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Les oligarques au centre de la problématique ukrainienne

Souvent mis de coté dans l’analyse des événements politiques en Ukraine, les jeux d’influence des oligarques sont pourtant l’un des prismes les plus pertinents pour analyser la situation de ce pays.

La proposition de démettre de ses fonctions le gouvernement Azarov à l’issue des négociations a mis en relief un changement de stratégie face au mouvement populaire d’Evropa Maïdan. Au moment où certains manifestants se sont radicalisés et qu’une majorité des assemblées régionales du pays sont occupées par l’opposition, une réunion entre les oligarques les plus puissants s’est déroulée.

Le pouvoir s’est, en effet, évertué à ne faire aucune concession aux manifestants, jouant clairement la carte du délitement du mouvement. Quelques personnes ont été démises de leurs fonctions comme Olexander Popov le maire de Kiev ou encore le secrétaire adjoint du conseil de sécurité ukrainien consécutivement aux attaques de la police anti-émeutes sur les étudiants. Le Président, Viktor Ianoukovitch refusait toute autre hypothèse alors que les manifestants insistaient sur la nécessité de démettre de leurs fonctions, le premier ministre Mykola Azarov et le ministre de l’intérieur Vitaly Zakhartchenko.

Une position ambivalente

Pendant ce temps, les oligarques possédant les chaînes de télévision ont cherché à éviter de couvrir les manifestations puis se sont concentrées sur le mouvement lors de l’attaque des policiers anti-émeutes sur les étudiants de la place Maïdan. Ils n’ont toutefois pas appuyé la motion de censure déposée au parlement contre le gouvernement en demandant aux députés dont ils sont proches de ne pas se prononcer. Ce choix montrait toute l’ambivalence de leur position guidée par le pragmatisme et la prudence.

Les oligarques ont ainsi cherché à ne pas compromettre leur avenir au cas où un changement de régime survenait tout en maintenant leur souhait de préserver la stabilité au pouvoir. Cette ambivalence mérite d’être analysée à l’aune des deux aspects qu’elle contribue à mettre en évidence.

La révolution orange, qu’ils ne concevaient pas de manière positive, a porté Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko à la tête de l’Etat sur des discours clairement opposés à leurs intérêts économiques. Les conditions troubles dans lesquelles ont été vendues les entreprises d’État ont fait l’objet d’une lutte entre l’ancien Président et l’ancien premier ministre quant aux politiques à mettre en place à l’égard des oligarques.

C’est dans la perspective d’éviter la reproduction d’un tel scenario que les oligarques ont décidé d’accorder aux manifestations la couverture médiatique qu’elles méritaient. En parallèle, ils ont maintenu leur soutien à Viktor Ianoukovitch car celui-ci défend leurs intérêts et ne remet pas en cause leur position sociale. Ils soutenaient son orientation vers la Russie car celle-ci garantissait la stabilité économique du pays et plus précisément les subventionnements du gaz dont l’un des principaux bénéficiaires est Rinat Akhmetov.

Un rôle décisif

La dégradation de la situation survenue après le 20 janvier a forcé les oligarques à revenir sur le devant de la scène. Le spectre de la mise en place de l’état d’urgence ainsi que la radicalisation des protestants ont amené à la tenue d’une réunion secrète le 25 janvier entre l’homme le plus riche d’Ukraine et le plus fidèle soutien du Président, Rinat Akhmetov, Dimitri Firtach et un représentant d’Igor Kolomoïski.  

Le 28 janvier, les députés proches de messieurs Akhmetov et Firtach annonçaient leur volonté de ne plus soutenir les lois votées par le parti des régions du Président ainsi que leur refus d’appuyer la mise en place de l’état d’urgence. A ce moment-là, Viktor Ianoukovitch n’a plus été en mesure de maintenir sa ligne autoritaire. Il a été obligé de sacrifier son plus fidèle soutien Mykola Azarov ainsi que tout son gouvernement pour endiguer la poussée des protestataires qui chaque jour prenaient le contrôle de nouveaux bâtiments administratifs.

