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CARMAT : l’innovation médicale française n’est pas morte !

En ces temps de French Bashing et de perspectives maussades pour l’économie française, c’est un Cocorico bienvenu qui vient de retentir : l’innovation médicale française est toujours vivace ! Le Carmat : une prouesse de technologie, un modèle économique audacieux, un gage d’espoir pour des millions de malades, un marché potentiel florissant pour les intérêts de la France … et des zones d’ombre qui restent à éclaircir.

Bien que le premier patient, âgé de 75 ans et insuffisant cardiaque en phase terminale, soit décédé ce lundi, non pas d’une thrombose ce qui exclurait a priori une défaillance ou un rejet de la greffe, le cœur artificiel Carmat représente une avancée majeure.

Créé par le Consortium français CARMAT, né en 2008 de l’association de la Fondation Carpentier avec la société Matra Défense (une filiale d’EADS) et le fonds d’investissement Truffle Capital, le Cœur artificiel total Carmat, qui a été introduit avec fracas en bourse, révolutionne la médecine chirurgicale cardiaque, voire même toute la filière des transplants.

Cette technologie innovante, qui est une première mondiale notamment en termes d’autonomie, de miniaturisation, d’adaptation à la condition du patient, de reproduction des battements, et de combinaison avec des membranes organiques bovines afin d’éviter les rejets, permet au malade de reprendre une vie normale sans être hospitalisé. Fruit de l’union des savoirs de pointe médicaux et de l’aéronautique spatiale miniaturisée, ce bijou de technologie est pourtant encore loin de la phase de commercialisation. Prochaine étape, outre les autres implantations test, la certification des instances européennes, dont les conclusions sont attendues courant 2015.

L’enthousiasme général se comprend aisément.

Les affections cardiaques représentent un enjeu de santé publique mondial, touchant plus de 20 millions de personnes dans le monde, et qui se soldent dans 40% des cas par le décès du patient dans l’année suivant la première hospitalisation. Enjeu d’autant plus fondamental que chaque année des dizaines de milliers de patients sont en attente de greffe, les greffons ne se comptant qu’en quelques milliers, soit entre 5 % et 7 % des demandeurs. L’opportunité qu’offre le Carmat comme solution possible et espérée à la pénurie d’organes est à la fois gage d’espoir médical et de retombées économiques non négligeables.

En effet, les perspectives financières pour la France sont alléchantes, et pour le déficit abyssal de la Sécurité sociale, et pour les intérêts économiques de la société et du pays. Selon les estimations, le marché potentiel s’élèverait à plusieurs milliards d’euros dès le lancement. A l’heure actuelle, on ne peut que supposer, mais dans le cas où ces nouveaux cœurs mécaniques ne seraient pas pris en charge par la Sécurité sociale, les économies seraient astronomiques. De plus, le marché qui s’offre aux industriels français ne se limite pas à l’industrie médicale et aéronautique, puisque la société CARMAT a noué un partenariat exclusif avec la société PaxiTech, spécialiste des piles à énergie, pour réaliser un prototype de batterie nouvelle génération à combustible, pour remplacer les batteries actuelles au Lithium-ion, dont la durée de charge est plus de deux fois plus élevée.   

Toutefois des zones d’ombre persistent et soulèvent des interrogations.

On comprend aisément que la sensibilité du projet, de sa prouesse technologique et scientifique, impose un certain secret et une mainmise rigoureuse de la Société CARMAT sur son poulain. Cette discrétion a toutefois été critiquée et surtout révèle le malaise entre la société et les autorités françaises.

Tout d’abord, le statut de la société CARMAT pourrait être un frein à son expansion. Cette petite start-up innovante est criblée de dettes et un éventuel rendement à grande échelle du Cœur n’est envisagé qu’à l’horizon 2015, date du lancement supposé de la commercialisation après le marquage CE de l’Union Européenne. D’ici là l’avenir de cette petite entreprise est incertain. En effet, sur les résultats d’exercice 2013, la société affiche un bilan comptable négatif de prêt de 15 millions d’euros.

