « fructueuses, fécondes, passionnantes » avec Dominique de Villepin, le directeur de cabinet de François Fillon à Matignon, les Ministres de la Défense et de l’Intérieur des dix dernières années, les directeurs des services, ceux qui les ont précédés, des universitaires. Une comparaison internationale a été effectuée avec le Canada sur le contrôle de l’activité des services, l'ambassadeur de Grande-Bretagne, en France, ancien conseiller à la sécurité aurpès du Premier ministre a été consulté. Des voyages en province, en Bouches-du-Rhône et en Loire-Atlantique ont complété les travaux des rapporteurs.

Les services de renseignement n’ont pas de pouvoir légal, disposent de modestes moyens et sont menacés

Les services n’ont pas de pouvoir légal, ce sont les décrets qui créent les organes de renseignement. En 1982 la DGSE est créée par décret, publié, ce qui n’était pas le cas des précédents. Une condamnation de la Cour européenne des Droits de l'Homme est ainsi possible, les atteintes à la vie privée doivent être effectuées dans le cadre de la loi. Ce fut le cas en 1990, sur les écoutes, la loi de 1991, fut une réponse à cette condamnation. En 2005, une nouvelle condamnation a été prononcée après la sonorisation d’un appartement.                                                

Les moyens des services sont maigres, (en termes d'interception de sécurité, de réquisition des données de connexion, des usages de fichiers) les autres moyens sont interdits, ces moyens sont extrêmement contingentés, c’est le cas des écoutes, bornées par le législateur, et par décret du Premier ministre, seules 1840 cibles peuventêtre suivies. Il y a 18 ans, 1180 cibles étaient suivies pour 280 000 téléphones mobiles, or aujourd'hui 63 millions de mobiles sont utilisés.

En raison de cette absence de législation, certaines menaces pèsent sur les services, en particulier sur l’anonymat des agents. Il y a très peu de condamnation pour défendre l’anonymat des agents qui se sentent « fragiles », comme ont pu l’indiquer certains agents. Le journal Le Point a révélé le nom d’un agent, mais n’a pas été attaqué.

Une loi sur les services de renseignement est nécessaire

Pour légitimer les services. Seule une loi peut définir les missions des services, qui permettront des missions en dehors du droit commun. Le renseignement ne doit pas être vu comme sale (c’est le cas des affaires BenBarka et Rainbow warrior), il s’agit de protéger et valoriser les acteurs du renseignement.

Pour favoriser les moyens des services. Les services ont besoin de nouvelles ressources humaines, matérielles, technologiques et financières, avec de nouveaux outils de sonorisation ou d’infiltration. Aujourd’hui, certaines officines privées ont plus de moyens que l’Etat.

Pour encadrer leurs actions. Un contrôle est nécessaire pour légitimer l’action des services par la délégation parlementaire au renseignement (DPR), rassemblant des sénateurs et des députés, de la commission de Défense et de commission des Lois, créée en 2007, par Nicolas Sarkozy, qui aujourd’hui suit l’activité des services, mais ne les contrôle pas. La DPR a eu le mérite de faire dialoguer les mondes politique et administratif. La DPR suit les actions déjà passées, peut s’intéresser aux activités des services mais pas celles en cours selon le Conseil constitutionnel.

Trois types de contrôle doivent être prévus par la loi

Un contrôle interne  avec une inspection générale du renseignement, un contrôleur général devrait être nommé.

Un contrôle de légalité et de proportionnalité  sur les moyens de renseignement, les nouveaux outils doivent être contrôlés, sur les interceptions de connexion. Le rapport propose de supprimer la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), absorbée par une nouvelle commission de contrôle du renseignement, sous l’autorité du Premier ministre. La commission de contrôle serait composée de 4 membres du Conseil d’Etat, 4 de la Cour des comptes, 2 fonctionnaires choisis par le gouvernement, pour 6 ans renouvelables, qui donnera son accord aux écoutes. Cette Commission disposerait d’un service d’enquête, pour fournir des avis sur la légalité des preuves, pour traiter les plaintes des citoyens.

Un contrôle parlementaire avec un élargissement des compétences la délégation parlementaire au renseignement, en absorbant la commission sur les fonds spéciaux. La délégation doit pouvoir auditionner les personnes qu’elle souhaite auditionner et pas seulement les directeurs des services. Les documents des services doivent être mis à la disposition de la délégation.

Cette nouvelle organisation serait composée d’un « noyau dur » constitué par les trois services du ministère de la Défense (DGSE, DPSD, DRM) et la seule DCRI. Un "deuxième cercle" serait composé de Tracfin, la DNRED, l'actuelle Sous-direction de l'information générale (SDIG), structure résiduelle ayant survécu au démantèlement des renseignements généraux. La DCRI serait distincte de la Police pour créer une sorte de DGSI plus autonome, et pour recruter d’autres profils que de ceux des juristes. Cette loi de réforme des services pourrait être associée à une loi vise à unifier les interceptions de connexions en fusionnant les législations de 1991 et 2006, cette fusion doit s’effectuer dans les 3 ans qui viennent. Selon Jean-Urvoas, le Ministre de l’Intérieur pourrait élargir cette loi aux activités de renseignement.

L’avenir de l’intelligence économique.

La dernière partie du rapport évoque la nécessaire refondation de la stratégie d’intelligence économique de la France, les rapporteurs défendent une révision des structures administratives dédiées à l’intelligence économique. Au niveau national, il est nécessaire que le Premier ministre redevienne un acteur clé dans ce domaine, le futur délégué interministériel devrait s’entourer  d’une équipe légère, connaissant parfaitement la sphère économique et industrielle, nationale et internationale, une équipe qui serait capable tout à la fois d’œuvrer pour rendre notre système productif moins vulnérable (la sécurité économique) et de défendre la place de notre pays dans les organes (nationaux, européens et internationaux) producteurs de norme (l’influence). Cette équipe pourrait aussi contribuer à identifier des marchés porteurs, à accompagner les entreprises dans la conquête de ces nouveaux marchés, cette nouvelle D2IE pourrait s’appuyer sur une cheville ouvrière qui serait le service de coordination à l’intelligence économique de Bercy, en collaboration avec l’ADIT et ses déclinaisons locales, avec UbiFrance, avec les chambres de commerce et d’industrie. Il serait souhaitable d’encourager l’émergence d’une véritable politique régionale d’intelligence économique, avec un délégué régional à l’intelligence économique (DRIE), qui devrait animer et de fédérer, les compétences publiques et privées existantes ou d’en initier de nouvelles. La mobilisation de l’opinion publique et des milieux universitaires doit aussi être engagée.

Les auteurs affirment pour conclure que « l’Etat stratège trouve donc dans l’intelligence économique une occasion de mettre en application de développer le tissu économique du pays et d’assurer sa croissance ainsi que son internationalisation dans les meilleures conditions. En combinant et coordonnant  les initiatives nationales, locales, publiques et privées, la France pourrait conforter sa compétitivité dans le cadre d’une économie mondialisée en état de guerre permanente ». Ces intentions ne doivent surtout pas rester lettre morte.

Remy Berthonneau