En parallèle, Viktor Ianoukovitch s’est attelé, depuis son élection en 2010, à bâtir son propre empire financier autour de sa famille. Son fils ainé, Oleksander, figure parmi les hommes les plus riches d’Ukraine. L’enrichissement familial a connu une impressionnante augmentation depuis l’élection de Viktor Ianoukovitch à la Présidence.

Cette émergence n’a pas été du goût des autres oligarques qui commencent à voir en « la famille » un opposant pouvant contrarier leurs ambitions. L’affaiblissement de Viktor Ianoukovitch et la perspective d’une ouverture du Gouvernement à l’opposition n’est donc pas pour leur déplaire. La proposition faite à Arseni Iatseniouk, leader du parti de Ioulia Timochenko, de devenir premier ministre, rejetée par ce dernier allait dans le sens d’un affaiblissement du pouvoir du Président.

Vers une implication directe des oligarques ? 

L’analyste Taras Berezovets évoque le nom de Petro Porochenko, oligarque pro-européen, possédant la marque de chocolats Roshen, comme potentiel premier ministre. Cet ancien proche de l’ancien Président Koutchma, figurant parmi les fondateurs du parti des régions du Président actuel, est ensuite devenu le plus important soutien financier de Viktor Iouchtchenko qui lui a offert en 2009 le portefeuille des affaires étrangères. Il a, par la suite, participé au gouvernement Azarov en 2012 comme ministre de l’économie.

Ayant travaillé pour le parti au pouvoir et figurant parmi les leaders de l’opposition actuelle, son profil correspond parfaitement à celui de la personne recherchée. Sa fortune personnelle étant déjà faite, les manifestants de Maïdan voient en lui la personne adéquate. Son activité de businessman ainsi que son profil hétérodoxe seraient de nature à rassurer les marchés financiers et inciter Moscou à poursuivre la mise en œuvre des accords signés en décembre.  

D’un point de vue institutionnel, cette nomination ne serait pas sans conséquences sur la composition des groupes politiques à la Verkhovna Rada. Porochenko faisant historiquement partie du groupe des « oligarques de Kiev » (en compétition avec ceux « de Donetsk » et ceux « de Dnipropetrovsk » sous les mandats de Leonid Koutchma) mais dont il s’est détaché pourrait attirer à lui des ralliements de parlementaires modérés du parti des régions ou encore des indépendants. De plus, Rinat Akhmetov et Dmitro Firtach contrôlent chacun un groupe d’une cinquantaine de député dont ils ont financé la campagne électorale. Ils seraient prêts à donner leur soutien à toute personne capable d’endiguer la crise économique et financière (perte de 5% de la valeur du hryvnia par rapport à l’euro et au dollar) compromettant leurs affaires à l’heure actuelle.

Bien qu’Arseni Iatseniouk soit le favori pour occuper le poste de premier ministre vacant, il n’est pas impossible que Porochenko ne le devienne pas. Klitchko et Iatseniouk visant la présidentielle, ils ne peuvent pas se compromettre en travaillant avec Ianoukovitch vis-à-vis de l’opinion publique. Par ailleurs Iatseniouk est un personnage bien connu et assez apprécié par les oligarques qui ont sûrement suggéré son nom au Président Ianoukovitch. Il avait reçu une salve de compliments lors de la campagne électorale de 2010 de la part de Leonid Koutchma, aux dépends de l’actuel président notamment.

Une fois de plus, les oligarques se retrouvent au premier plan, perpétuant ainsi une tradition solidement ancrée au sein du paysage politique ukrainien. Que ce soit directement ou indirectement, ils auront joué un rôle majeur dans la transition politique provoquée par le mouvement Euromaïdan.

Anthony PIERINI