Les raisons en sont assez simples, investir dans l’innovation, a fortiori médicale, requiert de larges soutiens, ce qui a manqué cruellement à la société. Si nombre d’auteurs se sont fait l’écho de la volonté capitaliste de CARMAT de créer un projet à financement totalement privé, à l’exclusion du public, c’est surtout en réalité qu’elle a été mise devant le fait accompli. Les autorités françaises, encore une fois, se sont montrées frileuses et ont attendu jusqu’au dernier moment, vingt-cinq ans après le début des travaux du Professeur Carpentier, pour apporter leur financement au projet, en attribuant en 2009, il est le vrai, le plus gros prêt jamais accordé par l’Oséo.

En réalité, ces tensions avec les Institutions françaises ne sont pas récentes.

Déjà lors du brevetage et de la commercialisation des valves cardiaques Carpentier, sa première invention révolutionnaire source de son immense fortune, les autorités françaises avaient tergiversé interminablement puis finalement refusé de soutenir le projet. Résultat, ces valves aujourd’hui référence dans toutes les interventions de chirurgie cardiaque dans le monde sont l’apanage de la Société américaine Edwards, leader incontestable du marché.

Pire encore, il s’en est fallu de peu pour que les premières implantations du Cœur artificiel et les licences d’exploitation n’échappent une nouvelle fois à la France, pour les mêmes raisons. Face à cet autisme institutionnel français, CARMAT c’était déjà tournée vers d’autres pays, notamment la Belgique, la Slovénie, la Pologne ou encore l’Arabie saoudite. 

Les difficultés financières liées à la taille de sa structure limitée et les réticences de financement des autorités posent sérieusement la question de l’avenir français de la société. Si le Professeur Carpentier appelle de ses vœux un développement franco-français du projet et de sa commercialisation, les risques de rachats ou de délocalisation sont importants. D’une part, alors que les dépenses de défense sont en phase de réduction et que les sociétés de type EADS se recentrent sur leur cœur de métier, un retrait de sa filiale Matra plongerait CARMAT dans le chaos. Si EADS se retirait, alors qu’elle possède 34,9% du capital de CARMAT, s’ouvrirait une vaste porte aux appétits étrangers.

D’autre part, le changement de paradigme que pourrait opérer une généralisation des prothèses artificielles, bouleversant cette chaîne de solidarité entre les morts et les vivants, sorte de fraternité biologique fondée sur le bénévolat, l’anonymat et la gratuité vers une dimension marchande et réglementaire, semble pour l’heure incompatible avec la représentation éthique des investissements en France. S’il est largement accepté aujourd’hui aux Etats-Unis que la santé peut être un business, la France reste attachée, à tort ou à raison, à la dimension de service public et d’intérêt général.   

Mais par dessus tout, le Cœur artificiel Carmat est très loin d’être pleinement opérationnel.

Sa taille actuelle rend illusoire un quelconque retour à la vie civile hors institution hospitalière pour les « cobayes » des premières implantations tests, sa miniaturisation demandera de longues années d’études et d’investissement. Plus encore, la taille et le poids du Cœur ne semblent être compatibles à l’heure actuelle qu’avec l’anatomie des hommes de forte corpulence, à l’exclusion des autres et notamment des femmes. Enfin, si ce bijou technologique se dirige vers une filière plus industrielle et commerciale que sanitaire, non pris en charge par la Sécurité sociale, seuls des malades extrêmement riches auront les moyens de se le procurer. Certes son coût potentiel – entre 140 000 et 180 000 euros – est inférieur à une transplantation d’organe classique – 250 000 euros en France, plus d’un million de dollars aux USA -, mais cette dernière reste prise en charge par la Sécurité sociale.

Johan CORNIOU-VERNET


Pour aller plus loin sur le thème Economie et Santé :

– Les brevets pharmaceutiques, entre soutien à l’innovation et accès aux soins

– Le retour de la guerre économique ?

– La santé, un bien de consommation comme un autre ?