ExxonMobil et N’Djamena : des relations complexes

Depuis l’exploitation du pétrole tchadien en 2003, les relations entre N’Djamena et le géant du pétrole américain ont connu de fortes fluctuations. En dix ans, l’instabilité territoriale et les problématiques de gestion de la rente pétrolière sont notamment venues miner l’entente entre ces deux entités.

ExxonMobil conduisait en 2003, avec Chevron et Petronas, le consortium chargé d’exploiter le bassin de Doba. Si ce bassin permet d’extraire un pétrole de qualité moyenne, l’or noir reste néanmoins disponible en grande quantité (En 2010, le potentiel du bassin était estimé à 950 millions de barils). Dès la première année d’exploitation, la gestion des recettes engendrées par l’exportation du pétrole de Doba est venue impacter les relations entre le consortium et l’Etat tchadien. Les 3 multinationales étaient accusées de « fraude » par le service de presse du président Déby, l’Etat leur reprochant par ailleurs de ne pas appliquer la convention de 1998 et ses avenants. En moins d’un an, le Tchad n’avait perçu que 70 millions de dollars US de redevances, quand le consortium vendait pour 900 millions US de barils. En 2004, alors que le prix du baril tchadien était de 30 dollar US, le cours du Brent atteignait une valeur 1,7 fois supérieure. Le prix de l’exploitation de l’or noir venait donc miner les relations entre le géant américain et N’Djamena, qui estimait en 2005 que la redevance pétrolière allait atteindre les 343 millions de dollars US.

Mis en danger par une rébellion en 2006, l’Etat tchadien avait plus que jamais besoin des recettes de son exploitation pétrolière. Cependant, la gestion de sa rente pétrolière ne respectant pas l’accord passé avec la Banque Mondiale, cette dernière alla jusqu’à bloquer le compte de la Citibank où ExxonMobil reversait les parts de l’Etat tchadien. En voulant éviter tout conflit avec la BM et avec N’Djamena, la multinationale se trouvait ainsi dans une situation complexe et cherchait à trouver un compromis avec les deux entités, tout en faisant face aux pressions tchadiennes. En effet, les autorités souhaitaient qu’ExxonMobil passe outre les interdictions de la banque en transférant les bénéfices de la vente du pétrole de Doba. La même année, de nouveaux contentieux sont venus ternir les relations entre la multinationale et l’Etat, le Tchad souhaitant renégocier son contrat avec le consortium, et exigeant 100 millions de dollars US de ce dernier.

Il aura fallu attendre 2009 pour que l’Etat signe un accord avec ExxonMobil pour vendre directement une partie de sa production de brut, à hauteur de 40.000 barils par jour, environ 25% de la production totale. Menacé par des troupes rebelles à l’Est du pays, et faisant face au marché défavorable pour les pays producteurs de pétrole (cours atone du baril, vendu entre 40 et 45 USD), l’Etat tchadien concluait avec ExxonMobil un accord stratégique. Les relations entre les deux entités connaissaient alors un embellissement temporaire. La multinationale américaine, à la recherche de nouveaux permis d’exploitation sur le sol tchadien et menacée par la concurrence accrue des pétroliers chinois (CNPC), réussissait à gagner en influence à N’Djamena la fin de la décennie. Cette embellie dans les rapports n’était en aucun cas désintéressée pour le géant américain qui vint quelques mois plus tard soutenir l’Etat tchadien dans son rapport de force avec l’Union Européenne.

Néanmoins, les stratégies suivies par ces deux acteurs divergent: ExxonMobil cherche à renforcer sa position dominante sur le pétrole tchadien, tandis que l’Etat cherche à limiter sa dépendance envers la multinationale. Réélu président le 25 avril 2011 pour un 4ème mandat, Idriss Déby chercha à signer des permis d’exploitation avec des pétroliers non-américains. Le retard dans la prise de relai par l’état tchadien pour vendre ses propres barils, à hauteur de 20.000 par jour, est à nouveau venu ternir les relations entre ce dernier et ExxonMobil. La multinationale cherchait en effet à retarder l’arrivée d’un second vendeur de Doba Blend, susceptible de faire baisser les prix du pétrole de Doba. Par ailleurs, en 2013, N’Djamena fit savoir au consortium dirigé par ExxonMobil, Chevron et Petronas que l’Etat tchadien souhaitait en acquérir 5%, sans contrepartie financière. En cherchant à accroître ses revenus, l’Etat souhaitait également augmenter la production de brut. Selon lui, la production était limitée par la multinationale américaine qui exploitait la même année presque deux fois moins de pétrole qu’au lancement de la production en 2003. Les négociations entamées avec le consortium aboutirent à un échec la même année, ce qui contribua plus encore à brouiller les relations entre ExxonMobil et N’Djamena.

Depuis 2003, nous constatons que les relations entre le géant du pétrole américain et l’Etat tchadien ont alterné beau fixe et pics élevés de tension. Dans une région à la stabilité précaire, face à une Chine gagnant depuis 20 ans en influence sur le territoire tchadien et cherchant à diversifier ses approvisionnements en pétrole, ExxonMobil se doit d’établir avec l’Etat un dialogue serein et constant pour garder sa position favorable dans l’exploitation du brut tchadien. 

Pierre BERTIN

Nos précédentes publications sur le cas du pétrole tchadien :

– Tchad, le pétrole et la tourmente 

– La stratégie chinoise au tchad 

Pour aller plus loin:

– Analyse sur les échanges franco-tchadiens après 1960